Au vent de l été
102 pages
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Au vent de l'été , livre ebook

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Description

Un homme se décide à aborder le personnage énigmatique qui arpente le trottoir près de chez lui, durant l’automne et l’hiver, perdu dans ses regrets et ses souvenirs d’enfance... Deux frères se décident à atteindre celle qu’on appelle l’île du diable, réputée pour sa pêche mais aussi pour ses sables mouvants... L’obsession d’un homme pour les chiens et les problèmes qu’ils peuvent causer tourne à la folie... Renversé par une voiture, un blessé va subir d’incroyables mésaventures... Privé d’oxygène, un cosmonaute vit ses derniers instants dans un délire mystique...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 mars 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748380347
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0041€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Au vent de l'été
Jacques-Adrien Perret
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Au vent de l'été
 
 
 
 
 
Irina
 
 
 
Il me dit : « Nous irons voir Irina, ma marraine, c’est peut-être la dernière fois que je la vois. Mais il y a déjà eu tellement de dernières fois. » Nous sommes en Suisse depuis quelques jours, du côté de Ferney-Voltaire. Mon ami profite de l’Ascension pour enfin lui rendre visite. Il a téléphoné pour bien confirmer sa venue dans l’après-midi. Mais il craint de se déplacer pour rien. Elle lui a déjà fait le coup. Subitement, elle n’a plus envie. C’est sa dame de compagnie qu’il a eue au bout du fil. Elle lui a dit : « C’est entendu. Venez vers 17 heures, pour le thé. A cette heure-là c’est mieux. Elle sera bien reposée. »
Nous venons de franchir le Pont du Mont Blanc pour nous rendre en direction du Temple de la Madeleine. C’est ici sur les hauteurs de la rive gauche du lac qu’elle a son appartement. Il me redit combien il est attaché à cette personne qui l’a vu naître et qui était si présente aux côtés de ses parents, tout au long de sa jeunesse. Combien il est content que je puisse rencontrer cette femme peu ordinaire dont le poids des ans laisse encore intacte la vivacité d’esprit.
Il sonne avec son petit coffret de bouteilles de Chablis à la main. Il sait qu’elle aime le vin et celui-là en particulier. Nous attendons un moment. On entend un léger bruit derrière la porte, mais rien ne se passe. A-t-il sonné assez fort ? Il recommence en disant : « C’est moi marraine. C’est Serge. » Passe un temps, puis enfin la porte s’ouvre comme une levée de rideau. C’est elle. Elle est là, bien là, campée dans son entrée, le visage altier et souriant, ouvrant les bras comme s’il s’agissait de l’enfant prodigue. « Ah Serge ! dit-elle, mon petit, tu es venu me voir, c’est bien, me voilà, entre donc. » Puis s’inclinant légèrement vers moi, elle ajoute : « C’est l’ami dont tu as parlé. » et elle me tend la main comme si nous étions à une grande réception, ordonnant tout aussitôt à Marie, sa dame de compagnie, de me débarrasser de mes affaires. « Suivez-moi tous les deux, nous dit-elle. Je ne vais pas vite. Je fais attention. Je suis tombée il y a quelques semaines. Rien de grave, mais à mon âge c’est un miracle. »
Je la regarde, si digne aussi de dos. Menue et trottinant à l’aide de sa canne que Marie vient de lui donner discrètement. Elle est là, avec ses cheveux blancs bien lissés vers l’arrière, se retournant et s’arrêtant pour nous parler du temps et de notre stationnement. « Oui, dans ce quartier, on trouve. Mais ça dépend des heures. Il y a beaucoup d’écoles. Voilà, prenez place. Toi, Serge, viens près de moi ». Puis, Serge risque : « Toujours en forme, malgré ton âge ? »
« Que veut-il dire ? réplique-t-elle en se tournant vers moi. Il ne sait pas de quoi il parle. Je l’ai vu naître. Nous étions à Zagreb en 1930. C’était mon anniversaire. Je venais d’avoir trente ans ». Et se calant bien dans son fauteuil comme pour un long récit, de sa voix légèrement rauque et ponctuant fermement chaque fin de phrase, elle continue : « Il était trois heures du matin. Sa mère me fait savoir qu’elle est sur le point d’accoucher. Elle tient à ma présence. C’est une de mes anciennes élèves. Je me suis trouvée au pair chez ses parents, quand j’ai dû fuir la Russie… Les hommes n’étaient plus en état de conduire. Nous avions tous trop bu, mais eux surtout. Et puis les hommes ne se déplacent pas pour ces choses-là. C’est une affaire de femmes. Ton père, Serge, qui était venu seul pour me fêter, disait qu’il n’était pas question qu’il vienne voir sa femme accoucher. C’était pour lui, insurmontable. Quand je suis arrivée, la chose venait de se faire. On t’a mis dans mes bras avec le cordon. Tu étais une chose si petite dans mes bras. Couper le cordon ombilical ! je ne l’avais jamais fait. Je ne pouvais pas le faire. Personne n’osait. Heureusement, le docteur est enfin arrivé ».
Serge entendait ce récit pour la énième fois. Il m’avait prévenu. Et, oubliant que nous étions venus avec notre propre voiture, elle demanda si nous avions trouvé facilement un taxi. Puis elle se préoccupa du service, demandant à Marie de nous redonner du thé. J’apprenais que Marie était à son service depuis plusieurs années. Qu’elle assurait surtout les nuits et les fins de journée. Qu’elle partageait sa garde avec une autre personne. Tout ceci avait été dit sans que sa marraine, plutôt dure d’oreille, ne se mêle de la conversation. J’apprenais également que Marie était Hollandaise, mais d’origine africaine. Du Cap Vert. C’était une femme d’une cinquantaine d’années, de forte constitution. Avec un visage de bonne nounou et des yeux qui ponctuaient avec malice tout ce qui pouvait être dit, de sa patronne surtout. D’un air de dire : ça lui fait tellement plaisir d’être la reine, de se raconter et de brasser ses souvenirs…
Je regardais de nouveau sa marraine qui s’était momentanément mise en veille, comme absente, tenant sur ses genoux sa tasse de thé avec ses longues mains fines et bien soignées. Elle avait de grands yeux noirs, profonds et une tension du front qui ne se relâchait pas, mais un visage si heureux de sourire et de si bien sourire, ce dont elle était pleinement consciente, qu’on oubliait l’impression d’autorité que trahissait le reste de sa personne. A cet instant, elle me fixa en me disant : « Il faut que je vous raconte. C’était mon anniversaire… (Ce n’était plus tout à fait la même version ou, plus exactement, d’autres détails venaient l’enrichir). L’amie qui était venue avec moi, disait-elle, n’avait pas les yeux dans sa poche. Puisque nos hommes ne pouvaient pas se déplacer, elle trouva un chauffeur dehors. Je ne sais plus comment, mais elle en trouva un que je n’avais jamais vu. C’était mon anniversaire… »
Serge, profitant alors d’un court arrêt de ce récit, lui dit le plus aimablement possible :
— Mais tu l’as déjà dit.
— Je n’entends pas, répliqua-t-elle. Parle plus fort. A mon âge, tu verras !
— Justement, lui dit-il, c’est bien 101 ans que tu as maintenant.
— Qui te l’a dit ? Ce monsieur n’est pas obligé de te croire.
— Je n’en crois rien, ajoutais-je pour ma part, avec l’espoir d’être entendu.
— Tu vois, Serge, voilà un monsieur qui sait parler aux dames.
Serge me fit un signe de tête amusé, mais insista en lui disant :
— Avec Françoise, nous regrettons bien de n’avoir pu être là pour tes cent ans.
— Ta femme ! Tu vois ce gilet que j’ai sur les épaules, c’est elle qui me l’a envoyé.
C’était un gilet de fine laine, couleur lavande, sous lequel elle portait un chemisier blanc à plis verticaux. Serge, comme pour se rattraper, lui en fit compliment en lui disant qu’il lui allait à merveille. Elle lui sourit d’un grand sourire plein de reconnaissance et d’affection. Puis, me fixant de nouveau, elle me dit : « Regardez ces livres. Ceux qui sont en travers, oui là : ce sont les livres d’un ami russe. Un auteur qui est très connu en Russie. Vous pouvez en regarder d’autres ». J’allais de rayons en rayons, content de pouvoir bouger un peu. Je découvrais au hasard, des livres de Colette, de George Sand, et un livre très illustré ayant pour titre « L’univers de Marcel Proust ». Je l’avais en main. Elle me fit signe de m’approcher pour se rendre compte par elle-même. « Ah ! oui, dit-elle d’un ton un peu las. » Puis elle reprit en me disant : « Vous en trouverez aussi de moi. Ils sont en russe ou en anglais. Oh ! C’était il y a bien longtemps. Mais tout ça c’est du passé. Un bien sombre passé. C’était quand j’étais avec mon premier mari. Un officier de la garde impériale. Mais nous avons dû fuir la Russie avec notre enfant. Un tout jeune enfant de deux ans que nous avons perdu à cause des privations et de la maladie. Arrivée à Zagreb, on me prenait pour une rouge. En Russie j’étais blanche, mais ici on me voyait rouge. Les rouges ! Moi, je les ai vus chez mes parents à Saint-Pétersbourg. Ils dormaient dans notre salon à même le sol. Je les vois encore serrés les uns contre les autres, bien rangés comme des billes de bois. Quand je pense que notre enfant il dormait dans des caves, des caves froides et humides, irrespirables où ça sentait l’huile et le dépôt de peinture. Une sombre époque. Blanche, Rouge ! Ils n’arrêtaient pas de m’ennuyer avec ça. Je n’étais d’aucune couleur. J’étais de mon pays, c’est tout. Ils ne voulaient pas comprendre ». Ils ne voulaient pas comprendre, répéta-t-elle plusieurs fois en secouant la tête, essuyant des larmes qui n’étaient pas venues, mais qui étaient bien en elle, la plongeant subitement dans un grand moment de fatigue et de tristesse dont elle avait l’air de s’excuser.
Avec Serge, nous comprîmes qu’il était temps de la laisser se reposer un peu. Il lui dit que nous allions partir. Elle sursauta comme indignée. Elle interpella Marie. « Marie ! Marie ! dit-elle d’un ton impérieux, ils veulent partir, mais ce n’est pas possible. Il faut qu’ils restent. Nous pouvons les retenir pour dîner. Il est encore temps de commander quelque chose. C’est à vous de voir ça… Serge, tu ne peux pas me faire une chose pareille. Il faut rester. »
Marie obtempéra, nous faisant signe que c’était possible. Serge confirma à sa marraine que c’était d’accord, que nous restions avec elle, mais que nous avions seulement craint de la fatiguer. Elle nous dit que nous pouvions en profiter pour voir l’appartement et son bureau. Que Serge connaissait déjà. Qu’il y avait des photos d’autrefois. Qu’il m’expliquerait.
Je la découvrais à différents âges de

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