L'Évangile de la vie , livre ebook

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La onzième encyclique du pape Jean-Paul II.

Dans cette encyclique sur la vie humaine, Jean-Paul II rappelle avec force la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine, à tous les stades de son développement.

Retrouvez les 14 encycliques de Jean-Paul II rassemblées dans un seul livre numérique : Encycliques, pour 14,99 €.


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Date de parution

15 avril 2011

Nombre de lectures

7

EAN13

9782728914913

Langue

Français

Jean-Paul II
L'Évangile de la vie Lettre encyclique
Documents d’Église
BAYARD ÉDITIONS – FLEURUS-MAME LES ÉDITIONS DU CERF
©Libreria editrice vaticana, 2003 (Cité du Vatican) pour l’édition originale
© Bayard Éditions, Fleurus-Mame et les Éditions du Cerf, 2003 pour l’édition française
Bayard Éditions – 18 rue Barbès – 91100 Montrouge Fleurus-Mame – 15-27 rue Moussorgski – 75018 Paris Les Éditions du Cerf – 29 boulevard La Tour Maubourg – 75007 Paris ISBN numérique : 978-2-7289-1491-3
Ioannes Paulus PP. II Evangelium vitae
Aux évêques, aux presbytres et aux diacres aux religieux et aux religieuses aux fidèles laïcs et à toutes les personnes de bonne volonté sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine 1995.03.25
INTRODUCTION
1.L’Évangile de la vie se trouve au cœur du message de Jésus. Reçu chaque jour par l’Église avec amour, il doit être annoncé avec courage et fidélité comme une bonne nouvelle pour les hommes de toute époque et de toute culture. À l’aube du salut, il y a la naissance d’un enfant, proclamée comme une joyeuse nouvelle : « Je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la cité de David » (Lc10-11). Assurément, la naissance du 2, Sauveur a libéré cette « grande joie », mais, à Noël, le sens plénier de toute naissance humaine se trouve également révélé, et la joie messianique apparaît ainsi comme le fondement et l’accomplissement de la joie qui accompagne la naissance de tout enfant (cf.Jn16, 21). Exprimant ce qui est au cœur de sa mission rédemptrice, Jésus dit : « Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance » (Jn10). En vérité, il veut parler de la vie 10, « nouvelle » et « éternelle » qui est la communion avec le Père, à laquelle tout homme est appelé par grâce dans le Fils, par l’action de l’Esprit sanctificateur. C’est précisément dans cette « vie » que les aspects et les moments de la vie de l’homme acquièrent tous leur pleine signification.
La valeur incomparable de la personne humaine
2.L’homme est appelé à une plénitude de vie qui va bien au-delà des dimensions de son existence sur terre, puisqu’elle est la participation à la vie même de Dieu. La profondeur de cette vocation surnaturelle révèle lagrandeur et leprix de la vie humaine, même dans sa phase temporelle. En effet, la vie dans le temps est une condition fondamentale, un moment initial et une partie intégrante du développement entier et unitaire de l’existence humaine. Ce développement de la vie, de manière inattendue et imméritée, est éclairé par la promesse de la vie divine et renouvelé par le don de cette vie divine ; il atteindra son plein accomplissement dans l’éternité (cf.1 Jn3, 1-2). En même temps, cette vocation surnaturelle souligne lecaractère relatif de la vie terrestre de l’homme et de la femme. En vérité, celle-ci est une réalité qui n’est pas « dernière », mais « avant-dernière » ; c’est de toute façon uneréalité sacréequi nous est confiée pour que nous la gardions de manière responsable et que nous la portions à sa perfection dans l’amour et dans le don de nous-mêmes à Dieu et à nos frères. 1 L’Église sait que cetÉvangile de la vie,qui lui a été remis par son Seigneur , trouve un écho profond et convaincant dans le cœur de chaque personne, croyante et même non croyante, parce que, tout en dépassant infiniment ses attentes, il y correspond de manière surprenante. Malgré les difficultés et les incertitudes, tout homme sincèrement ouvert à la vérité et au bien peut, avec la lumière de la raison et sans oublier le travail secret de la grâce, arriver à reconnaître, dans la loi naturelle inscrite dans les cœurs (cf.Rm2, 14-15), la valeur sacrée de la vie humaine depuis son commencement jusqu’à son terme ; et il peut affirmer le droit de tout être humain à voir intégralement respecter ce bien qui est pour lui primordial. La convivialité humaine et la communauté politique elle-même se fondent sur la reconnaissance de ce droit. La défense et la mise en valeur de ce droit doivent être, de manière particulière, l’œuvre de ceux qui croient au Christ, conscients de la merveilleuse vérité rappelée par le concile Vatican II : « Par 2 son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme ». Dans cet événement de salut, en effet, l’humanité reçoit non seulement la révélation de l’amour infini de Dieu qui « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn3, 16), mais aussi celle dela valeur incomparable de toute personne humaine. Et, scrutant assidûment le mystère de la Rédemption, l’Église reçoit cette valeur avec un 3 étonnement toujours renouvelé et elle se sent appelée à annoncer aux hommes de tous les temps cet « évangile », source d’une espérance invincible et d’une joie véritable pour chaque époque de l’histoire.L’Évangile de l’amour de Dieu pour l’homme, l’Évangile de la dignité de la personne et l’Évangile de la vie sont un Évangile unique et indivisible. C’est pourquoi l’homme, l’homme vivant, constitue la route première et fondamentale de 4 l’Église .
Les nouvelles menaces contre la vie humaine
3.En vertu du mystère du Verbe de Dieu qui s’est fait chair (cf.Jn1, 14), tout homme est confié à la sollicitude maternelle de l’Église. Aussi toute menace contre la dignité de l’homme et contre sa vie ne peut-elle que toucher le cœur même de l’Église ; elle ne peut que l’atteindre au centre de sa foi en l’Incarnation rédemptrice du Fils de Dieu et dans sa mission d’annoncer l’Évangile de la viedans le monde entier et à toute créature (cf.Mc16, 15). Aujourd’hui, cette annonce devient particulièrement urgente en raison de la multiplication et de l’aggravation impressionnantes des menaces contre la vie des personnes et des peuples, surtout quand cette vie est faible et sans défense. Aux fléaux anciens et douloureux de la misère, de la faim, des maladies endémiques, de la violence et des guerres, il s’en ajoute d’autres, dont les modalités sont nouvelles et les dimensions inquiétantes. Dans une page d’une dramatique actualité, le concile Vatican II a déploré avec force les multiples crimes et attentats contre la vie humaine. Trente ans plus tard, faisant miennes les paroles de l’assemblée conciliaire, je déplore ces maux encore une fois et avec la même force au nom de l’Église tout entière, certain d’être l’interprète du sentiment authentique de toute conscience droite : « Tout ce qui s’oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d’homicide, le génocide, l’avortement, l’euthanasie et même le suicide délibéré ; tout ce qui constitue une violation de l’intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les tentatives de contraintes psychiques ; tout ce qui est offense à la dignité de l’homme, comme les conditions de vie infrahumaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable : toutes ces pratiques et d’autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu’elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s’y livrent plus 5 encore que ceux qui les subissent, et elles insultent gravement à l’honneur du Créateur ».
4.Malheureusement, ce panorama inquiétant, loin de se rétrécir, va plutôt en s’élargissant : avec les nouvelles perspectives ouvertes par le progrès scientifique et technique, on voit naître de nouvelles formes d’attentats à la dignité de l’être humain. En même temps, se dessine et se met en place une nouvelle situation culturelle qui donne aux crimes contre la vieun aspect inédit et – si cela se peut – encore plus injuste,qui suscite d’autres graves préoccupations : de larges ce couches de l’opinion publique justifient certains crimes contre la vie au nom des droits de la liberté individuelle, et, à partir de ce présupposé, elles prétendent avoir non seulement l’impunité, mais même l’autorisation de la part de l’État, afin de les pratiquer dans une liberté absolue et, plus encore, avec l’intervention gratuite des services de santé. Tout cela provoque un profond changement dans la façon de considérer la vie et les relations entre les hommes. Le fait que les législations de nombreux pays, s’éloignant le cas échéant des principes mêmes qui fondent leurs Constitutions, aient accepté de ne pas punir ou, plus encore, de reconnaître la légitimité totale de ces pratiques contre la vie est tout à la fois un symptôme préoccupant et une cause non négligeable d’un grave effondrement moral : des choix considérés jadis par tous comme criminels et refusés par le sens moral commun deviennent peu à peu socialement respectables. La médecine elle-même, qui a pour vocation de défendre et de soigner la vie humaine, se prête toujours plus largement dans certains secteurs à la réalisation de ces actes contre la personne ; ce faisant, elle défigure son visage, se met en contradiction avec elle-même et blesse la dignité de ceux qui l’exercent. Dans un tel contexte culturel et légal, même les graves problèmes démographiques, sociaux ou familiaux, qui pèsent sur de nombreux peuples du monde et qui exigent une attention responsable et active des communautés nationales et internationales, risquent d’être résolus de manière fausse et illusoire, en contradiction avec la vérité et avec le bien des personnes et des nations. Le résultat auquel on parvient est dramatique : s’il est particulièrement grave et inquiétant de voir le phénomène de l’élimination de tant de vies humaines naissantes ou sur le chemin de leur déclin, il n’est pas moins grave et inquiétant que la conscience elle-même, comme obscurcie par d’aussi profonds conditionnements, ait toujours plus de difficulté à percevoir la distinction entre le bien et le mal sur les points qui concernent la valeur fondamentale de la vie humaine.
En communion avec tous les Évêques du monde 5.Le problème des menaces contre la vie humaine en notre temps a fait l’objet duConsistoire
extraordinairedes Cardinaux qui a eu lieu à Rome du 4 au 7 avril 1991. Après un examen ample et approfondi du problème et des défis lancés à toute la famille humaine, en particulier à la communauté chrétienne, les Cardinaux m’ont, par un vote unanime, demandé de réaffirmer avec l’autorité du Successeur de Pierre la valeur de la vie humaine et son inviolabilité, eu égard aux circonstances actuelles et aux attentats qui la menacent aujourd’hui. Après avoir accueilli cette requête, j’ai, le jour de la Pentecôte 1991, adressé unelettre personnellechacun de mes Frères dans l’épiscopat pour qu’il m’apporte, dans l’esprit de la à collégialité épiscopale, sa collaboration en vue de la rédaction d’un document portant sur cette 6 question . Je suis profondément reconnaissant à tous les évêques qui m’ont répondu, me donnant des informations, des suggestions et des propositions qui m’ont été précieuses. De cette façon aussi, ils ont apporté le témoignage de leur participation unanime et sincère à la mission doctrinale et pastorale de l’Église au sujet de l’Évangile de la vie. Dans la même lettre, peu avant la célébration du centenaire de l’EncycliqueRerum novarum, j’attirais l’attention de tous sur cette singulière analogie : « De même qu’il y a un siècle, c’était la classe ouvrière qui était opprimée dans ses droits fondamentaux, et que l’Église prit sa défense avec un grand courage, en proclamant les droits sacro-saints de la personne du travailleur, de même, à présent, alors qu’une autre catégorie de personnes est opprimée dans son droit fondamental à la vie, l’Église sent qu’elle doit, avec un égal courage, donner une voix à celui qui n’a pas de voix. Elle reprend toujours le cri évangélique de la défense des pauvres du monde, de 7 ceux qui sont menacés, méprisés et à qui l’on dénie les droits humains ». Il y a aujourd’hui une multitude d’êtres humains faibles et sans défense qui sont bafoués dans leur droit fondamental à la vie, comme le sont, en particulier, les enfants encore à naître. Si l’Église, à la fin du siècle dernier, n’avait pas le droit de se taire face aux injustices qui existaient alors, elle peut encore moins se taire aujourd’hui, quand, aux injustices sociales du passé qui ne sont malheureusement pas encore surmontées, s’ajoutent en de si nombreuses parties du monde des injustices et des phénomènes d’oppression même plus graves, parfois présentés comme des éléments de progrès en vue de l’organisation d’un nouvel ordre mondial. La présente encyclique, fruit de la collaboration de l’épiscopat de tous les pays du monde, veut donc êtreune réaffirmation précise et ferme de la valeur de la vie humaine et de son inviolabilité,et, en même temps, un appel passionné adressé à tous et à chacun, au nom de Dieu : respecte, défends, aime et sers la vie, toute vie humaine ! C’est seulement sur cette voie que tu trouveras la justice, le développement, la liberté véritable, la paix et le bonheur ! Puissent ces paroles parvenir à tous les fils et à toutes les filles de l’Église ! Puissent-elles parvenir à toutes les personnes de bonne volonté, soucieuses du bien de chaque homme et de chaque femme ainsi que du destin de la société entière !
6.En profonde communion avec chacun de mes frères et sœurs dans la foi et animé par une amitié sincère pour tous, je veuxméditer à nouveau et annoncer l’Évangile de la vie, splendeur de la vérité qui éclaire les consciences, lumière vive qui guérit le regard obscurci, source intarissable de constance et de courage pour faire face aux défis toujours nouveaux que nous rencontrons sur notre chemin. Et, tandis que je repense aux riches expériences vécues pendant l’Année de la Famille, comme pour donner une conclusion à laLettreque j’ai adressée « à chaque famille concrète de toutes les 8 régions de la terre », je porte mon regard avec une confiance renouvelée vers tous les foyers et je souhaite que renaisse et se renforce à tous les niveaux l’engagement de tous à soutenir la famille, pour qu’aujourd’hui encore – au milieu de nombreuses difficultés et de lourdes menaces – elle 9 demeure constamment, selon le dessein de Dieu, comme un « sanctuaire de la vie ». À tous les membres de l’Église,peuple de la vie et pour la vie,j’adresse le plus pressant des appels afin qu’ensemble nous puissions donner à notre monde de nouveaux signes d’espérance, en agissant pour que grandissent la justice et la solidarité, et que s’affirme une nouvelle culture de la vie humaine, pour l’édification d’une authentique civilisation de la vérité et de l’amour.
CHAPITRE I LA VOIX DU SANG DE TON FRÈRE CRIE VERS MOI DU SOL LES MENACES ACTUELLES CONTRE LA VIE HUMAINE
« Caïn se jeta contre son frère Abel et le tua » (Gn 4, 8) : à la racine de la violence contre la vie
7.« Dieu n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Il a tout créé pour l’être… Oui,Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité ; il en a fait une image de sa propre nature. C’est par l’envie du diable quela mort est entrée dans le monde ;ils en font l’expérience, ceux qui lui appartiennent » (Sg1, 13-14 ; 2, 23-24). L’Évangile de la vie, proclamé à l’origine avec la création de l’homme à l’image de Dieu en vue d’un destin de vie pleine et parfaite (cf.Gn7 ; 2, Sg2-3), fut contredit par l’expérience 9, déchirante dela mort qui entre dans le mondequi jette l’ombre du non-sens sur toute et l’existence de l’homme. La mort y entre à cause de la jalousie du diable (cf.Gn 3, 1.4-5) et du péché de nos premiers parents (cf.Gn 2, 17 ; 3, 17-19). Et elle y entre de manière violente,à cause du meurtre d’Abel par son frère Caïn :« Comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua » (Gn4, 8). Ce premier meurtre est présenté avec une éloquence singulière dans une page paradigmatique du livre de la Genèse : une page récrite chaque jour dans le livre de l’histoire des peuples, sans trêve et d’une manière répétée qui est dégradante. Relisons ensemble cette page biblique qui, malgré son archaïsme et son extrême simplicité, se présente comme particulièrement riche d’enseignements. «Abel devint pasteur de petit bétail et Caïn cultivait le sol. Le temps passa et il advint que Caïn présenta des produits du sol en offrande au Seigneur et qu’Abel, de son côté, offrit des premiers-nés de son troupeau, et même de leur graisse. Or le Seigneur agréa Abel et son offrande. Mais il n’agréa pas Caïn et son offrande, et Caïn en fut très irrité et eut le visage abattu. Le Seigneur dit à Caïn : “Pourquoi es-tu irrité et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu es bien disposé, ne relèveras-tu pas la tête ? Mais si tu n’es pas bien disposé, le péché n’est-il pas à la porte, une bête tapie qui te convoite ? Pourras-tu la dominer ? Cependant Caïn dit à son frère Abel : “Allons dehors”, et, comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua. Le Seigneur dit à Caïn : “Où est ton frère Abel ?” Il répondit : “Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ?” Le Seigneur reprit : “Qu’as-tu fait ! Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit : tu seras un errant parcourant la terre”. Alors Caïn dit au Seigneur : “Ma peine est trop lourde à porter. Vois ! Tu me bannis aujourd’hui du sol fertile, je devrai me cacherloin de ta face et je serai un errant parcourant la terre, mais le premier venu me tuera !” Le Seigneur lui répondit : “Aussi bien si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois”, et le Seigneur mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne le frappât point. Caïn se retira de la présence du Seigneur et séjourna au pays de Nod, à l’orient d’Éden »(Gn4, 2-16).
8.Caïn est « très irrité » et il a le visage « abattu » parce que « le Seigneur agréa Abel et son offrande » (Gn4, 4). Le texte biblique ne révèle pas le motif pour lequel Dieu préfère le sacrifice d’Abel à celui de Caïn ; mais il montre clairement que, tout en préférant le don d’Abel,il n’interrompt pas son dialogue avec Caïn. Il l’avertiten lui rappelant sa liberté face au mal : l’homme n’est en rien prédestiné au mal. Certes, comme l’était déjà Adam, il est tenté par la puissance maléfique du péché qui, comme une bête féroce, est tapi à la porte de son cœur, guettant le moment de se jeter sur sa proie. Mais Caïn demeure libre face au péché. Il peut et il doit le dominer : « Il te convoite, mais toi, domine-le ! » (Gn4, 7). La jalousie et la colère l’emportentsur l’avertissement du Seigneur, et c’est pourquoi Caïn se jette sur son frère et le tue. Comme on le lit dans leCatéchisme de l’Église catholique, « l’Écriture, dans le récit du meurtre d’Abel par son frère Caïn, révèle, dès les débuts de l’histoire humaine, la présence dans l’homme de la colère et de la convoitise, conséquences du péché 10 originel. L’homme est devenu l’ennemi de son semblable ». Le frère tue le frère.Comme dans le premier fratricide, dans tout homicide est violéela parenté
11 « spirituelle », tous participant du même bienqui réunit les hommes en une seule grande famille unique fondamental : une égale dignité personnelle. Il n’est pas rare que soit parallèlement violée la parenté « de la chair et du sang », par exemple lorsque les menaces contre la vie se développent dans les rapports entre parents et enfants : c’est le cas de l’avortement ou bien, dans un contexte familial ou parental plus large, celui de l’euthanasie favorisée ou provoquée. À la source de toute violence contre le prochain, il y ale fait de céder à la « logique » du Mauvais,c’est-à-dire de celui qui « était homicide dès le commencement » (Jn8, 44), comme nous le rappelle l’Apôtre Jean : « Car tel est le message que vous avez entendu dès le début : nous devons nous aimer les uns les autres, loin d’imiter Caïn, qui, étant du Mauvais, égorgea son frère » (1 Jn3, 11-12). Ainsi, le meurtre du frère à l’aube de l’histoire donne un triste témoignage de la manière dont le mal progresse avec une rapidité impressionnante : à la révolte de l’homme contre Dieu au paradis terrestre s’ajoute la lutte mortelle de l’homme contre l’homme. Après le crime,Dieu intervient pour venger la victime.Face à Dieu qui l’interroge sur le sort d’Abel, Caïn, au lieu de se montrer troublé et de demander pardon, élude la question avec arrogance : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn4, 9). «Je ne sais pas »: par le mensonge, Caïn cherche à couvrir son crime. C’est ainsi que cela s’est souvent passé et que cela se passe quand les idéologies les plus diverses servent à justifier et à masquer les crimes les plus atroces perpétrés contre la personne. «Suis-je le gardien de mon frère ? »Caïn ne veut pas : penser à son frère et refuse d’assumer la responsabilité de tout homme vis-à-vis d’un autre. On pense spontanément aux tendances actuelles qui font perdre à l’homme sa responsabilité à l’égard de son semblable : on en a des symptômes, entre autres, dans la perte de la solidarité à l’égard des membres les plus faibles de la société – comme les personnes âgées, les malades, les immigrés, les enfants –, et dans l’indifférence qu’on remarque souvent dans les rapports entre les peuples même quand il y va de valeurs fondamentales comme la survie, la liberté et la paix.
9.MaisDieu ne peut laisser le crime impuni : du sol sur lequel il a été versé, le sang de la victime exige que Dieu fasse justice (cf.Gn37, 26 ;Is26, 21 ;Ez24, 7-8). De ce texte, l’Église a tiré l’expression de « péchés qui crient vengeance à la face de Dieu » et elle y a inclus, au premier 12 chef, l’homicide volontaire . Pour les Juifs comme pour de nombreux peuples de l’Antiquité, le sang est le lieu de la vie ; bien plus, « le sang est la vie » (Dt 12, 23) et la vie, surtout la vie humaine, n’appartient qu’à Dieu ; c’est pourquoicelui qui attente à la vie de l’homme attente en quelque sorte à Dieu lui-même. Caïnest maudit par Dieu et aussi par la terre qui lui refusera ses fruits (cf.Gn4, 11-12). Etil est puni :il habitera dans la steppe et dans le désert. La violence homicide change profondément le cadre de vie de l’homme. La terre, qui était le « jardin d’Éden » (Gn2, 15), lieu d’abondance, de relations interpersonnelles sereines et d’amitié avec Dieu, devient le « pays de Nod » (Gn4, 16), lieu de la « misère », de la solitude et de l’éloignement de Dieu. Caïn sera « un errant parcourant la terre » (Gn4, 14) : l’incertitude et l’instabilité l’accompagneront sans cesse. Toutefois Dieu, toujours miséricordieux même quand il punit, «mit un signe sur Caïn,afin que le premier venu ne le frappât point » (Gn4, 15) : il lui donne donc un signe distinctif, qui a pour but de ne pas le condamner à être rejeté par les autres hommes mais qui lui permettra d’être protégé et défendu contre ceux qui voudraient le tuer, même pour venger la mort d’Abel. Meurtrier, il garde sa dignité personnelleDieu lui-même s’en fait le garant. Et c’est et précisément ici que se manifestele mystère paradoxal de la justice miséricordieuse de Dieu, ainsi que l’écrit saint Ambroise : « Comme il y avait eu fratricide, c’est-à-dire le plus grand des crimes, au moment où s’introduisit le péché, la loi de la miséricorde divine devait immédiatement être étendue ; parce que, si le châtiment avait immédiatement frappé le coupable, les hommes, quand ils puniraient, n’auraient pas pu se montrer tolérants ou doux, mais ils auraient immédiatement châtié les coupables. […] Dieu repoussa Caïn de sa face et, comme il était rejeté par ses parents, il le relégua comme dans l’exil d’une habitation séparée, parce qu’il était passé de la douceur humaine à la cruauté de la bête sauvage. Toutefois, Dieu ne voulut pas punir le meurtrier 13 par un meurtre, puisqu’il veut amener le pécheur au repentir plutôt qu’à la mort ».
« Qu’as-tu fait ? » (Gn 4, 10) : l’éclipse de la valeur de la vie 10.Le Seigneur dit à Caïn : « Qu’as-tu fait ? Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! » (Gn 4, 10).La voix du sang versé par les hommes ne cesse pas de crier,génération en de
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