L Umbral
190 pages
Français

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L'Umbral , livre ebook

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Description

Lorsque Guillermo arrive à Paris, tout s’avère bien compliqué pour le jeune homme. Originaire d’Argentine, il a fui son pays pour des raisons politiques et souhaite obtenir l’asile en France. De démarches infructueuses en portes qui se ferment, Guillermo commence à perdre espoir, jusqu’au jour où il décide de demander de l’aide à une association. Cora le prend alors en charge et, peu à peu, des liens se tissent entre les deux jeunes gens. Le combat de Guillermo devient alors celui de Cora...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2010
Nombre de lectures 1
EAN13 9782748375022
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'Umbral
Marie Christine Rosse
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Publibook
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
L'Umbral
 
 
 
Merci à tous ceux (ils se reconnaîtront)
qui m'ont aidée à écrire ce livre.
 
 
 
Guillermo
 
 
 
Au premier cri, le groupe se disperse. Je cours derrière elle. Je cours, les yeux fixés sur sa natte d’Indienne. Sifflements, rafales de balles. Les militaires tirent sans trêve. Je cours, elle trébuche. Je veux la relever. Arraché, précipité brutalement sous le rideau de fer d’une boutique, je donne des coups de pied, je hurle : « où est-elle ? », les camarades me maintiennent au sol, me scellent la bouche.
Je me réveille en sursaut à trois heures du matin, trempé de sueur, j’allume la lumière, je me redresse dans le lit, j’écarte les draps. J’ai du mal à reprendre mon souffle. Être réveillé ne m’apaise pas, je revis les étapes du cauchemar. Depuis des mois, je pensais avoir enfermé toutes ces choses, aucun cauchemar ne me réveillait plus. Cette nuit m’a plongé à nouveau dans l’indicible. Vas-tu te sentir coupable d’avoir réussi ta fuite ? Tu es revenu, tu es vivant, enfin survivant, tu t’en es sorti. Tu ne dois pas payer le fait de vivre normalement, de manger, de marcher, de peindre et même de rire. Tu pensais avoir dépassé l’étape de l’apprentissage du comment revivre. Tu pensais que tes deux années de liberté t’avaient permis de mettre au point une sorte de stratégie de l’oubli. Tu avais réussi à éprouver une douleur virtuelle où tout était enterré. Tu t’intimais la loi suivante : ce qui est douloureux ne doit pas sortir ailleurs que dans tes tableaux. Le cadenas de la boîte aurait-il cédé ? Alors, tout serait à recommencer. Hier, j’ai retouché un dessin. Avec ce dessin, j’ai dû libérer l’angoisse dissimulée depuis mon départ d’Argentine.
Lentement, le jour se lève laissant apparaître le plan coupé gris du long toit de l’église Saint Merri. Du café chaud, du pain grillé et une bonne douche effacent les dernières traces de la mauvaise nuit. La perspective d’une journée qui devrait m’apporter de la nouveauté me redonne de l’espoir.
Jacqueline Lambert, ma logeuse, ma voisine, l’adorable personne qui m’a tendu la main en France, m’a mis en relation avec une association. Une certaine Cora, qui parle espagnol, m’a fixé un rendez-vous, métro Saint Paul. J’irai à pied. Au téléphone, j’ai dit.
— Je porterai un chapeau et une veste noire.
La jeune femme a répondu :
— Tout en noir, comme les chanteurs du Cuarteto Cedrón  ?
— Plus noir si possible !
— Moi, je nouerai un foulard rouge à mon cou.
Carrefour Saint-Paul, endroit de rencontre aussi populaire que la Fontaine Saint Michel, les gens sortent en paquet du métro. Devant la vitre d’un magasin ma silhouette : « belle allure, bien, le chapeau feutre. Attention ! Mademoiselle Cora, dans mon pays, on raconte que les petites françaises sont des filles faciles ! Mon français n’est pas si rouillé ! Si ça coince, lui parler de Jacqueline Lambert. Les Français déjeunent tôt, mais à midi, elle n’aura pas déjeuné, je proposerai un verre. »
J’avance et recule, regarde dans la montée de l’escalier roulant, me dirige jusqu’à la sortie des escaliers. Défilent les bonnets de laine, les capuches, les capotes, les bérets, les casquettes, les borsalinos. Pour me distinguer des latinos toujours en retard, je suis arrivé en avance et je fais le pied de grue, depuis une demi-heure.
Une femme me fixe, hésite.
— Cora ?
Elle fait « non » de la tête, tourne sur elle-même, s’éloigne.
La femme hésitante a rencontré son rendez-vous : un monsieur gras, en costume gris, le visage blanc perlé de sueur qui lui hurle.
— Personne n’a le droit d’entrer dans mon bureau quand je m’absente, vous comprenez ?
Oh ! Non ! Pas cette grosse femme au chapeau tyrolien ! Ouf ! Elle retourne dans le métro.
J’attends depuis plus d’une heure, je me décide à appeler de la cabine téléphonique.
— Mais non ! Las dos. Pas las doce. Je viens ? Vous allez faire un tour en m’attendant ? Alors à las dos .
Je comprends la confusion de Cora entre douze et deux. Mon accent d’Argentin siffle les « s ».
Elle a répété : «  lo siento mucho, lo siento mucho. » Désolée, désolée, cette femme se culpabilise facilement.
Je quitte la cabine téléphonique, longe la rue de Rivoli. J’entre dans un magasin, palpe une veste de velours couleur châtaigne. « Ta sœur recommence à s’habiller n’importe comment ! » Chuchote une dame à l’oreille de son mari. Je marche sur le Pont Marie, puis dans la rue des Deux-Ponts qui rejoint l’Île Saint-Louis, je m’achète une crêpe à la confiture de fraises. Je descends sur les quais calmes, le long de la Seine, les pavés inégaux en damier, la beauté de ce nuancier de gris m’absorbe, reflets sur l’eau en rayures, gamme de gris cendré, aile de pigeon, souris, bleuté, anthracite, un camaïeu à l’infini du plombé mat au gris ardoise brillant. Cora a précisé au téléphone « vous êtes peintre, j’ adorrre la peinture ». Je n’ai aucun tableau à lui montrer, mon chantier n’est pas assez avancé. Dans le jardin de l’Archevêché, je m’arrête devant les parterres de tulipes et jonquilles colorées. Ce n’est pourtant pas encore le printemps, le vent est glacé. Si seulement les parisiens ramassaient les crottes de leurs chiens !
J’éprouve de la curiosité pour ce rendez-vous, de l’impatience aussi. Elle a une jolie voix, elle est jeune, mais pourvu que cette femme soit souriante, j’en ai besoin. À force de traîner, je vais être en retard, Cora m’attendra. J’accélère ma marche, j’atteins de nouveau l’esplanade du métro Saint Paul, elle n’arrive pas. J’ai peur d’aborder quelqu’un qui ne soit pas elle. Sur la couverture du Nouvel Observateur , le visage étroit, pincé du Président Valéry Giscard d’Estaing. Décidément, le temps à ce carrefour ne s’écoule pas. J’ai lu tous les titres des journaux du kiosque. Samedi 1 er  mars 1980. VGE commence sa visite aux États Arabes du golfe. Face à face : Mitterrand-Rocard. Grand prix automobile d’Afrique du Sud, les chances françaises sont grandes. Raymond Barre annonce : « ras le bol de la sinistrose française ».
Cette fois, c’est elle. Elle pose un pied assuré sur la dernière marche de l’escalier de sortie et se présente :
— Cora Lindgren.
— Guillermo Montale.
Je la salue en soulevant mon chapeau, les yeux de Cora rient. Je m’exclame :
— Vous êtes si jeune !
Je ne suis peut-être pas plus vieux qu’elle, mais dans mes cheveux longs se mêlent des fils blancs. Elle demande.
—  A donde vamos  ?
— C’est un peu tôt pour aller boire un verre, non ?
Elle lève les sourcils :
— Ah ! Mais vous parlez bien le français !
— J’ai vécu à Paris.
Je la conduis dans un endroit tranquille «  Le loir dans la théière » de la rue des Rosiers.
— Mille excuses, je suis confuse de vous avoir fait attendre.
Je la dévisage. Ses yeux sont marron, ses cheveux épais, frisés d’une couleur auburn, avec le bout des boucles plus blond, son nez droit, son large sourire qui équilibre son menton un peu long. Elle se lève, s’excuse de nouveau avant de se diriger vers les toilettes. Je la suis du regard, elle est de taille moyenne, son corps se distingue mal dans des vêtements amples. Elle revient, ses gestes sont vifs.
— Que voulez-vous boire ?
— Un chocolat.
— Alors deux chocolats.
— Vous venez d’Argentine ?
— Dans mes veines coule du sang italien, autrichien et français par le vin.
— Vous êtes drôle !
— Ah !
— Vous ne cherchez pas vos mots en français, vous parlez avec assurance.
— Enfant, j’ai vécu à Paris.
— Ah ! Je comprends et vous êtes revenu ?
— J’ai dû fuir l’Argentine. À cause de mes idées folles sur l’égalité. Je cherche à obtenir le statut de réfugié politique. Dans quelle association travaillez-vous ?
—  À « France terre d’asile ». Je vous aiderai dans vos démarches.
— Je suis ici depuis plus d’un an et rien n’avance. Le problème est que pour obtenir une carte de travail, il faut cotiser à la Sécurité sociale, et pour obtenir la carte de séjour, il faut une carte de travail, un cercle vicieux. Pour l’instant, je bénéficie de la protection subsidiaire. Je suis allé plusieurs fois à la Préfecture de police de Paris. Après une heure de queue, on parle devant une vitre sale…
— Un hygiaphone.
— Oui, et derrière, un fonctionnaire vous donne une liste de renseignements à fournir. Il a l’air tellement exaspéré, qu’on pourrait lire sur ses lèvres « s’il n’est pas content celui-là, qu’il retourne d’où il vient ».
— Vous parlez drôlement bien ! Habituellement, les étrangers que j’accueille ne s’expriment qu’en espagnol. Je les récupère à leur descente d’avion, je dois les mettre en confiance, les soutenir.
— Mais moi, aussi j’ai besoin d’aide !
— Je veux dire que je leur indique différentes possibilités pour suivre des cours de français et certains s’inscrivent à l’ANFA.
—  Qu’est-ce que c’est ?
— L’Association Nationale de la Formation des Adultes, vous n’avez pas besoin de tout cela, vous vous débrouillez très bien.
— Pour vous dire la vérité, je suis entré en France comme étudiant à l’école des Beaux-arts, mais cette bourse n’était que pour une année.
— Ne vous inquiétez pas, on ira ensemble à la Préfecture de Police pour obtenir votre statut de réfugié politique.
J’acquiesce. Elle sourit. Elle sent bon.
—  Dans les administrations, les guichetiers cherchent toujours la petite bête, j’irai pour vous, ils ne me tracasseront pas.
— Jolie comme vous êtes, vous charmeriez des ours.
— J’ai un peu l’habitude, c’est tout. En mille neuf cent soixante-treize, au sein de « F

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