Le Chant des mages
524 pages
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Le Chant des mages , livre ebook

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Description

« Ton grand-père nous avait, pour la première fois, parlé comme à des hommes en lesquels il fondait tous ses espoirs... Oui ! Ce fut un moment inoubliable. Il nous avait logé dans la tête l'idée de construire une huilerie au milieu de nos terres. “Souviens-toi de notre serment !” me rappela mon forban de frère, conscient de ma faiblesse quand il s'agissait de faire plaisir à notre père. “Te rends-tu compte de sa fierté et de l'abondance de bénédictions qu'il ferait pleuvoir sur nous ?”me fit-il remarquer. En ce temps-là, cette industrie n'existait pas dans notre région ; elle représentait donc un véritable trésor pour celui qui la concrétiserait. » Pour réaliser le vœu de son père au pays, Mouloud confie son fils Samir à Achour, l'aîné de la fratrie, parti faire fortune à Paris. Élevé par son oncle, l'enfant reçoit une éducation hybride. En 1973, menacé d'expulsion, le jeune homme doit retourner en Algérie. Entre le poids d'un héritage culturel et le mauvais œil qui le guette, Samir peut-il renouer avec les traditions kabyles et les coutumes de sa famille ? Rabah Boudaoud fait de ce récit d'après-guerre une excursion entre deux mondes, ancrée dans la réalité de l'époque.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342151107
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0157€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Chant des mages
Rabah Boudaoud
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Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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93200 Saint-Denis
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Le Chant des mages
 
1
Limitée au nord de l’Algérie par une Méditerranée riche de son histoire, la Kabylie est une région piquée de hautes collines sous un ciel souvent dégagé. La douceur de son climat devrait engager ses habitants à une existence heureuse, mais encore faudrait-il que ne s’y opposent ces absurdes éléments d’un autre âge que sont certaines habitudes. Les plus lucides croyaient en la venue de courageux artisans de la pensée ; des hommes qui réduiraient en poussière ces méthodes de culture anciennes qui créent la division et le croisement de tous les désordres. Hélas, il y aura toujours ceux-là qui, en grand nombre et forts de leurs pouvoirs, s’acharneront sournoisement à les perpétuer.
Les héritiers d’une telle mentalité que sont, entre autres Berbères répartis en Afrique du Nord, les Kabyles survivaient en ces temps qui précédaient la Seconde Guerre mondiale des modestes revenus d’une agriculture aux moyens désuets.
La famille Bellis appartenait à cette catégorie de propriétaires qui ne se dérobe pas à la tradition agreste. Les frères Lounas et Esseïd s’évertuaient de mille et une façons à étaler leur qualité d’ouvriers de la terre sacrée.
Les Kabyles trouvent judicieux d’entretenir l’esprit de rivalité au sein de leur communauté ; cela, le croient-ils depuis toujours, pour mieux développer la volonté et ainsi multiplier les chances de réussite. Mais une fois acquise cette tendance, jusqu’où peut aller son excès ? Aujourd’hui encore, nul ne doute de l’efficacité de cette pédagogie qui se déploie dans les esprits en provoquant des malheurs dont on ne prendra jamais la peine de saisir les causes.
Depuis la mort de leur père et le partage des terres qui lui vaudra une lourde déception, Lounas se torturait du désir de surpasser son cadet. Cependant, et comme par un fait exprès, le sort s’acharnait à le faire souffrir tant il ne ressentirait jamais la satisfaction d’avoir réussi.
En Europe, les canons grondaient aux frontières et cette seconde déclaration de guerre promettait bien des confusions. Réserviste de l’armée française, Lounas fut appelé à rejoindre les rangs. Il remercia Dieu pour la pitié qu’Il lui accordait enfin en le délivrant de la promiscuité de celui qui le provoquait de ses expressions chaque fois qu’ils se croisaient. Il préférait encore s’en aller braver le péril nazi plutôt que d’endurer davantage cette face de rat que la toute bête destinée de veinard révoltait. Par bonheur, Halima, la cadette de ses deux filles, venait à son tour de grimper sur la jument pour gagner sa nouvelle demeure. Maintenant que ses deux filles étaient rangées, certaines de ses inquiétudes se dissipaient. Car s’il est une hantise à laquelle s’associent les Kabyles, c’est bien de voir leurs adolescentes en âge de convoler manquer de prétendant.
Lounas considérait Chabane et Akli capables d’assurer le nécessaire en son absence. Il les avait formés dans le sens qu’il fallait pour donner de la force à leur caractère. Il ne doutait pas que ses deux gaillards fussent à même de protéger mère et biens durant sa mobilisation. La veille de son départ pour la capitale d’où il s’envolerait vers la métropole, il les convoqua dans sa chambre :
— Mes enfants, je vais vous entretenir de choses importantes ! commença-t-il avec gravité après qu’ils se furent tous installés. À compter de demain, je me séparerai de vous pour quelque temps. Je pars en France accomplir le devoir pour lequel j’ai prêté serment… Vous n’êtes plus des enfants mais des hommes responsables… Il les observa l’un après l’autre. Son regard étincelait dans la pénombre de la chambre qu’éclairait une lampe à huile : Votre grand-père m’a enseigné l’art de vivre dignement, c’est-à-dire en homme qui se respecte… en homme qui ne cherche pas à profiter du bien d’autrui et qui ne laisse personne toucher au sien. Je vous ai élevés de la même façon et je veux que vous me prouviez que je me suis dépensé utilement !
Le visage fermé, les adolescents l’écoutaient. Ils aimaient leur père et le lui témoignaient par une conduite respectueuse : Le temps que durera mon absence, reprit-il avec calme, vous veillerez doublement. Il vous faut savoir qu’en tout moment les gens vous épieront ; que vos faits et gestes seront perçus et qu’on tentera de vous surprendre en défaut pour provoquer un scandale. Restez solidaires et ce quoi qu’il arrive car, si l’occasion se présente, on vous montera l’un contre l’autre. Les gens de notre peuple sont, hélas, les proies faciles de démons malfaisants dont l’influence se traduit par la jalousie et la lâcheté. Vos aïeux furent les premiers à s’installer en cette contrée et elle les a ennoblis ; alors que nos voisins sont les descendants de pauvres hères venus, bien plus tard, de régions lointaines. Ces gens passèrent par ici et s’arrêtèrent chez nos ancêtres pour quémander de quoi soulager faim et fatigue. Dans cet élan de générosité qui caractérise les gens modestes, ces derniers les invitèrent à séjourner le temps de se rétablir. C’est ainsi qu’ils offrirent une parcelle de terre à ceux qui manifestèrent le vœu de s’installer. Ils les aidèrent même à construire leurs maisons et à fonder une famille. Nos pères possédaient de bonnes raisons pour agir ainsi. Comme je vous le disais, ils furent les premiers à s’installer en cet endroit qui, à l’époque, n’engageait du tout par son isolement. Pour vous faire une idée, montez au rocher Blanc, la plus haute de nos terres, et jetez un coup d’œil sur les environs… autrefois, pas une âme ne vivait sur l’étendue que vous verrez défiler. Vous comprendrez alors que nos aïeux désiraient égayer leur existence monotone et écartée en même temps qu’ils réjouiraient celle de leurs visiteurs. Leur charitable action, crurent-ils, plairait à Dieu qui en tiendrait compte dans l’autre vie. Cette approche peut sembler louable mais, au fil des générations, elle eut pour résultat la naissance de problèmes dont nous subissons, encore aujourd’hui, les conséquences. C’est là-dessus que je veux attirer votre attention avant de partir…
Le quadragénaire scruta ceux qui demeuraient figés comme des statues. Ses traits forts et réguliers, sous le dôme du crâne rasé, dégageaient une dureté qui en imposait. Le personnage inspirait de la crainte et plus d’un trublion avait senti frissonner sa carcasse lorsqu’il grondait sa colère. Les frustes qui pâtirent de sa violence comprirent à leurs dépens les raisons pour lesquelles, malgré son analphabétisme, l’armée coloniale l’avait engagé et au terme de cinq années de service lui avait décerné le grade de sergent.
La voix rocailleuse résonna à nouveau dans la pièce aux murs enduits de chaux :
— Cette engeance issue des bonnes œuvres de nos aïeux s’avère des plus dangereuses. Ces gens sont rattachés les uns aux autres, non seulement par de solides liens de parenté mais aussi et surtout de par la convoitise de nous voler nos terres. Il suffit que vous relâchiez de votre vigilance pour que les pierres de bornage soient déplacées. Pourquoi croyez-vous que j’ai brisé l’épaule d’un coup de hache à l’aîné des Bouras, hein ?
Le souvenir du vibrant accident qui, deux ans plus tôt, ameuta la foule, étira ses hirsutes moustaches d’un sourire qui en exprimait la vanité : Je m’étais levé à l’aube pour me rendre au marché. Ce jour-là, je décidai d’y aller à pied. Je n’avais pas grand-chose à acheter et notre jument méritait de se reposer après ces deux semaines de labourage. Rappelez-vous qu’il est bon d’être vu au marché même si vous n’avez rien à y faire ; allez-y chaque samedi, cela empêchera ces dégénérés de jaser sur le contenu de votre porte-monnaie… rire de leur prochain est leur passe-temps favori à ces crétins ! J’avais de l’avance, inutile donc de me presser. Je quittai la maison dans le noir et remontai le sentier menant au « chêne du sanglier » ; arrivé là, j’entendis aboyer le chien des Mansouri. J’aurais pu aller mon chemin sans prêter plus d’attention aux sautes d’humeur de cet animal, mais non ! Mon instinct me poussa à aller me rendre compte de la cause d’un tel raffut. Je pressentais qu’une chose anormale se passait… et puis nous avons des terres près de leur propriété. Habitué à me fier à ma seconde nature, je rebroussai chemin et descendis jusqu’à leur puits. La lueur de l’aube m’aida alors à distinguer une ombre en mouvement près du figuier de Tarzout. Je m’approchai sans bruit en me cachant derrière les arbres ; c’est alors que je le reconnus – par ses vêtements tout d’abord car il n’existe dans les parages qu’une seule fripouille pour porter un bonnet aussi ridicule. Mais j’attendis encore pour être sûr de ma vision et surtout de ce qui se tramait. Le doute se dissipa… c’était bien l’aîné des Bouras qui venait de déterrer la pierre de bornage marquant la limite entre leur parcelle et celle de votre oncle Esseïd. Je le découvris en train de creuser à plus d’un mètre en avant pour la replanter… il grattait ainsi à votre oncle la somme de plusieurs mètres carrés de bonnes terres. La colère m’étrangla. Je bondis en avant mais, hélas, je trébuchai et tombai à terre. Ma chute avertit le gredin qui prit la fuite. Ah, si seulement je l’avais attrapé à ce moment cruel ! Mais voilà, Sheitan protège les siens ! Il s’en tirera jusqu’à ce que nos chemins se croisent à la « gorge des perdrix ». Dès que je le reconnus, la même fureur qui m’étreignit ce matin-là m’envahit. Le moment de lui faire payer son forfait se p

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