L Épreuve de la haine
323 pages
Français

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L'Épreuve de la haine , livre ebook

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Description

La violence n’a pas subitement surgi dans nos vies avec les attentats de janvier et de novembre 2015. Aucune de nos relations, qu’elles soient familiales, scolaires, professionnelles, morales ou politiques, n’y échappe. Mais la terreur instaurée par les attaques terroristes est une épreuve sans précédent. D’abord parce qu’elle provoque la hantise de la répétition : nous savons qu’à la terrasse d’un café, dans une salle de spectacle ou dans les transports en commun, la violence peut à nouveau frapper. La peur, le désir de vengeance et de justice accompagnent notre volonté d’en finir avec ce que nous considérons comme le mal radical. Comment pourrait-il en aller autrement ? Et qui nous le reprocherait ? Mais le risque est alors d’autoriser les emportements, les jugements précipités, les décisions aveugles et, finalement, de répondre à la violence par la violence. Faire face à la haine est un défi pour nos sociétés. Dans ce livre courageux, à contre-courant de bien des discours actuels, et convoquant toutes les ressources de la philosophie, Marc Crépon défend le principe du refus de la violence, du refus de consentir à son œuvre et à la culture de destruction qui l’accompagne. Les grandes figures de la non-violence que furent Jaurès, Romain Rolland, Martin Luther King et Mandela nous offrent des modèles et prouvent que la terreur n’est ni invincible ni fatale. Normalien, agrégé de philosophie, Marc Crépon est directeur de recherches au CNRS et dirige le département de philosophie de l’École normale supérieure. Il a notamment publié Le Consentement meurtrier. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 octobre 2016
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738159120
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2016 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5912-0
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Avant-propos

– I –
Les 7 et 9 janvier, puis le 13 novembre et le 14 juillet derniers, la violence a fait irruption dans nos vies. Elle n’avait sans doute pas attendu ces jours pour que nous en ayons une expérience directe ou indirecte. Aucune des relations qui font le tissu de l’existence individuelle n’y échappe, qu’elles soient familiales, scolaires, professionnelles, morales ou politiques. Mais celle-ci fut une épreuve immédiate pour au moins trois raisons. La première est que le propre d’une attaque terroriste tient à la hantise de sa répétition. Au-delà des victimes qu’elle fait instantanément, qui suscitent notre indignation et notre compassion, nous redoutons aussitôt qu’elle se reproduise. C’est l’essence même de la terreur. Cette irruption ne fut donc pas ponctuelle, limitée dans le temps, mais durable. Elle a installé la perspective de sa réitération dans l’horizon de l’existence. Nous savons qu’à la terrasse des cafés, dans une salle de spectacle, les transports en commun, à l’occasion d’une manifestation sportive ou festive, elle peut revenir à tout instant. Rien ne saurait nous persuader du contraire et personne ne se risquera à le garantir. La deuxième raison qui en fait une épreuve tient aux passions négatives que ces attaques provoquent : la peur assurément, mais la haine également. Parce que la violence terroriste procède d’une haine folle, construite et entretenue, rabâchée au cours de son entraînement dans des camps meurtriers et sur tous les canaux de sa propagande, elle fait naître en chacun le besoin pressant d’une réponse, dans laquelle se confondent, aussi légitime et compréhensible soit ce besoin, justice, vengeance et protection. Nous voulons en finir avec ce que nous percevons comme un mal radical et ce que nous identifions comme sa source. Comment pourrait-il en aller autrement ? Et qui le reprocherait ? Le risque pourtant, ce sont alors les paroles emportées, les jugements précipités, les actes inconsidérés, les décisions aveugles, auxquels la haine qui se réveille en chacun nous expose en retour. Il est d’autant plus élevé que les responsables politiques, prisonniers de leurs calculs électoraux, ne se privent pas de surenchères indécentes pour en tirer profit. Au-delà des victimes que la violence spectaculaire fait, le traumatisme qu’elle engendre offre un terrain de prédilection à toutes les simplifications de la pensée, comme aux réductions de l’analyse, quand elle n’exige pas la confiscation de toute étude et de toute réflexion, comme si la mémoire de ces mêmes victimes l’exigeait. Elle favorise les fausses évidences. Comment résister dans cette perspective surchargée d’émotions à l’idée et au sentiment pesants que la violence appelle la violence , qu’elle la demande ; et qu’il n’y a rien que cette réplique doive s’interdire, aucun moyen juridique et policier qu’elle doive se refuser pour traquer, de la façon la plus large possible, les criminels et punir leurs crimes, quand bien même quelques libertés communes devraient être écornées ? Et comment échapper à la conviction que rien, absolument rien ne doit nous retenir de haïr ceux qui sèment la terreur ?
La troisième raison qui fait de ces attaques terroristes une épreuve est qu’elles changent indiscutablement la perception que nous pouvions avoir de notre appartenance au monde. Car cette violence des mois de janvier, de novembre et de l’été derniers, c’est celle que subissent au quotidien, depuis des années, les populations de la Syrie, de l’Irak et de la Libye, écrasées sous les bombardements et soumises à la routine des attentats. Nous en étions jusqu’alors les spectateurs lointains, sinon indifférents, du moins résignés. Elle relevait pour beaucoup, par la force des choses, de cette forme de consentement meurtrier qui fait que l’on voit sans voir, que l’on entend sans entendre, transigeant avec la responsabilité du soin, du secours et de l’attention qu’appellent pourtant la vulnérabilité et la mortalité de tout autre. Qu’on le reconnaisse ou qu’on le dénie, les meurtres de masse du régime syrien et de ses soutiens nous touchaient de loin. Ils prenaient si peu de place dans nos vies ! L’afflux de réfugiés qui frappent aux portes de l’Europe, au péril de leur existence, depuis l’été dernier, l’origine et la circulation des terroristes ont pour premier effet que ces violences nous ont rattrapés. Nous ne pouvons plus ignorer ce qui lie le destin des peuples des deux côtés de la Méditerranée. Aucune frontière, aucune barrière, aucun barbelé ni aucun mur ne pourront effacer cette communauté. C’est un défi pour la pensée. Car là encore les simplifications nous guettent, comme celle qui voudrait interpréter cette exposition commune comme le signe d’un inévitable choc entre deux civilisations opposées : « L’Islam et l’Occident 1 . » Mais l’État islamique n’est pas une civilisation ! Il ne peut pas même être identifié à la religion dont il se réclame ; et il ne fait nulle part autant de victimes que parmi les populations qui définissent pourtant une partie de leur identité à partir de cette même religion. La violence cherche la division, dont la haine est l’instrument le plus efficace ; c’est sa culture et son travail. Elle en a besoin pour se justifier et s’entretenir ! Et il n’y a rien qui la soutienne davantage que de la tenir pour définitive en l’essentialisant. Est-il à ce point certain pourtant qu’entre les deux rives de la Méditerranée il n’y ait aucune forme d’entente et de solidarité qui reste possible et puisse lui être opposée, aucune raison commune qui puisse les réunir ? Les ravages de la haine et les destructions qu’engendre la violence sont pourtant communs. Ceux qui les ont choisis comme raison d’être, rompant toutes les digues qui les rattachent au reste de l’humanité, font des victimes de part et d’autre. Comment imaginer alors que le refus de la violence puisse être le privilège de l’un ou l’autre des deux rivages et qu’il ne constitue pas le principe de leur réunion ?

– II –
Encore faut-il savoir de quoi l’on parle et trouver la méthode pour y arriver ! Chaque fois qu’il est question de violence, le piège tendu est de l’aborder par ses causes, en disputant à l’infini les raisons qui l’expliquent. Quoi qu’on en dise, cela ne revient pas nécessairement à la justifier, à lui trouver des excuses ni à la minimiser ; encore que ce soit parfois le cas, comme cela s’est vu dans tant de discours de soutien apporté à certains régimes de terreur. Pour autant, cela ne rend compte en rien de l’expérience de la violence. Pour être universelle, celle-ci reste impossible à comprendre, tant qu’on ne part pas du seul point de vue qui échappe à toute complaisance, celui de ses effets . Ce qu’il importe de décrire et d’analyser, c’est la façon dont elle transforme notre rapport au monde, affectant brutalement ou sournoisement notre relation au temps, à l’espace et plus généralement à la totalité de ce qui nous entoure. À supposer que l’on veuille faire du refus de la violence un principe du jugement, de la pensée et de l’action, il faut savoir ce à quoi l’on s’oppose précisément, à plus forte raison quand cette même violence s’appuie sur une fabrique de la haine. C’est à cette compréhension qu’est consacrée la première partie de ce livre.
Mais la méthode ne s’arrête pas là. Dès lors que l’articulation de la violence et de la haine est mise en évidence, il faut encore montrer qu’elle n’est pas une fatalité, que l’on peut échapper à la première et surmonter la seconde ; que leur refus commun, par conséquent, peut faire l’objet d’un principe : celui de la non-violence qui a son efficacité propre. C’est alors qu’une seconde conviction entre en jeu. La première était que la violence doit s’analyser par ses effets, seuls susceptibles de constituer le levier d’une critique qui transcende les divisions, en éveillant en chacun indignation, honte et révolte. La seconde tient à la mémoire vivante des discours et des actions. On est toujours moins abandonné, moins désorienté qu’on ne le pense, quand on veut bien se rappeler que cette violence qui nous semble inexorable, cette haine qu’on imagine inextricable, d’autres que nous, en d’autres temps et d’autres lieux, en ont fait l’épreuve ; et que ce qu’ils en ont dit alors, les termes dans lesquels ils les ont décrites, pensées et combattues sont une inextinguible source de clarté. Le pari que tient la seconde partie de ce livre, c’est donc de supposer qu’en dépit de tout ce qui sépare les contextes (la guerre de 1914-1918, la montée des fascismes en Europe, la lutte pour les droits civiques en Amérique, la fin de l’apartheid, le génocide rwandais 2 ) il est possible de croire en leur secours ou leur soutien et de le faire revivre, l’espace de quelques citations et de quelques analyses. Elle sollicite ainsi quelques grandes voix : celles, entre autres, de Jean Jaurès, de Romain Rolland, de Marin Luther King et de Nelson Mandela.
Reste enfin un dernier point qui tient à la nécessité de mobiliser contre la haine et la violence des ressources spirituelles, morales ou autres radicalement étrangères aux stratégies et aux calculs politiques et néanmoins susceptibles de leur adresser

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