Le jardin d Epicure
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Le jardin d'Epicure , livre ebook

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Description

Anatole France (1844-1924)



"Nous avons peine à nous figurer l’état d’esprit d’un homme d’autrefois qui croyait fermement que la terre était le centre du monde et que tous les astres tournaient autour d’elle. Il sentait sous ses pieds s’agiter les damnés dans les flammes, et peut-être avait-il vu de ses yeux et senti par ses narines la fumée sulfureuse de l’enfer, s’échappant par quelque fissure de rocher. En levant la tête, il contemplait les douze sphères, celle des éléments, qui renferme l’air et le feu, puis les sphères de la Lune, de Mercure, de Vénus, que visita Dante, le vendredi saint de l’année 1300, puis celles du Soleil, de Mars, de Jupiter et de Saturne, puis le firmament incorruptible auquel les étoiles étaient suspendues comme des lampes. La pensée prolongeant cette contemplation, il découvrait par delà, avec les yeux de l’esprit, le neuvième ciel où des saints furent ravis, le primum mobile ou cristallin, et enfin l'Empyrée, séjour des bienheureux vers lequel, après la mort, deux anges vêtus de blanc (il en avait la ferme espérance) porteraient comme un petit enfant son âme lavée par le baptême et parfumée par l’huile des derniers sacrements. En ce temps-là, Dieu n’avait pas d’autres enfants que les hommes, et toute sa création était aménagée d’une façon à la fois puérile et poétique, comme une immense cathédrale. Ainsi conçu, l’univers était si simple, qu’on le représentait au complet, avec sa vraie figure et son mouvement, dans certaines grandes horloges machinées et peintes."



Anatole France, l'auteur de "Les dieux ont soif", s'essaie à la philosophie...

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 5
EAN13 9782384420391
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le jardin d’Épicure


Anatole France


Mars 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-039-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1037
Cecropius suaves exspirans hortulus auras
Florentis viridi Sophiae complectitur umbra.
CIRIS .
 
Que n’avons-nous connu vos caresses légères,
Ô souffles embaumés de l’antique jardin,
Ô brises de Cécrops, divines messagères,
Vous qui tentiez jadis le poète latin !
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
C’est de là que nos yeux, dans un calme sourire,
Auraient pu voir au loin les erreurs des mortels,
L’ambition, l’amour égaux en leur délire,
Et l’inutile encens brûlé sur les autels.
le lampe d’argile, par FRÉDÉRIC PLESSIS
 
Καὶ χαλεπωτάτων δὲ καιρῶν κατασχόντων τηνικαῦτα τὴν Ἑλλάδα, αὐτόθι καταβιῶναι, δὶς ἢ καὶ τρὶς ἐπὶ τοὺς περὶ τὴν Ἰωνίαν τόπους διαδραμόντα πρὸς τοὺς φίλους, οἳ καὶ πανταχόθεν πρὸς αὐτὸν ἀφικνοῦντο καὶ συνεβίουν αὐτῷ ἐν τῷ κήπῳ, καθάφησι καὶ Ἀπολλόδωρος· ὃν καὶ ὀγδοήκοντα μνῶν πρίασθαι.
DIOGENIS LAERTII de Vitis philosophorum , lib. X, cap. I.
 
Il acheta un beau jardin qu’il cultivoit lui-même. C’est là où il établit son école ; il menoit une vie douce et agréable avec ses   disciples qu’il enseignoit en se promenant et en travaillant… Il étoit doux et affable à tout le monde… Il croyoit qu’il n’y a rien de plus noble que de s’appliquer à la philosophie.
(Abrégé de la vie des plus illustres philosophes de l’antiquité, ouvrage destiné à l’éducation de la jeunesse, par F ÉNELON .)
Le jardin d’Épicure
 
Nous avons peine à nous figurer l’état d’esprit d’un homme d’autrefois qui croyait fermement que la terre était le centre du monde et que tous les astres tournaient autour d’elle. Il sentait sous ses pieds s’agiter les damnés dans les flammes, et peut-être avait-il vu de ses yeux et senti par ses narines la fumée sulfureuse de l’enfer, s’échappant par quelque fissure de rocher. En levant la tête, il contemplait les douze sphères, celle des éléments, qui renferme l’air et le feu, puis les sphères de la Lune, de Mercure, de Vénus, que visita Dante, le vendredi saint de l’année 1300, puis celles du Soleil, de Mars, de Jupiter et de Saturne, puis le firmament incorruptible auquel les étoiles étaient suspendues comme des lampes. La pensée prolongeant cette contemplation, il découvrait par delà, avec les yeux de l’esprit, le neuvième ciel où des saints furent ravis, le primum mobile ou cristallin, et enfin l'Empyrée, séjour des bienheureux vers lequel, après la mort, deux anges vêtus de blanc (il en avait la ferme espérance) porteraient comme un petit enfant son âme lavée par le baptême et parfumée par l’huile des derniers sacrements. En ce temps-là, Dieu n’avait pas d’autres enfants que les hommes, et toute sa création était aménagée d’une façon à la fois puérile et poétique, comme une immense cathédrale. Ainsi conçu, l’univers était si simple, qu’on le représentait au complet, avec sa vraie figure et son mouvement, dans certaines grandes horloges machinées et peintes.
C’en est fait des douze cieux et des planètes sous lesquelles on naissait heureux ou malheureux, jovial ou saturnien. La voûte solide du firmament est brisée. Notre œil et notre pensée se plongent dans les abîmes infinis du ciel. Au delà des planètes, nous découvrons, non plus l’Empyrée des élus et des anges, mais cent millions de soleils roulant, escortés de leur cortège d’obscurs satellites, invisibles pour nous. Au milieu de cette infinité de mondes, notre soleil à nous n’est qu’une bulle de gaz et la terre une goutte de boue. Notre imagination s’irrite et s’étonne quand on nous dit que le rayon lumineux qui nous vient de l’étoile polaire était en chemin depuis un demi-siècle et que pourtant cette belle étoile est notre voisine et qu’elle est, avec Sirius et Arcturus, une des plus proches sœurs de notre soleil. Il est des étoiles que nous voyons encore dans le champ du télescope et qui sont peut-être éteintes depuis trois mille ans.
Les mondes meurent, puisqu’ils naissent. Il en naît, il en meurt sans cesse. Et la création, toujours imparfaite, se poursuit dans d’incessantes métamorphoses. Les étoiles s’éteignent sans que nous puissions dire si ces filles de lumière, en mourant ainsi, ne commencent point comme planètes une existence féconde, et si les planètes elles-mêmes ne se dissolvent pas pour redevenir des étoiles. Nous savons seulement qu’il n’est pas plus de repos dans les espaces célestes que sur la terre, et que la loi du travail et de l’effort régit l’infinité des mondes.
Il y a des étoiles qui se sont éteintes sous nos yeux, d’autres vacillent comme la flamme mourante d’une bougie. Les cieux, qu’on croyait incorruptibles, ne connaissent d’éternel que l’éternel écoulement des choses.
Que la vie organique soit répandue dans tous les univers, c’est ce dont il est difficile de douter, à moins pourtant que la vie organique ne soit qu’un accident, un malheureux hasard, survenu déplorablement dans la goutte de boue où nous sommes.
Mais on croira plutôt que la vie s’est produite sur les planètes de notre système, sœurs de la terre et filles comme elle du soleil, et qu’elle s’y est produite dans des conditions assez analogues à celles dans lesquelles elle se manifeste ici, sous les formes animale et végétale. Un bolide nous est venu du ciel, contenant du carbone. Pour nous convaincre avec plus de grâce, il faudrait que les anges, qui apportèrent à sainte Dorothée des fleurs du Paradis, revinssent avec leurs célestes guirlandes. Mars selon toute apparence est habitable pour des espèces d’êtres comparables aux animaux et aux plantes terrestres. Il est probable qu’étant habitable, il est habité. Tenez pour assuré qu’on s’y entre-dévore à l’heure qu’il est.
L’unité de composition des étoiles est maintenant établie par l’analyse spectrale. C’est pourquoi il faut penser que les causes qui ont fait sortir la vie de notre nébuleuse l’engendrent dans toutes les autres. Quand nous disons la vie, nous entendons l’activité de la substance organisée, dans les conditions où nous voyons qu’elle se manifeste sur la terre. Mais il se peut que la vie se produise aussi dans des milieux différents, à des températures très hautes ou très basses, sous des formes inconcevables. Il se peut même qu’elle se produise sous une forme éthérée, tout près de nous, dans notre atmosphère, et que nous soyons ainsi entourés d’anges, que nous ne pourrons jamais connaître, parce que la connaissance suppose un rapport, et que d’eux à nous il ne saurait en exister aucun.
Il se peut aussi que ces millions de soleils, joints à des milliards que nous ne voyons pas, ne forment tous ensemble qu’un globule de sang ou de lymphe dans le corps d’un animal, d’un insecte imperceptible, éclos dans un monde dont nous ne pouvons concevoir la grandeur et qui pourtant ne serait lui-même, en proportion de tel autre monde, qu’un grain de poussière. Il n’est pas absurde non plus de supposer que des siècles de pensée et d’intelligence vivent et meurent devant nous en une minute dans un atome. Les choses en elles-mêmes ne sont ni grandes ni petites, et quand nous trouvons que l’univers est vaste, c’est là une idée tout humaine. S’il était tout à coup réduit à la dimension d’une noisette, toutes choses gardant leurs proportions, nous ne pourrions nous apercevoir en rien de ce changement. La polaire, renfermée avec nous dans la noisette, mettrait, comme par le passé, cinquante ans à nous envoyer sa lumière. Et la terre, devenue moins qu’un atome, serait arrosée de la même quantité de larmes et de sang qui l’abreuve aujourd’hui. Ce qui est admirable, ce n’est pas que le champ des étoiles soit si vaste, c’est que l’homme l’ait mesuré.
 
-oOo-
 
Le christianisme a beaucoup fait pour l’amour en en faisant un péché. Il exclut la femme du sacerdoce. Il la redoute. Il montre combien elle est dangereuse. Il répète avec l' Ecclésiaste  : « Les bras de la femme sont semblables aux filets des chasseurs, laqueus venatorum  » Il nous avertit de ne point mettre notre espoir en elle : « Ne vous appuyez point sur un roseau qu’agite le vent, et n’y mettez pas votre confiance, car toute chair est comme l’herbe, et sa gloire passe comme la fleur des champs. » Il craint les ruses de celle qui perdit le genre humain : « Toute malice est petite, comparée à la malice de la femme. Brevis omnis malitia super malitiam mulieris  ». Mais, par la crainte qu’il en fait paraître, il la rend puissante et redoutable.
Pour comprendre tout le sens de ces maximes, il faut avoir fréquenté les mystiques. Il faut avoir coulé son enfance dans une atmosphère religieuse. Il faut avoir suivi les retraites, observé les pratiques du culte. Il faut avoir lu, à douze ans, ces petits livres édifiants qui ouvrent le monde surnaturel aux âmes naïves. Il faut avoir su l’histoire de saint François de Borgia contemplant le cercueil ouvert de la reine Isabelle, ou l’apparition de l’abbesse de Vermont à ses filles. Cette abbesse était morte en odeur de sainteté et les religieuses qui avaient partagé ses travaux angéliques, la croyant au ciel, l’invoquaient dans leurs oraisons. Mais elle leur apparut un jour, pâle, avec des flammes attachées à sa robe : « Priez pour moi, leur dit-elle. Du temps que j’étais vivante, joignant un jour mes mains pour la prière, je songeai qu’elles étaient belles. Aujourd’hui, j’expie cette mauvaise pensée dans les tourments du purgatoire. Reconnaissez, mes filles, l’adorable bonté de Dieu, et priez pour moi. » Il y a dans ces minces ouvrages de théologie enfantine mille contes de cette sorte qui donnent trop de prix à la pureté pour ne pas rendre en même temps la volupté infiniment précieuse.
En considération de leur beauté, l’Église fit d’Aspasie, de Laïs et de Cléopâtre des démons, des dames de l’enfer. Quelle gloire ! Une sainte même n’y serait pas insensible. La femme la plus modeste et la plus austère, qui ne veut ôter le repos à aucun homme, voudrait pouvoir l’ôter à tous les hommes.

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