Fatras de vies
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Fatras de vies , livre ebook

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Description

« Pourquoi des vies si divergentes de deux gamins rigoureusement semblables ? Je l'ignore. Et je ne vais pas me lancer dans de la psychologie à deux sous, pour tenter de l'expliquer. Ce qui est certain, ce que j'affirme, c'était notre ressemblance. À tel point que, pensant à ces temps lointains, il me vient spontanément à l'esprit quelques vers d'Alfred de Musset : “Comme j'allais avoir quinze ans Je marchais un jour, à pas lents Dans un bois, sur une bruyère. Au pied d'un arbre vint s'asseoir Un jeune homme vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère.” » Albert Géron et Pierre Germain sont deux amis d'enfance dont les chemins se sont séparés après la Grande Guerre. L'un, marié, a suivi une voie traditionnelle ; l'autre, célibataire, s'est isolé dans la solitude et est devenu avec le temps misanthrope. Fatras de vies romance ainsi la vie de cet ami anticonformiste, de sa jeunesse à ses aventures, puis son entrée dans le certain âge, où la solitude s'est révélée être une compagne bien plaisante. Tantôt coup de poing, tantôt touchant, ce roman de société porte un regard à la fois historique et personnel sur les années qui ont suivi la guerre à travers les yeux d'un personnage peu commun !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 octobre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342056273
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Fatras de vies
Albert Géron
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Publibook
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Fatras de vies
 
Préface
Pourquoi mentir ? Ce récit n’est pas le mien.
Ou peut-être si, mais d’une certaine façon…
Je m’explique :
Pierre Germain est mon ami, un ami de toujours. J’entends par là que nous nous sommes connus il y a bien longtemps.
C’était pendant la guerre, la grande, la vraie ; celle qui a massacré soixante millions d’êtres humains.
Nous étions alors de tout jeunes bambins ; nous jouions ensemble, nous ne nous quittions guère. C’est dire, qu’aujourd’hui, nous accusons un certain âge, pour ne pas dire un âge certain. Puis, nous avons tous deux émigré vers la grande ville, pour entrer au lycée. Et après quelque temps, nous nous sommes séparés.
Pour ma part, j’ai suivi mon propre chemin et me suis marié. J’ai aujourd’hui de beaux petits-enfants. Pierre, resté célibataire, vit chez lui en solitaire. Il est même, je pense, devenu un peu misanthrope.
Pourquoi des vies si divergentes de deux gamins rigoureusement semblables ? Je l’ignore. Et je ne vais pas me lancer dans de la psychologie à deux sous, pour tenter de l’expliquer. Ce qui est certain, ce que j’affirme, c’était notre ressemblance. À tel point que, pensant à ces temps lointains, il me vient spontanément à l’esprit quelques vers d’Alfred de Musset :
 
« Comme j’allais avoir quinze ans
Je marchais un jour, à pas lents
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d’un arbre vint s’asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère. »
 
Mais le temps a achevé ses mauvais coups et, dorénavant, il serait plus judicieux d’écrire, à propos de nous deux : « Jean qui pleure et Jean qui rit. » Encore que…
En effet, ce n’est pas parce que j’ai suivi, comme tout le monde, « la route moutonnière » que je dois mépriser le chemin de mon ami, et me tordre quotidiennement de rire. Loin de connaître l’apaisement d’une vie réussie, il m’arrive souvent d’envier la liberté absolue dont semble jouir mon vieux copain ; et j’ai la certitude qu’il doit connaître des moments de bonheur qui me sont interdits.
Le mariage, certainement, est une belle chose. Disons plutôt qu’il est physiologiquement « normal » et conforme au destin de l’espèce : celui de procréer. Là-dessus aucun doute.
Mais tout de même… Quand les années ont passé, quand on se retrouve seul avec sa vieille compagne – devenue laide et empoisonnante – quand on fait dorénavant chambre à part, faute de désir sexuel, il arrive que l’homme marié lorgne avec envie sur le célibataire – cet être libre comme le vent, à l’abri des scènes de ménage. C’est tout simplement humain !
Mais, d’un autre côté, mon pauvre Pierre esseulé doit lorgner sur mes beaux chérubins, et regretter quelquefois les soirs de Noël en famille.
Mon redouté Dieu tout-puissant, pourquoi, dans ta sagesse douteuse, nous as-tu conçus si peu logiques et éternellement insatisfaits ?
Je disais donc que Pierre et moi étions de très vieux amis, presque des doubles, qui auraient pu avoir dormi, naguère, dans un même berceau. Ce genre d’empreinte des origines d’une vie ne s’efface jamais, et nous avons toujours adopté, entre nous, un ton d’intimité (parfois bourru) qui est la marque des membres d’une famille unie. Et cela, même après des années de séparation. Et si, dit-on, les oiseaux se cachent pour mourir, les humains aiment toujours, quand ils le peuvent, finir leurs jours là où ils sont nés. C’est pourquoi lui et moi habitons le même quartier, pas très loin de la « longue maison » dont il sera question dans ce récit. Je me rends souvent chez lui, pour discuter librement (et pas toujours gentiment…). Lui, fidèle à son personnage, ne met jamais les pieds chez moi ; mais je lui pardonne.
Pour les non-initiés, son accueil est glacial : c’est pourquoi les visiteurs se font rares. En vous tendant la main, il a toujours l’air de dire :
« Que venez-nous faire chez moi ? » De quoi refroidir son homme (même un démarcheur, réputé coriace). Un vrai misanthrope, je vous dis…
Mais je sais, moi, qu’il s’agit d’un bluff, que Pierre est bon et sensible (timide même), qu’il se défend comme il le peut et que, comme certains cabots agressifs, il fond dès qu’on lui murmure de douces paroles. C’est pourquoi je resterai toujours son ami.
 
L’autre jour, je lui rendis visite, comme j’en ai l’habitude. Le temps était agréable, bien que nous fussions en hiver. Mais le Midi est toujours le Midi, et nous n’avions pas froid sur sa grande terrasse du premier étage. Pierre me servit d’autorité une tasse de café corsé, respectant ainsi une longue tradition de sa famille. Et nous restâmes côte à côte, sans parler, goûtant la douceur de ce climat incomparable. Notre vue embrassait une partie de la plage ; et surtout, tout là-bas, un foisonnement de bâtisses neuves et sans verdure : ce qui restait de la longue maison. D’instinct – c’était plus fort que nous – nous nous étions tournés vers ce point cardinal, berceau de notre enfance. Une habitude entre nous, chaque fois renouvelée.
Et puis, brusquement, Pierre est sorti de sa torpeur – comme un hypnotisé qui se réveille :
— C’est pas toi, par hasard, qui grattes souvent du papier ? me lança-t-il comme un défi.
— En effet, je le gratte, quelquefois…
— Ah ! alors… Il sembla hésiter, comme tiraillé par deux forces antagonistes. Puis il se décida, bondit sur ses pieds, attrapa sa béquille au vol, et s’éloigna en m’ordonnant : Ne bouge pas !
— Je n’ai pas l’intention de m’échapper !
J’entendis le « tap ! tap ! » de sa canne qui s’éloignait dans le fond de la chambre. Un bruit de porte, ou d’un grand tiroir qu’on ouvre, et mon ami revint en clopinant – cette fois péniblement. Il tenait sous son bras droit une liasse de papiers – que dis-je, une masse informe de ce qui semblait des papiers – et qui menaçait à tout moment de s’écrouler.
Croyez-moi, elle pesait son poids.
Sans un mot, il s’approcha de ma chaise et déversa la chose sur mes genoux :
— Attrape ce fatras, dit-il en manière d’explications.
Je vous jure que si j’avais été debout, je serais tombé à la renverse !
Essayant de rassembler ce tas de documents, qui commençait à s’éparpiller, j’eus la vision effarante de tout ce qui pouvait servir de support à une écriture manuscrite (papyrus et vélin exceptés). Il y avait là le classique cahier d’écolier, qui voisinait avec la feuille volante (pour être plus clair : avec toutes sortes de formes et de couleurs de feuille volante). Il y avait des morceaux de carton d’emballage, sur lesquels quelques phrases avaient été notées. La page de garde vierge d’un vieux livre servait aussi de support, sur laquelle mon ami avait griffonné quelques phrases à la hâte…
Enfin, tout un musée littéraire des horreurs était là devant moi… Et j’eus le pressentiment que, si j’insistais un peu, du papier toilette émergerait du lot, recouvert de l’écriture – heureusement lisible – de l’original assis à mon côté. Et, comme ce tas infâme commençait à m’échapper des mains, j’eus un moment de panique. Je me dis :
« Si jamais ces feuilles se mélangent, c’est foutu. Il faudra dix ans pour les remettre en ordre ! »
Mais je sous-estimais mon cher Pierre, et un rapide coup d’œil me rassura. Chaque morceau de ce tas géant avait été numéroté : en haut, à droite, et à l’encre rouge s’il vous plaît.
J’étais sauvé…
Je pus ainsi me débarrasser de cette moisissure et la poser sur la table. Pierre m’observait, de nouveau très calme, et l’œil pétillant de malice :
— Ma vie… précisa-t-il, en me désignant l’objet d’un coup de menton.
— Bravo, je m’en doutais. Mais si j’en juge par l’aspect de ton manuscrit, elle a dû être bien étrange et embrouillée, ta vie !
Il sourit, énigmatique :
— Mais je ne suis pas un écrivain, moi, mon vieux. Tu crois que je vais perdre mon temps à tracer de jolis traits sur un cahier bien propre ? Tu crois que je vais m’installer devant une machine à écrire, la pipe au bec, pour attendre la géniale inspiration ? Non, je n’ai vraiment pas de temps à perdre à ces coquetteries. J’écris n’importe où, n’importe comment, avec tout ce qui me tombe sous la main. Ça me soulage, tout simplement : une vieille habitude en souvenir de ma mère. Tu sais ce qu’elle faisait, chaque fois que je piquais une crise ? Elle m’asseyait devant un cahier et me disait gentiment :
« Écoute, mon Pierrot, fais ça pour moi. Écris tout ce qui te chagrine, et tu verras combien tu seras soulagé et heureux. »
Elle-même tenait tous les jours son journal. C’était sa récréation. J’ai conservé cette habitude étant adulte. Mais la littérature, crois-moi, je m’en fous !
— Je te crois volontiers, mon pauvre Pierre. Oh ! tout cela n’a rien à voir ni avec ton intelligence, ni avec ton talent éventuel, ni avec ton habileté : tu ne seras jamais écrivain parce que tu ne le désires pas. « La grande famille » te laisse indifférent, et tu traites tes manuscrits comme des chiffons sales. Tout est là…
Ayant, par désœuvrement, fréquenté un club, j’ai connu, par le passé, pas mal de candidats à la « gloire » littéraire. En ce lieu clos, les critiques critiquaient, et les aspirants à la publication prenaient un air de conspirateur pour montrer – sous le coude et à un ami sûr – leur manuscrit ou leur projet de manuscrit. Tous traitaient leur liasse de papier avec déférence et inquiétude, comme un enfant malade. Chez eux, ils la rangeaient dans un tiroir spécial, et la contrôlaient souvent – dans le cas où elle se serait échappée pendant la nuit…

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