Le Centre
118 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le Centre , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
118 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Erythréen, Amanuel entame un éreintant voyage vers l’Europe. S’appuyant sur un réseau de passeurs de clandestins, il doit débarquer sur la petite île de Lampedusa, première étape vers ce qu’il imagine être son Eldorado. Désoeuvré et chômeur de longue durée, un habitant de Lampedusa est embauché en tant que surveillant au centre de détention et de transit de ces mêmes émigrés. Cependant, son euphorie sera de courte durée lorsqu’il assistera aux humiliations infligées à celles et ceux qui, tombés entre les mains des carabiniers, échouent dans ce lieu de violence et de désolation. A travers ces deux points de vue sur le statut et la condition des émigrés clandestins, Alexandre Maubert dresse un tableau acerbe d’une Europe hypocrite et inhumaine, aux frontières attrayantes, infranchissables et sur lesquelles viennent se briser les rêves et les vies des milliers d’aspirants à l’émigration.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 octobre 2007
Nombre de lectures 1
EAN13 9782748370898
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Avant-propos

Ce récit est une œuvre de pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Chapitre 1

J’ai de la peine à ouvrir les yeux. Dès la première seconde de la journée, je ressens une vive angoisse qui se manifeste par une oppression au niveau du plexus solaire. Le jour J est enfin arrivé et je suis pris d’une extrême panique. C’est aujourd’hui que je quitte ma famille. Ma mère, mes deux frères et mes trois sœurs. A 18 ans, c’est la première fois que je vais sortir de mon village. Je m’habille avec hâte pour ne pas avoir le temps de trop réfléchir et je prends le baluchon que j’ai préparé la veille. En balayant des yeux l’unique pièce qui compose notre maison, je vois que toute ma famille est déjà réveillée. Au grand complet, alignés, ils me regardent avec un air à la fois attendri et attristé. En croisant mon regard, ma maman détourne le sien. Je sais qu’elle pleure. Je me force à sourire puis m’approche de mon frère aîné. Il s’agit en fait de mon frère aîné encore en vie car j’avais un frère de vingt-quatre ans mais il est mort l’année passée dans le conflit contre l’Ethiopie. Je le prends dans mes bras, peut-être pour la dernière fois. Il a le SIDA et moi, je ne sais pas quand je reviendrai. Si je reviens. C’est d’ailleurs lui qui aurait dû prendre la route ce matin si la maladie n’en avait pas décidé autrement. Mais comme je suis l’homme valide le plus âgé de la famille, j’incarne à moi seul tous leurs espoirs d’un avenir meilleur.

— Je vais t’envoyer de l’argent pour tes médicaments dès que j’en aurai la possibilité, dis-je à mon frère. Je te le promets.
— Merci, se contente-t-il de répondre, la gorge nouée.
Je sais ce qu’il pense. Il se demande si la durée de mon voyage ne va pas être supérieure à son espérance de vie. Je me jure intérieurement de faire tout mon possible mais je désespère de penser que je ne maîtrise aucun autre paramètre que ma seule volonté.
Je me tourne vers mes trois sœurs et les enlace toutes en même temps. A treize, quatorze et seize ans, ce sont déjà des femmes mais leurs traits du visage les trahissent et rappellent que l’enfance n’est pas très loin. En nous voyant, mon frère cadet, submergé par l’émotion, s’enfuit à toute vitesse hors de la maison. A dix ans, il ne comprend ni n’accepte mon départ. Il a déjà perdu son grand frère à la guerre, ainsi que son père également mort pendant la période où l’Erythrée était encore sous occupation éthiopienne, en 1990. Contrairement à moi, il ne l’a jamais connu.
Je me dis que j’essaierai de lui parler dehors si je parviens à le retrouver. Je desserre l’étreinte autour de mes sœurs pour m’avancer vers ma mère. Elle a eu quelques instants pour se ressaisir et je la retrouve, digne, droite, avec un regard fort et fragile à la fois. Fort d’avoir enduré toutes les épreuves que la vie lui a réservées mais fragile de voir encore un être qu’elle aime s’en aller. Elle me dit :
— Prends soin de toi. N’oublie pas que nous t’aimons et que, quoi qu’il advienne, tu dois toujours accorder la priorité à ta survie.
— Je vais y arriver. Je veux que vous puissiez vivre autrement. J’ai envie de pouvoir vous offrir un avenir différent.
Ce que je ressens est inexprimable avec des mots. Cette femme est tellement admirable. Nous avoir élevés sans l’aide de son mari pendant toutes ces années, dans la misère mais dans la dignité. En une fraction de seconde j’ai une conscience accrue de la vie, un éclair de lucidité qui m’inspire un amour infini.
Le klaxon d’une fourgonnette nous fait tous sursauter. Je sors de la maison d’un pas décidé et me dirige vers l’unique rue de mon petit village. Le véhicule à bétail s’arrête à ma hauteur et un type d’une quarantaine d’années sort en me demandant si je suis bien Amanuel. Je réponds d’un signe de tête par l’affirmative. Il me tend la main non pas pour me saluer mais pour que je lui remette l’argent. Je sors délicatement l’enveloppe de la poche de mon baluchon. Elle contient EUR 700.-. C’est une fortune colossale. J’hésite un instant. Pour réunir ce montant, nous avons vendu notre unique bien, notre vache. C’est le fermier le plus puissant du village, Monsieur N’Koubé, qui a accepté de nous l’acheter. C’est le seul qui en avait les moyens. Son fils a réussi à faire ce que je m’apprête à faire ; aller en Europe. Avec l’argent qu’il envoie, sa famille a rapidement amélioré son niveau de vie. Monsieur N’Koubé a pu développer et moderniser sa ferme. Il peut ainsi écouler ses produits jusque dans la capitale, Asmara.
Avec cette enveloppe dans les mains, je sais que je suis à la croisée des chemins. Je pourrais faire demi-tour, rentrer chez moi et continuer ma vie ici, ou plutôt ma non-vie. Mais il n’en est pas question. Je n’ai plus grand-chose à perdre. Je me jure que je viens de vivre mon denier moment d’hésitation. Si je veux réussir, il va me falloir une volonté et une détermination sans faille car je sais que ce que je vais endurer n’est guère enviable. J’ouvre la main et lui remets l’enveloppe contenant l’argent. Un aller simple vers l’Europe.
L’homme me fait monter à l’arrière du camion à bétail dans lequel deux types sont déjà installés. Je regarde ma maison et ma famille alignée dans la rue. Mon petit frère s’est finalement décidé à les rejoindre. Je lui fais un petit signe de la main mais il n’y répond pas. La tristesse que je lis dans ses yeux me bouleverse. Comment peut-on avoir une telle intensité dans le regard à cet âge ? Ne devrait-il pas être dans la période des jeux et de l’insouciance ? J’essaie de me rappeler mon dernier moment d’insouciance mais je ne m’en souviens pas.
Le véhicule démarre et prend de la vitesse. Je vois la rue s’éloigner. Sur cette ligne droite qui semble ne jamais finir, ma famille ne devient rapidement plus qu’un petit point à l’horizon.
— J’espère que tu pourras bientôt leur écrire depuis l’Europe, me dit l’homme qui se trouve en face de moi. Je m’appelle Saïd, ajoute-t-il en souriant et en me tendant la main.
— Oui, je l’espère pour nous tous. Moi c’est Amanuel, dis-je en lui serrant la main.
Saïd semble avoir le même âge que moi. Peut-être un peu plus. Il a l’air calme et posé. J’ai d’emblée le sentiment que je peux lui faire confiance. Vu que nous avons un sacré bout de chemin à faire ensemble, autant essayer de sympathiser. Nous nous tournons simultanément vers le troisième homme. Devant notre insistance, il se présente à son tour.
— Ahmed, dit-il en faisant un léger signe de tête à contrecœur.
Etant donné qu’il n’a visiblement pas envie de parler, je le laisse tranquille et poursuis ma conversation avec Saïd.
— De quel village es-tu ?
— Je viens d’Ethiopie. J’ai passé la frontière la nuit passée.
En entendant le mot Ethiopie, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour mon père et mon frère qui sont tous les deux morts dans des conflits avec ce pays. Vu son âge, peut-être a-t-il combattu en 2000 contre mon frère ? Peut-être l’a-t-il même tué ? Cette pensée me glace le sang.
Mais il n’est pas impossible que ce soit l’inverse. Peut-être mon frère a-t-il tué un membre de sa famille ? Qui sait ? Je ne ressens pas de haine particulière contre les Ethiopiens car je sais qu’ils sont très proches de nous. Ils se battent parce qu’il le faut. Parce que les ordres ne sont pas matière à discussion dans ce genre de régime. Mais finalement, s’ils avaient le choix, je ne crois pas que des pères de famille iraient combattre d’autres pères de famille, par simple envie. Ou alors quelque chose m’échappe dans la nature humaine.
Comme Saïd se rend compte de mon intense réflexion et de la lenteur de ma répartie, je préfère jouer franc jeu avec lui :
— J’ai perdu deux membres de ma famille dans la guerre contre l’Ethiopie.
— Moi aussi, me répond Saïd. Saleté de guerre !
En me tendant à nouveau la main il me dit :
— Ami ?
Je n’hésite pas. Nous sommes sur la même longueur d’ondes et je lui réponds :
— Oui, ami. Je crois que ça ne sera pas de trop.
Bien sûr, nous sommes conscients, l’un comme l’autre, que ce ne sont que des mots. Nous ne nous connaissons pas et ne pouvons pas décider d’être amis, comme ça, après quelques minutes passées ensemble. Pourtant quelque chose me rassure dans cet acte. Je me sens moins seul. Ce n’est que le temps qui dira si quelque chose dans notre relation se rapprochera de l’amitié ou non.
Il est maintenant midi. Nous roulons sous un soleil de plomb depuis plus de deux heures et je commence à avoir soif. Je prends la bouteille d’eau qui se trouve dans mon sac. A ce rythme, elle ne va pas durer longtemps. Je prends conscience de l’état de totale dépendance dans lequel je me trouve. Je n’ai emporté de provisions que pour une journée alors que notre voyage va se dérouler sur plusieurs semaines. En fait, je ne sais pas combien de temps il va durer. Je n’ai obtenu aucune information concrète. La route commence à devenir montagneuse et caillouteuse.
— La frontière soudanaise est proche, dit Ahmed qui nous surprend en sortant de son mutisme.
— Tu connais la région ? demande Saïd.
— Oui, je suis déjà allé au Soudan. J’ai déjà fait ce voyage une fois, ajoute-t-il.
De quel voyage parle-t-il ? Le passage au Soudan ou tout le trajet en direction de l’Europe ? Avant que nous n’ayons eu le temps de lui poser la question, la camionnette s’immobilise derrière des buissons. Le conducteur sort et nous dit de descendre du véhicule.
— Nous devons attendre ici jusqu’à la tombée de la nuit pour passer la frontière. Ne vous éloignez pas et ne faites pas trop de bruit.
Il se dirige à l’ombre des buissons, s’assied et sort de quoi se restaurer. Nous le suivons et faisons de même. Ahmed, sans grande surprise, se tient à l’écart.
— Vous êtes prêts pour l’enfer ? nous demande Mustafa, notre passeur qui se présente enfin.
— Pourquoi l’enfer ? demande Saïd.
— Parce que vous n’êtes pas prêts d’arriver, faites-moi confiance. Vous allez voir du pays ava

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents