Le Comportement de peur
110 pages
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Le Comportement de peur , livre ebook

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Description

Comment expliquer la peur ? Quel rôle joue-t-elle dans la vie de l’homme ? Qu’exprime-t-elle ? René Misslin analyse avec attention et intelligence cet héritage instinctif qui rapproche presque malgré lui l’homme civilisé de l’animal primitif.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2006
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748372847
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Comportement de peur
René Misslin
Publibook

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75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Comportement de peur
 
 
 
 
La photo de couverture  : agression et contre-attaque chez le macaque berbère (la photo est extraite de la collection personnelle du Dr Bernard Thierry, primatologue à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg)
 
 
 
A Anne, à nos fils et petits-fils
 
 
 
A la mémoire de mon ami, le Professeur Philippe Ropartz, qui a dirigé mes travaux de recherche
 
 
 
Introduction  Qu’est-ce que la peur ?
 
 
 
La maniere de naistre, d’engendrer, nourrir, agir, mouvoir, vivre et mourir des bestes estant si voisine de la nostre, tout ce que nous retranchons de leurs causes motrices et que nous adjoustons à nostre condition au dessus de la leur, cela ne peut aucunement partir de nostre raison .
 
Montaigne, Les Essais
 
 
Plutôt que d’inscrire mon propos dans le cadre de l’usage grammatical traditionnel, un héritage du dualisme cartésien, qui fait de la peur un événement mental capable certes de retentir sur notre organisme sous la forme de troubles physiques , j’adopterai ici une perspective résolument moniste d’après laquelle l’organisme est une unité vivante, sensible et agissante. De ce point de vue, la peur apparaît comme l’ensemble des comportements de défense que manifestent les êtres vivants quand ils doivent faire face aux facteurs de l’environnement qui menacent leur survie, en particulier les prédateurs.
 
Le neurophysiologiste américain, Paul Mac Lean, pensait que l’évolution avait gratifié les mammifères d’un cerveau tripartite, reptilien (le tronc cérébral ), paléomammalien ( le système limbique ) et néomammalien (le néocortex ), ce dernier, le plus récent, étant particulièrement développé chez l’Homme. On raconte qu’un jour, à la suite d’une conférence au cours de laquelle il avait exposé sa théorie, un auditeur lui demanda ce qui pouvait bien dans ces conditions nous différencier des autres espèces animales. Mac Lean réfléchit un instant, puis répondit que nous étions probablement les seuls animaux à savoir que nous allions mourir. Il ajouta que c’était là une information qui nous parvenait du néocortex, mais le vieux cerveau n’en voulait rien savoir. Dodds, un professeur de l’Université d’Oxford, rapporte que les anciens Grecs ont conservé pendant très longtemps la coutume préhistorique qui consistait à nourrir leurs morts au moyen de canules. Les archéologues ont même trouvé ces canules dans des tombes datant d’une époque où les Grecs incinéraient les cadavres, tellement la coutume était robuste. Voici comment Dodds commente cette pratique en apparence irrationnelle : Quand un Grec de l’époque archaïque versait des liquides dans un tube entre les dents d’un cadavre en décomposition, nous ne pouvons que dire qu’il se gardait bien, et pour cause, de savoir ce qu’il faisait ; ou encore, pour l’exprimer plus abstraitement, qu’il ignorait la distinction entre le cadavre et l’âme . 1 Le déni de savoir est un comportement qui nous aide à nous défendre contre des informations dérangeantes, inquiétantes ou hostiles. Un dicton de mon pays natal exprime cela à merveille : ce que le paysan ne connaît pas, cela ne lui fait ni chaud ni froid . A l’occasion de mon service militaire que j’ai dû effectuer en Algérie, pendant la guerre qui opposait la France à l’armée de libération algérienne, je me suis trouvé un jour, au cours d’une permission, dans le hall de la gare de l’Est à Paris, où j’attendais le train qui devait me ramener chez moi en Alsace. J’étais en tenue militaire. Une jeune fille très souriante s’approcha de moi et me demanda où j’effectuais mon service. Je lui proposai de jouer à la devinette. Elle énuméra une série de villes françaises et je répondis à chaque fois par la négative. A la fin, elle donna sa langue au chat et je dus lui avouer que j’étais cantonné en Algérie. En un clin d’œil, son visage perdit son expression enjouée, elle me tourna brusquement le dos et s’éloigna rapidement. A l’évidence, elle n’avait aucune envie d’entendre parler d’Algérie. Quant à moi, j’ai eu la fâcheuse impression d’être devenu un pestiféré que l’on fuyait avec peur et dégoût. Comme dit le proverbe, la vérité n’est pas toujours bonne à dire, nous ne supportons pas forcément de l’entendre.
Nous avons en effet l’habitude d’intellectualiser nos comportements en considérant que nous agissons selon des critères rationnels, réfléchis et consciemment voulus : nos pensées précèdent et commandent l’action. Ce schéma rassurant, basé sur la conviction que nous sommes les maîtres du jeu de la vie, a souvent été présenté comme le modèle de la sagesse. En anthropologie, par exemple, on a tendance à penser que les mythes précèdent et conditionnent les rites. Rien n’est moins sûr. Walter Burkert, un philologue de l’Université de Zürich, analysant les origines des mythes et rites sacrificiels de la Grèce antique, suggère qu’au lieu de nous demander quel événement a bien pu donner naissance à telle religion, nous serions mieux inspirés de rechercher à quelle fonction elle répondait au sein du groupe humain. Et il poursuit : Nous pouvons toujours parler d’« idées » contenues dans les rites, mais nous devons renoncer au préjugé rationaliste selon lequel il y aurait d’abord eu un concept ou une croyance qui aurait en un second temps conduit à une action. C’est le comportement qui est premier. Mais sa forme est en corrélation avec des situations humaines typiques et c’est ce qui la rend intelligible. C’est en ce sens que les rites sont significatifs . 2 Plutôt que de chercher quelles croyances en la survie ont bien pu conduire les Grecs anciens à nourrir leurs cadavres, sans doute vaut-il mieux considérer ce comportement comme une réponse adaptative , pour employer un concept cher aux éthologistes, que ces hommes ont adoptée spontanément, sans réfléchir , face à cet étrange état dans lequel se trouve quelqu’un qu’on connaît bien et qui brusquement se raidit dans une immobilité totale et irréversible, sans parler du stade de sa décomposition. Si quelqu’un nourrissait un cadavre sous nos yeux, cela nous surprendrait sans doute, mais nous n’irions probablement pas demander, malgré tout, à cette personne pourquoi elle fait cela, tellement son geste nous paraîtrait compréhensible, naturel a-t-on envie de dire. Il y a un sens immanent et implicite à nos réactions vitales qui précède et fonde nos interprétations secondes, explicites et langagières. Ne comprenons-nous pas aussi de façon empathique les animaux ? Une explication de type psychologique s’avérerait ici tout à fait inappropriée. Comme l’écrit Nietzsche : Erreur capitale des psychologues : ils prennent la représentation confuse pour une sorte inférieure de représentation, comparée à la représentation claire ; mais ce qui s’éloigne de notre conscience, en s’obscurcissant par conséquent, peut être parfaitement limpide en soi … Tout ce qui vient à la conscience est un phénomène terminal, une conclusion – et n’est cause de rien . 3
Nous définissons habituellement la peur comme un sentiment désagréable que nous éprouvons quand nous prenons conscience d’un danger. Les sentiments passent pour des états mentaux ou psychologiques . Notre organisme est capable cependant de réagir à des dangers que nous ne percevons pas consciemment. Qui donc perçoit dans ce cas ? En mettant l’accent sur les aspects subjectifs de la peur, on ne voit pas très bien quelle pourrait être à vrai dire sa fonction, d’autant qu’elle s’accompagne, nous le savons bien, de réactions physiologiques comme la sudation, les palpitations cardiaques, les tremblements ou les contractions intestinales. Le célèbre psychologue américain, William James, a même prétendu que nos émotions correspondaient, en réalité, à la conscience que nous prenons de ces réactions physiologiques : on aurait peur parce qu’on a mal au ventre, non l’inverse. John Dewey, un des représentants les plus subtiles de la tradition pragmatiste américaine, a été parmi les premiers à considérer les émotions non point comme des états mentaux , mais comme des réponses adaptatives, c’est-à-dire des comportements : Elles représentent la tension du stimulus et de la réponse dans la coordination qui détermine la modalité comportementale. L’émotion est la manifestation de la lutte pour l’adaptation . 4 Darwin avait déjà noté à quel point les expressions émotives du visage des primates étaient d’extraordinaires moyens de communication. Du reste, comme le souligne le philosophe autrichien, Wittgenstein : Que rapportent les psychologues, qu’observent-ils ? N’est-ce pas le comportement des êtres humains, en particulier leurs déclarations ? 5
D’où vient notre habitude de penser que la peur n’est pas foncièrement d’essence organique , mais qu’elle relève de notre esprit , bref qu’elle est un phénomène psychologique selon le dictionnaire le Petit Robert  ? Ce même dictionnaire définit la psychologie comme l’ étude scientifique des phénomènes de la pensée . La psychologie cognitive contemporaine conçoit, en effet, l’esprit comme le lieu où s’élabore ce que Hilgard a appelée non sans humour la trilogie mentale  : cognition, émotion, motivation. 6 Les contenus mentaux sont censés déterminer de façon causale nos actions, nos pensées et nos sentiments. La question que je me pose c’est comment on en est arrivé à imaginer qu’en plus de notre corps et de ses réactions physiques, organiques, biologiques, nous avons également un esprit avec ses productions mentales, psychiques, psychologiques

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