Acacias
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Acacias , livre ebook

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Description

Abel est un écrivain célèbre qui n’arrive plus à écrire. Il vit avec l’argent que lui procurent ses anciens manuscrits et en profite pour boire, observer et répondre aux avances que ne manquent pas de lui faire toutes les femmes qui l’approchent. Un petit malin cet Abel ! Mais il ressent peu à peu l’emprise de l’âge et remet en question ses relations passées.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 mars 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748382228
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Acacias
Philippe Nollet
Publibook

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75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Acacias
 
 
 
 
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IDDN.FR.010.0103385.000.R.P.2004.035.40000
 
 
 
 
 
 
 
 
Ils faisaient l’amour et pouvaient voir leur propre image dans la glace réfléchie dans la lueur cuivrée de la lampe de chevet. Le ventilateur émettait un bourdonnement continu, il charriait des poussières du dehors et ne rafraîchissait guère qu’une surface étroite autour de lui. Lisa aurait bien aimé se marier, mais Abel était résolument contre. Une fois, une fois seule, il était déjà tombé amoureux d’une femme, et il ne s’était pas cru pour autant autorisé à lui demander sa main.
Ce qui se passe entre un homme et une femme, c’est presque toujours la même chose. Seule varie la façon de prendre contact. Abel a rencontré Lisa dans un bar, deux mois après ils vivaient ensemble, et voilà tout. Au début, on est tellement tremblant d’amour qu’on a énormément de mal à imaginer ce qui va se dérouler ensuite.
Je ne l’ai pas encore précisé, mais nous étions en Juillet, au plus fort de la canicule. Certains jours étaient moins brûlants que d’autres, mais on dénombrait quand même de nombreuses victimes déshydratées. Je vous laisse imaginer le coin : un immense désert de poussière rouge, seulement parsemé de quelques buissons de ronces et de rares arbustes. Plus loin au nord, les marécages et, plus loin encore, rien. Le pays était coupé de tout, tout le monde y vivait comme déconnecté du monde et n’attendait absolument rien venu d’ailleurs. Tous les habitants de la ville, seule agglomération à cent kilomètres à la ronde, étaient alcooliques, et ça se voyait, à la fois sur leurs tronches usées et dans leurs gestes lents – on ne savait jamais où étaient leurs femmes, ni combien de temps cette chaleur allait durer encore : l’air était toujours brûlant et humide. C’était comme si quelqu’un vous punissait, mais de quelle faute, quelle erreur inavouable et quels péchés ? Tout le monde se rendait le dimanche à l’église, même les putains, même les alcooliques – même les notables de la ville et les épouses blessées des alcooliques, à croire qu’il y avait une certaine logique dans ce rassemblement faussement spirituel.
Bien sûr, on pouvait aimer le soleil et constater à quelle vitesse record la peau brunissait et les rides du visage se creusaient, ça donnait un charme aux autochtones et ça ne mangeait pas de pain, pour peu qu’on réchappe à ses effets destructeurs. Tout le monde en ville ne cessait de transpirer, de suffoquer en plein cagnard ou de marcher courbé, comme écrasé par cette fournaise constante – ce temps vous mettait à bout de nerfs. Et puis, pensez à tous ces corps alignés dans les lits métalliques réquisitionnés d’urgence, tous ces gens morts de crise cardiaque ou de déshydratation, dans l’indifférence de tous – et c’était tellement prévisible pourtant. On se rendait compte alors de tout le mal possible que les hommes peuvent se faire et, si on ne vomissait pas sur place et dans l’instant en y pensant, c’était tout comme – mais notre vie reprenait son cours avec un petit haussement d’épaules, rien n’a changé autour de nous, Seigneur faites que rien n’a changé !
J’aurais aimé penser pouvoir un jour quitter la ville, mais sans doute étais-je fait, comme les autres, pour y vieillir et y rendre mon dernier souffle, surtout ne pas se mentir – je me voyais bien en train de picoler jusqu’à soixante-quinze ans en perdant mes dents et en ne foutant absolument rien de mes journées. Hormis écrire.
 
 
 
 
 
 
Je buvais le jour et j’écrivais la nuit. Vous vomissez quarante pages d’un coup, avec le plus grand mépris pour votre corps qui réclame un peu de sommeil, pour votre scoliose et pour votre estomac, qui dérouille comme votre clavier que vous martelez sans pitié. Arrivé au petit jour, vous vous demandez si vous êtes un génie – vous pouvez même continuer à écrire, que ce soit ou non le cas. Vous pourriez même être assez étonné, quelques années plus tard, de voir que vous aviez vu juste.
Il était neuf heures et demi du matin. Je sortis
prendre un verre dans un bar, l’Eldorado. C’était ce genre d’endroit où les hommes n’emmenaient jamais leur femme. Y ramener une fille n’était pas pour autant hors de portée de qui que ce soit – ça tenait même d’une simplicité assez saisissante. La chance n’avait rien à voir là-dedans.
J’avais roulé une heure en regardant au loin le fleuve rouler ses houles surpuissantes, qu’on pressentait noires et profondes – mais mieux valait ne pas se hasarder dans ces parages… J’arrivai en ville. Quelques putains arpentaient désespérément le trottoir, mais en pure perte – le taux de chômage dans la région atteignait des proportions cataclysmiques, du moins pour celui qui voulait réellement du boulot. On pouvait très bien avoir quarante ans et n’avoir jamais travaillé de sa vie, chacun faisait avec et c’était quand même l’été, et l’air conditionné vous enrhumait, épaississant l’oxygène et le transformant en une sorte de mélasse collée au corps… J’observais les putains juchées sur leurs talons hauts et fardées à outrance. Je m’imaginais toutes ces femmes obligées, pour je ne sais quelle raison, de travailler pour vivre, du jour au lendemain – comme des poules de luxe soudain plongées dans un enfer opaque.
Les filles du coin étaient toutes nées à la campagne et elles avaient un je-ne-sais-quoi de borné et de stupide dans le regard – quand elles n’étaient pas tout simplement folles à lier. Idem pour les hommes, mais dans un autre genre. Il existe toutes variétés d’individus sur terre, mais peu d’aussi étranges que par ici. Il n’y a pas trente-six façons de l’expliquer. Dans la moiteur étouffante des fins d’après-midi, seuls quelques rares touristes foulaient la poussière rouge de la ville, histoire de "se changer les idées". On se demandait ce qui pouvait bien les intéresser par ici. Tout le monde se cloîtrait et tuait le temps en buvant, c’était le seul exotisme du coin. Le désert vierge ouvrait non loin sa plénitude, le monde disparaissait, englouti par un soleil dont l’étincellement bousculait tout, et même la perception visuelle.
La journée, tout en moi était tendu et j’étais incapable d’écrire ou de faire quoi que ce soit d’autre, je consacrais tout mon temps à ne rien faire. Alors tout autour de moi semblait conçu pour me ramener dans l’angoisse, la panique, la frustration. Parfois on me posait des questions sur mon existence passée, sur ce que j’avais publié en France. J’éludais le plus souvent possible. Ce n’était pas seulement une fuite, ça allait au-delà même des prétendues affres de la perte d’identité – j’étais passé à autre chose, voilà tout. Tout ce que je trouvais à faire c’était de fouiller dans ma mémoire dans l’espoir qu’elle fût intacte – et malheureusement, c’était le cas.
Toutes les choses dont j’étais auparavant convaincu chancelaient lamentablement. Elles me semblaient désormais indignes d’intérêt, tout bonnement. Bien entendu, j’avais du mal à accepter cette brutale remise en cause de mes acquis personnels – on ne passe pas innocemment du statut de chouchou des salons littéraires à celui d’étranger venu de nulle part. Je racontais ce que je voulais : les gens d’ici gobaient n’importe quoi. N’empêche que, mensonge ou pas, j’avais choisi de fuir la réalité. L’affronter était au-dessus de mes forces.
Disparaître est si facile que je m’étonne encore de la présence du vide laissé derrière moi. On pourrait se volatiliser en deux jours, sans rien avoir jalonné derrière soi, et tomber aussitôt dans l’oubli. C’est comme un effet de décalage horaire, un resserrement brusque du temps. Mais c’est quelque chose que je tente par tous les moyens d’arracher à ma mémoire sanguinolente : je risquerais de m’accrocher aux ruines du passé et de n’en percevoir qu’un souvenir flou, de ces souvenirs qui vous font froid dans le dos avant de vous achever. La nostalgie ne fonctionne jamais. On doit toujours se contenter de bribes.
 
 
 
 
 
 
Abel tournait en rond depuis des heures – où avait-il été chercher ce sentiment de frustration ? Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il y croyait dur comme fer, et que rien n’apaisait ce sentiment-là. Ses deux premiers bouquins avaient cartonné, et pourtant quelque chose d’indéfinissable le rendait amer. Très rapidement il s’était instruit des codes et des rites qui commandaient au fonctionnement de tout ce petit monde où régnaient guerres d’influence, jalousies et hypocrisies diverses, mais pas plus qu’ailleurs – et puis, seuls les professionnels de la littérature avaient voix au chapitre, ainsi que tous ceux ayant un avis éclairé sur la question…
Lisa courait d’un bureau à l’autre avec le même empressement enjoué, c’était un régal de la voir batifoler dans les couloirs en quête d’une signature ou d’un accord tacite, peu importe puisque seule comptait, en définitive, la volonté du Chef. Quand elle lisait les poèmes ou les nouvelles d’Abel, elle ressassait pour elle-même comme une volupté qu’elle ne parvenait pas à nommer : le son même de cette écriture était déjà un chant, il n’y avait pas de doute là-dessus. Abel l’aimait beaucoup et n’en revenait pas de sa chance. On pouvait s’attendre à tout avec cette femme – sans doute un ébranlement sans pareil auquel il aurait bien du mal à faire face, quand le moment serait enfin venu, mais le jeu en valait la chandelle vacillante…
Il s’adonnait à ses moments perdus à la méditation contemplat

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