L Énigme de la raison
320 pages
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L'Énigme de la raison , livre ebook

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Description

La raison, dit-on, est ce qui rend les humains supérieurs aux autres animaux. Si elle est un tel atout, pourquoi n’a-t-elle évolué que dans notre espèce ? Pourquoi nos opinions et nos actions sont-elles si souvent irrationnelles ? Hugo Mercier et Dan Sperber s’attaquent à ces énigmes. S’appuyant sur des exemples historiques, des anecdotes du quotidien et les derniers résultats de la psychologie expérimentale, ils critiquent l’idée selon laquelle la fonction de la raison serait de permettre à chacun de parvenir à une meilleure connaissance du monde et à des décisions plus justes. Pour eux, la raison est avant tout à usage social : elle nous aide à nous justifier aux yeux d’autrui, à argumenter pour convaincre et à évaluer les arguments des autres. Elle facilite la communication, les actions collectives et la vie sociale. Elle peut aussi polariser les antagonismes. En bref, la raison a pour fonction première de permettre aux humains de tirer le meilleur parti de leurs inter- actions, riches et complexes. Cette conception explique comment la raison a pu évoluer, et ce qu’on peut – ou non – en attendre. Ambitieux, provocateur, passionnant, ce livre donne aux lecteurs des ressources pour penser leur propre façon de penser. Hugo Mercier est chercheur en sciences cognitives à l’Institut Jean-Nicod (CNRS, ENS) à Paris. Il se spécialise dans l’étude du raisonnement et de la communication humaine. Dan Sperber est chercheur en philosophie, sciences cognitives et sciences sociales à l’Institut Jean-Nicod (CNRS, ENS) à Paris. Il est aussi professeur à la Central European University à Vienne et a enseigné aux universités de Princeton, du Michigan, de Chicago et de Londres. Parmi ses livres, aux éditions Odile Jacob, La Contagion des Idées (1996), et, avec Roger-Pol Droit, Des idées qui viennent (1999). 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 septembre 2021
Nombre de lectures 7
EAN13 9782738157607
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , SEPTEMBRE  2021
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5760-7
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
INTRODUCTION
Une double énigme

Ils boivent et ils pissent. Ils mangent et ils chient. Ils dorment et ils ronflent. Ils transpirent et ils frissonnent. Ils se désirent. Ils s’accouplent. Ils naissent et meurent dans les souillures. Des bêtes, les humains sont des bêtes ! Ah, mais les humains, et eux seuls, sont doués de raison. La raison leur donne une place à part, bien au-dessus des autres créatures – à en croire les philosophes de la tradition occidentale.
Invoquer la raison, cette faculté qui rend les humains plus savants et plus sages, permettait d’atténuer la honte, le scandale de l’animalité humaine. La raison plutôt que le langage dont d’autres animaux semblaient avoir une forme rudimentaire. La raison, plutôt que l’âme, trop mystérieuse. Doués de raison, les humains étaient encore des animaux mais n’étaient plus des bêtes.

La raison : un superpouvoir défectueux ?
Arrive Darwin et on réalise que les traits propres à l’espèce humaine ne sont pas un don des dieux mais un effet de l’évolution biologique. La raison, étant l’un de ces traits, doit être un effet de l’évolution. Et pourquoi pas ? La sélection naturelle n’a-t-elle pas produit toute sorte de mécanismes époustouflants ?
La vision, par exemple. La plupart des espèces animales possèdent cette formidable adaptation biologique. La vision relie certains organes, les yeux, à des zones spécialisées du cerveau et fournit, à partir de stimulations rétiniennes, des informations précises à souhait sur les propriétés, la localisation et le mouvement d’objets distants. La tâche qu’accomplit la vision est d’une extrême complexité, bien plus complexe à tous égards que celle qu’accomplit la raison. Les chercheurs en intelligence artificielle se sont donné bien du mal pour modéliser et simuler la vision et le raisonnement. La vision artificielle reste rudimentaire, très loin des performances de la vision humaine. En revanche, bien des modélisations informatiques du raisonnement ont été présentées (peut-être de façon trop optimiste) comme ayant des performances supérieures à celles de la raison humaine. Si la vision est un produit de l’évolution, alors pourquoi n’en irait-il pas de même de la raison ?
La raison, encore plus que la vision, est, nous dit-on, une faculté d’un usage très général. La raison permet à la cognition d’atteindre de nouveaux sommets. Privée de la raison, la cognition animale se réduit à l’instinct ; la connaissance et l’action sont radicalement limitées. Renforcée par la raison, la cognition permet d’acquérir de meilleures connaissances dans tous les domaines et d’adapter l’action à des buts nouveaux et ambitieux. C’est du moins ce qu’on nous explique. Vraiment ? Mais si la raison est un tel superpouvoir, pourquoi, à la différence de la vision, n’a-t-elle évolué que chez une seule espèce ?
Il est vrai que certaines adaptations remarquables sont très rares. Seuls dans quelques espèces, les chauves-souris en particulier, ont évolué des systèmes d’écholocalisation. Une chauve-souris émet des ultrasons dont l’écho lui est renvoyé par les surfaces qui l’entourent. Elle utilise cet écho pour localiser et identifier instantanément par exemple des obstacles ou des proies en mouvement. La plupart des animaux sont bien incapables de faire de même.
La vision et l’écholocalisation ont beaucoup de points communs. Un rayonnement de spectre limité – la lumière dans le cas de la vision, les ultrasons dans le cas de l’écholocalisation – fournit des informations pertinentes pour répondre à des questions cognitives ou pratiques des plus variées. Mais alors, pourquoi la vision est-elle si répandue et l’écholocalisation si rare ? Parce que dans la plupart des environnements, la vision est bien plus efficace. L’écholocalisation n’est adaptée que dans une niche écologique où la vision est impossible ou très entravée – par exemple lorsqu’on habite des grottes et qu’on chasse la nuit comme le font les chauves-souris.
La raison est-elle rare – voire limitée à une seule espèce – parce qu’elle est adaptée à une niche écologique très particulière, exclusivement occupée par les humains ? Cette hypothèse insolite mériterait d’être creusée. Elle est incompatible, cependant, avec la conception habituelle, qui affirme que la raison améliore la cognition quel que soit l’environnement dans lequel elle opère et quelles que soient les tâches qu’on lui assigne. On comprend facilement pourquoi seules quelques espèces utilisent l’écholocalisation. Expliquer pourquoi seuls les humains disposent de la raison est un défi d’une autre envergure.
Parlons des roues. Les animaux n’en ont pas. Pourquoi donc 1  ? Après tout, des véhicules à roues sont bien plus faciles à construire que des véhicules à jambes ou à ailes (tout comme les modèles du raisonnement semblent bien plus faciles à élaborer que les modèles de la vision). Mais les roues artificielles sont fabriquées séparément puis ajoutées à un véhicule, alors que les roues biologiques devraient croître in situ . Comment une partie du corps en rotation libre pourrait-elle être rattachée au reste du corps par des nerfs et des vaisseaux, et comment pourrait-elle fonctionner si elle ne l’était pas ? Les solutions biologiques ne sont pas évidentes à imaginer, et ce n’est là qu’une partie du problème.
Pour qu’une adaptation biologique complexe ait été produite par l’évolution, il a fallu passer par une série d’étapes en partant de précurseurs rudimentaires pour aboutir à des mécanismes pleinement développés, chaque modification successive ayant été favorisée (ou du moins pas éliminée) par la sélection naturelle. Les systèmes visuels complexes des insectes, des mollusques ou des mammifères, par exemple, ont tous évolué à partir de cellules sensibles à la lumière en suivant une longue séquence de modifications dont chacune était adaptative ou neutre. Vraisemblablement, une telle série d’étapes adaptatives menant d’animaux sans roues à des animaux dotés de roues était sinon impossible, du moins si peu probable qu’elle n’a jamais eu lieu.
Peut-être la raison est-elle à la cognition animale, ce que les roues seraient à la locomotion animale : un effet très improbable de l’évolution. Si la raison est tellement rare, c’est peut-être parce qu’elle a évolué en passant par une série d’étapes chacune très improbable, événement qui ne se serait produit qu’une seule fois, très récemment à l’échelle de l’évolution, et au bénéfice d’une seule espèce, la nôtre.
Les étapes à travers lesquelles la raison aurait graduellement évolué restent un mystère. La raison ne semble pas mieux intégrée aux capacités cognitives ordinaires des humains que les superpouvoirs de Superman ou de Spider-Man ne le sont à leurs traits physiques humains ordinaires. On pourrait, bien sûr, soutenir que la raison est une sorte de greffon, un ajout, un gadget culturel – inventé, selon certains, par les Grecs anciens – et non une adaptation biologique. Mais comment une espèce dépourvue du superpouvoir de la raison s’y serait-elle prise pour inventer la raison elle-même ? La raison a manifestement bénéficié de diverses améliorations culturelles, mais la capacité d’une espèce à produire, évaluer et utiliser des raisons appelle une explication de type évolutionnaire. Or, en guise d’explication, on ne nous propose guère mieux que de grands mouvements de bras.
Pire, ces mouvements de bras n’indiquent même pas une direction plausible. Supposons que, contre toute attente, une espèce animale soit naturellement dotée de roues. Nous aurions bien du mal à expliquer le comment de cette évolution. Mais si ces roues permettaient aux animaux en question de se mouvoir avec aisance dans leur environnement naturel, nous aurions au moins une idée du pourquoi. En d’autres termes, nous comprendrions la fonction de ces roues. Nous ne serions certes pas surpris de découvrir que ces roues, comme tous les organes, ont des faiblesses et des défaillances. En revanche, nous resterions perplexes si nous découvrions que ce système de locomotion souffre systématiquement d’un défaut qui compromettrait l’accomplissement même de sa fonction – par exemple, si les roues étaient de taille différente de chaque côté du corps de l’animal, lui rendant difficile d’aller droit devant lui. Un mécanisme biologique décrit comme une adaptation mal adaptée est plus probablement un mécanisme mal décrit. La raison, telle qu’on la décrit en général, rentre dans cette catégorie.
Les psychologues pensent avoir démontré que la raison humaine est défectueuse, idée qui est devenue un lieu commun. L’accumulation de résultats expérimentaux a fini par convaincre psychologues et philosophes que les humains commettent de grossières erreurs quand ils raisonnent. Ce n’est pas seulement que les humains raisonnent mal : leurs erreurs sont systématiques. En somme, les roues de la raison seraient déséquilibrées.
Du lieu commun, on est passé aux polémiques. La raison est défectueuse, soit, mais à quel point ? Comment mesurer le succès ou l’échec du raisonnement ? Quels sont les mécanismes responsables de ce malfonctionnement ? En dépit de leurs désaccords, qui peuvent être extrêmes, les acteurs de ces polémiques accepten

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