La Croix du Sud
134 pages
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La Croix du Sud , livre ebook

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Description

Dans la grande maison où elle habite avec ses parents au Sénégal, la petite Alice a soif d’aventures et de culture wolof. Les rares virées à Dakar ou à Saint-Louis ne suffisent pas à satisfaire son imagination fertile et ses envies d’amour. Tout change quand un jeune Maure lui fait don d’une bague magique qui rend invisible. Est-ce là bien la réalité ou seulement le rêve d’une petite fille avide de vivre comme les héros des livres qu’elle dévore à longueur de journée ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2010
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748374742
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0064€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Croix du Sud
Valérie Layraud
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
La Croix du Sud
 
 
 
À Jean, Nanou et Karine
 
 
 
 
Le soleil des Salins
 
 
 
J’étais née au milieu de la nuit avec la Croix du Sud au-dessus de la tête. Il y a de cela huit ans ! En pleine saison sèche. Tout près du fleuve qui s’étire et qui n’en finit jamais de dormir !
 
Tous les jours, les heures s’égrenaient au creux des vastes siestes mouillées. Comme des perles auxquelles s’accrocher dans la lumière de midi. Le soleil blanc devenait moite, et l’ombre bleue des palétuviers n’offrait plus alors qu’une douceur relative. La chaleur se faisait de plus en plus orange, jusqu’à en devenir rouge. On pouvait fondre si on n’y prenait garde !
 
Je ne dormais jamais pendant la sieste. La sieste, c’était un truc inventé par les grands pour qu’on leur fiche la paix ! Il y avait tellement de rêves à faire et à défaire, tellement d’histoires à se raconter que j’aurais perdu mon temps à dormir. J’aurais voulu au contraire qu’il s’arrête, ce foutu temps, et que je reste là, les yeux fermés, à m’anéantir dans la lumière âcre de la saison sèche qui commençait à s’installer. Non, plutôt les yeux béants, minuscule lézarde dans la lumière du soleil aveuglant. Même en fermant les yeux, la lumière continuait à me brûler le regard. Jusqu’à me sentir emportée par le prisme des couleurs qui s’emmêlaient au fond de mes yeux.
J’entrouvris les paupières. L’éclat tranchant des flots m’éclaboussa. Il n’y avait personne d’autre que moi à cette heure de la journée dehors, pas même les gamins en guenilles qui traînaient d’ordinaire autour de la pissotière au bord du fleuve. Personne ! Si mes parents s’apercevaient que je m’étais glissée hors de ma chambre, ils en feraient une maladie ! Tu vas attraper une insolation ! C’est mauvais pour la santé ! gna gna gna gna gna ! Alors je prenais soin à chaque fois de pousser doucement les contrevents de la porte-fenêtre de ma chambre qui donnaient sur l’arrière de la terrasse. Personne ne venait jamais par là. C’était mon monde à moi, un monde immobile, à part, un monde sans tache et sans ombre, où j’étais à l’abri des cauchemars et des peurs d’enfant.
 
Je regardais le fleuve et le port qui somnolaient face à moi – enfin ce qui restait du port – il fuyait dans la perspective de mon champ de vision. Il y avait un an encore, il était plein de ces hommes de labeur qui chargeaient en chantant les sacs d’arachides arrachés aux seccos sur de gros bateaux à quai. Parfois les capitaines, de gros messieurs bleu marine à képis blancs et or et à grosse moustache blanche venaient dîner à la maison. Ils avaient toujours plein d’histoires de baleines et de mouettes, de requins et de sirènes à raconter toute la soirée.
 
Maintenant les dunes d’arachides avaient disparu et l’horizon, soudain dépouillé de ces rires aigus et de ces odeurs grillées, était devenu aussi muet qu’une carte postale. Il n’y avait plus rien que l’eau endormie du fleuve et la terre battue derrière les grandes grilles rouillées qui marquaient encore l’entrée du port. Seule la poussière dansait encore dans le soleil.
 
J’avais juste un tout petit peu grandi depuis que le port n’existait plus. Ma petite sœur aussi. Moi qui me situais au milieu du monde, je me retrouvais de plus en plus décalée depuis qu’elle était là. Plus possible d’être le centre d’intérêt comme avant ! Elle m’avait volé un peu de ma place dans la maison, et je crois bien que c’est pour ça que je lui en voulais. C’était bien mieux auparavant !
 
Le soleil se faisait de plus en plus dur, là-haut, de l’autre côté du fleuve. À l’opposé de l’ancien port, les Salins me brûlaient les yeux. Je croyais dur comme fer que les dunes de sel qui aveuglaient par leur blancheur brillante, étaient sacrées. Inaccessibles et dérobées aux regards, elles devaient retenir captifs ceux qui avaient l’imprudence de s’en approcher trop près ! Je n’y étais moi-même jamais allée, alors j’imaginais de terribles et fantastiques histoires au sujet de cet endroit – mirage.
 
À travers le grillage qui délimitait la terrasse, le soleil me dessinait des losanges sur mes frêles bras nus. Mes longs cheveux noirs me collaient aux épaules. Engourdie, peu à peu anéantie, je me serais volontiers laissée aller dans la moiteur de l’après-midi, jusqu’à disparaître avec les perles de mes songes sur l’horizon salé du Saloum. Mais, petit à petit, je commençais à entendre, de l’autre côté, le bruissement du va-et-vient revenu des employés du magasin. Fin de la sieste. Fin de ce moment volé et si précieux. Il serait bientôt l’heure de retourner à l’école. Mon père devait être descendu au bureau maintenant. Le magasin allait rouvrir. Vite, il fallait que je retourne dans ma chambre. Ma mère n’allait pas tarder. Je me levai et, une fois rentrée, repoussai à nouveau le volet entrouvert de la porte-fenêtre. La chambre plongée dans la pénombre m’aveugla. Il me fallut quelques secondes avant de me repérer, les yeux encore brûlés de soleil.

Mes pieds nus sur le carrelage froid finirent par me réveiller. Le climatiseur ronronnait doucement. J’avançai prudemment jusqu’à mon lit de peur d’écraser un cafard. Ca m’était déjà arrivé d’en voir courir à travers la chambre, et des énormes en plus ! Rien qu’à l’idée de toucher du pied une de ces immondes capsules noires, j’en avais la nausée. Je mesurai la distance qui me séparait du grand lit disposé au centre de la chambre et, les yeux attachés à ce repère tangible, finis par l’atteindre avec soulagement. Juste au moment où j’entendis le bruit des pas de ma mère qui se rapprochaient… Étendue sous les draps, je jetai un regard rapide au plafond, au-dessus de moi, au cas où une tarente passerait par là. Ma mère m’avait souvent dit que si une tarente urinait sur quelqu’un, cela pouvait le brûler. Alors par réflexe, je rabattais toujours les draps sur ma tête.
 
Ma mère se pencha sur moi. La lumière gicla dans la chambre. Dehors, la cour grouillait de bruits et de cris.
 
Elle avait relevé ses cheveux en chignon et ses yeux en amande étaient ourlés de noir. Elle était plutôt jolie dans sa robe à bretelles. En général c’était elle qui s’occupait de moi l’après-midi. Elle me déposait à l’école avant d’aller au lycée donner ses cours. Le matin, c’était plus souvent mon père. Il pouvait s’absenter en début de journée, avant l’ouverture du magasin.
J’aimais bien mon école. Je n’aurais voulu pour rien au monde la quitter !
Je courus sur la terrasse en m’amusant à sauter sur les seuls damiers noirs. Je devais coûte que coûte éviter les blancs. Je me dis que si j’arrivais sans dépasser un seul carreau noir jusqu’à l’escalier, je serais une fois de plus la première en classe. Gagné !

En contrebas, mon regard plongea dans le charivari de la clientèle qui se hélait, s’interpellait, qui klaxonnait et palabrait. D’où je me trouvais, ils ressemblaient à des petits jouets posés sur une grande scène. Il y avait la carriole tirée par des chevaux qui piaffaient en faisant carillonner leurs grelots rouges et verts, la 2 CV pétaradante, et puis là-bas au fond, un groupe de femmes qui caquetaient dans leurs pagnes chamarrés. Si j’avais eu une baguette magique, je les aurais transformés en personnages d’une cour de Belle au Bois Dormant. Pour que rien ne change, ni ne disparaisse comme le port !
 
De mon observatoire, j’aperçus dans la poussière âcre de la cour Adama qui revenait prendre son service. Le sable faisait comme un halo autour de lui. Il me parut soudain presque irréel, comme si je n’étais plus que spectatrice du monde dans lequel j’évoluais. Il y avait le monde d’en haut et le monde d’en bas. Adama était celui qui, en montant tous les jours l’escalier noir, faisait le lien entre les deux mondes. C’est lui qui parlait wolof en bas dans la cour et français lorsqu’il arrivait en haut. Moi aussi j’aurais bien aimé le parler, le wolof, je n’en connaissais que quelques mots, parce que mes parents m’interdisaient de parler dans cette langue à Adama, ou encore à Sy ou à Fatou. Je le vis s’approcher, son sourire éclatant sur son visage ébène et je me mis moi aussi à rire aux éclats. J’avais toujours connu Adama. C’était lui, ma nounou, quand j’étais petite. Il faisait partie de la maison. Son domaine, c’était la cuisine, au bout de la terrasse, à l’opposé du port. « Nagadef ? »
 
J’avalai mon goûter, pris mon cartable et suivis ma mère qui descendait déjà l’escalier noir. Adama continuait à palabrer en wolof. Il était resté au milieu de l’escalier. Je lui lançai « Salam alécoum » en passant à sa hauteur.
 
Ma mère avait déjà sorti la voiture du garage, et m’attendait au pied de l’escalier en klaxonnant. Je regardai par la portière une fois encore la cour dont l’agitation convergeait vers les portes ouvertes du magasin sur le côté gauche, et je ressentis une sorte de fierté d’habiter là, au-dessus du seul magasin supérette de la région, au bout du bout de la ville, près du port oublié. Je n’étais qu’une toute petite fille de huit ans et ma place ne pouvait pas être ailleurs que là, quelque part entre les Salins et la savane, entre l’ombre et la lumière.
 
Je vis passer au loin, près du magasin, mon père. On le reconnaissait à ses cheveux blancs et à son allure droite. Il ne nous avait pas vues, occupé qu’il était à parler avec un groupe de messieurs en boubous.
 
 
 
 
L’Immaculée Conception
 
 
 
Mon école s’appelait « l’Immaculée Conception ». C’était un nom compliqué, qu’on mettait un certain temps à mâcher en

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