Blanc-cassé
354 pages
Français

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Blanc-cassé , livre ebook

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Description

Pour éviter le service militaire, Renaud de Talmont d’Yeu, jeune diplômé d’HEC, part en Afrique comme coopérant. De bonne famille, encore naïf et innocent, il ne sait rien – ou presque – de la vie. Les aléas et péripéties de son séjour, alliés aux observations pertinentes de son nouvel ami Paul Jolimont, se chargeront de la lui apprendre...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 mars 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748380880
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0112€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Blanc-cassé
Yvon Marquis
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Publibook
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Blanc-cassé
 
 
 
« Le tronc d’arbre aura beau rester dans l’eau
cent ans, il ne deviendra jamais un crocodile »
 
Proverbe akan
 
 
« Je vous parle d’un temps que les moins
de vingt ans ne peuvent pas connaître »
 
Charles Aznavour
 
 
 
 
Chapitre I
 
 
 
Le DC-10 d’UTA acheva de s’aligner sur ses repères de parking et, dans le sifflement mourant de ses réacteurs, s’immobilisa enfin devant les modernes installations de l’aéroport de San-Fresco, capitale de la République d’Eburnie. Il était un peu plus de dix-huit heures, et il faisait nuit.
Dans la cabine, les passagers, en majorité des Africains, extrayaient des coffres leurs bagages disparates, mélange improbable de cuirs de luxe et de sacs à motifs Vichy de chez Tati. Au silence un peu tendu de la descente et de l’atterrissage avait succédé un brouhaha animé de conversations : on échangeait salutations et rendez-vous prochains.
Au milieu de cette animation, un jeune Français se distinguait par son air préoccupé. Après s’être extirpé du siège où il était coincé depuis huit heures, il se passait la main sur le visage d’un geste nerveux, tout en jetant des regards inquiets autour de lui. Son costume d’été en alpaga beige, son polo griffé d’un saurien vert, la montre Cartier à son poignet, trahissaient le jeune homme de bonne famille. Cette impression était accentuée par l’aspect propre et sage de sa personne : ses cheveux châtains coupés court – et sans les pattes qui font peuple – étaient séparés par une raie impeccable que le vol n’était pas parvenu à déranger ; ses yeux noisette, affectés d’un léger strabisme, ce que l’on appelle familièrement une coquetterie, parvenaient à garder un charme certain en dépit des sévères lunettes à monture d’écaille ; ses pommettes étaient rebondies, roses de bonne santé. Elles lui donnaient un air poupin et innocent. Leur fraîcheur indiquait que le rasoir ne les avait pas encore agressées.
Renaud de Talmont d’Yeu palpa les poches de sa veste une nouvelle fois, afin de s’assurer qu’il avait bien tous ses papiers, qu’aucun document n’avait malencontreusement glissé du vêtement pendant le voyage. L’opération lui prit quelques instants car, pour faire échec aux pickpockets qui, chacun le sait, pullulent dans les aéroports, il avait disséminé les différents documents dans tout ce que la veste comptait de goussets. Le précieux passeport, quant à lui, se trouvait bien dans la poche de poitrine, fermée par l’habituel bouton, auquel mère avait toutefois adjoint par sécurité une épingle de nourrice. Renaud avait bien trouvé cette précaution un peu excessive, mais il n’en avait pas moins soigneusement refermé l’épingle après le contrôle de police, en pieux souvenir du visage en larmes de mère , de l’autre côté du guichet.
Ordinairement d’un tempérament anxieux, il appréhendait le moment imminent où il allait, sans autre transition que le siège inconfortable de cet avion, passer de son environnement familier du Paris des beaux quartiers à une redoutable T erra Incognita , l’Afrique. Il n’avait de ce continent que les plus vagues notions, et ce saut dans l’inconnu l’angoissait.
Pendant le trajet, il avait pleinement savouré – en néophyte des vols long-courriers qu’il était – tous les menus plaisirs dispensés par la compagnie ; ils lui avaient fait oublier qu’au bout du voyage il y avait l’Aventure. Mais maintenant qu’il était au pied du mur, sa fébrilité avait brusquement atteint un pic, car en matière d’aventures, il se sentait avec lucidité plus proche de Tartarin de Tarascon que de Rouletabille.
Pendant des manoeuvres de l’avion, il avait tenté d’apercevoir par son hublot les bâtiments de l’aérogare, espérant se faire ne serait-ce qu’une vague idée des lieux. Mais la lumière oblique des projecteurs de piste les rejetait dans l’ombre, et il n’avait pu voir que le tarmac noir luisant d’une récente averse, où s’agitaient des ombres indécises. Il se résigna à prendre le choc de la découverte en pleine figure.
* * *
Cette folie, dont il se mordait les doigts en ce moment, avait commencé quelques mois plus tôt, lorsque, ses études à H.E.C. se terminant, le spectre des obligations militaires se profilait à l’horizon : " au-delà de ce diplôme, votre sursis n’est plus valable ".
Lors des repas de famille qui réunissaient plusieurs fois par an tous les enfants de Bon-Papa et Bonne-Maman en leur demeure du Poitou, son père et ses oncles avaient plusieurs fois dressé le tableau horrifique de cette période initiatique. A les croire, les marches forcées, les corvées de pluches, l’infâme tambouille qui en résultait et les brimades de sous-offs sadiques constituaient l’essence du Service Militaire. Néanmoins leurs récits prenaient davantage source dans le folklore des comiques troupiers que dans les expériences vécues car, Dieu merci, chez les Talmont et alliés, on comptait assez d’officiers généraux pour qu’aucun des jeunes hommes de la famille n’eut eu à subir cette dégradante expérience. Ordonnance à l’Etat-Major ou gratte-papier au Ministère, avaient été les pires situations jamais connues par les conscrits Talmont. Il était entendu que Renaud ne dérogerait pas à cette estimable tradition familiale.
Cependant, le temps des indépendances étant venu, de nouvelles perspectives s’étaient ouvertes aux appelés, dans la Coopération qui remplaçait l’ancienne administration coloniale. Les jeunes diplômés comme lui, ceux du moins qui souhaitaient vivre une expérience enrichissante, avaient maintenant la possibilité d’effectuer leur Service à l’étranger comme assistants techniques – Volontaires du Service National selon l’appellation officielle – le plus souvent dans un des pays de l’ancien empire colonial. Sur le moment, cela avait paru à Renaud être une idée lumineuse : vue depuis sa garçonnière, la perspective paraissait excitante. Et il n’avait eu aucun mal, avec le léger coup de pouce d’un oncle, lieutenant-colonel dans la cavalerie blindée, à se faire admettre dans les effectifs de ces privilégiés de la conscription.
Lorsqu’il avait appris sa destination, un peu plus d’un mois auparavant, son premier mouvement avait été de consulter le premier Atlas qui lui était tombé sous la main, pour découvrir où se trouvait ce pays d’Afrique dans lequel il allait passer les seize mois à venir ; car il eût été bien incapable de le situer, même approximativement. Puis le « Quid » lui avait inculqué les rudiments qu’il ne pouvait désormais décemment plus ignorer : drapeau, régime politique, superficie, population, économie, nom de son président au moment de la dernière mise à jour…(Ils changent si souvent dans ces pays-là !).
Il faut dire que ni son enfance à Neuilly, ni les lycées renommés où il avait fait ses études, ne l’avaient préparé aussi peu que ce fût à découvrir ce vaste continent et ses habitants. En fait, sa connaissance de l’Afrique se résumait à quelques clichés passablement défraîchis : Le général De Gaulle, les bras en forme de "V" à Brazzaville, l’édifiante histoire du docteur Schweitzer, le film « HATARI»… plus quelques cartes postales aux couleurs sépia reçues d’un grand-oncle missionnaire, montrant des cases de paille et des jeunes filles aux seins nus avec des charges sur la tête ; pour lui, ce n’était encore que cela, l’Afrique : un territoire que la civilisation n’avait pas encore atteint, terre d’élection de religieux à soutane et barbe blanches, qui mouraient de fièvres en tentant d’inculquer la foi chrétienne à des gens qui adoraient des fétiches.
Enfin, au-delà des potentats locaux dont il fallait s’assurer la bienveillance, ou, le cas échéant, organiser le remplacement, si on voulait exploiter en paix les ressources minières de leurs pays, l’Afrique Noire était considérée comme dénuée de toute importance aux plans géopolitique et économique. Par conséquent, elle ne figurait pratiquement que pour mémoire dans les programmes des classes préparatoires et de l’école de commerce dont il était fraîchement diplômé.
Tout de même, il pouvait dire qu’il avait vu de près un Africain. Un grand diable de Ouolof, noir comme l’enfer, qui avait été son condisciple pendant ces trois dernières années à l’Ecole. Mais celui-ci, avec son français châtié, ses costumes griffés, son attaché-case en peau de porc et des moyens d’existence qu’on pouvait supposer confortables à en juger par le cabriolet Mercédès qu’il garait chaque jour devant l’établissement, ne pouvait vraisemblablement pas être considéré comme représentatif du vulgum pecus africain.
Renaud n’avait guère eu l’occasion de nouer le contact avec lui, pas plus en somme qu’avec les dizaines de provinciaux qui composaient la majeure partie de sa promotion. Les camarades qu’il fréquentait depuis l’enfance suffisaient à ses besoins de relations sociales. Ils formaient un clan soudé par une communauté de références et d’intérêts, difficilement pénétrable par un non-initié.
Un soir, cependant, Renaud et l’Africain s’étaient retrouvés par hasard dans le groupe d’élèves qui fêtaient à la cafétéria une nouvelle victoire de l’équipe d’aviron. Les rameurs triomphants, heureux et déjà passablement éméchés, jouaient avec leur mascotte, un vilain petit canard en plastique jaune, qui faisait « pouet-pouet » lorsqu’on lui appuyait sur le bréchet, sans lequel ils prétendaient être impuissants à tirer efficacement sur les pelles. De fil en aiguille, la conversation en vint à rouler sur la sorcellerie et les fétiches, et, naturellement, le S

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