Où la mémoire s attarde
238 pages
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Description

Homme secret, homme de l'ombre par nature autant que par nécessité, Raymond Aubrac aura été intimement lié à plus d'un demi-siècle d'histoire, en France comme à l'étranger. En France, il est l'une des grandes figures de la Résistance, dont il a été l'un des pionniers dès 1940. Adjoint du chef de l'Armée secrète, le général Delestraint, à partir de 1942, plusieurs fois arrêté, plusieurs fois évadé (on se souvient du livre de Lucie Aubrac, ils partiront dans l'ivresse), il est, avec le docteur Dugoujon, le dernier survivant du rendez-vous de Caluire, le 21 juin 1943, au cours duquel Jean Moulin fut arrêté. Sur ces évènements, et d'autres, dont sa rencontre avec de Gaulle à Alger, Raymond Aubrac apporte un éclairage inéditMais la vie de Raymond Aubrac ne se limite pas à la Résistance. Commissaire de la République à Marseille à la Libération, puis directeur du service du déminage, il a participé à la reconstruction du pays. Créateur d'un bureau d'études, il a ensuite travaillé, de 1948 à 1958, avec les démocraties populaires et avec la Chine. Il s'explique, là aussi pour la première fois, sur son engagement aux cotés des communistes comme compagnon de route. Le troisième volet de ces Mémoires, et non le moindre, est consacré en grande partie aux deux guerres d'Indochine. Proche d'Ho Chi Minh, Raymond Aubrac a été mélé de très près aux négociations secrètes qui ont accompagné ces guerres. Sur ce point, il apporte des révélations sur les coulisses d'une guerre qui a mu l'opinion publique internationale. Il revient sur l'action d'hommes qu'il a bien connus alors : Henry Kissinger, Robert McNamara, Kurt Waldheim, Pham Van Dong, et montre l'importance du role joué par le mouvement Pugwash, avec lequel il a travaillé. Les Mémoires de cet homme de 82 ans, qui a été au coeur d'évènements majeurs sont une pièce de premier ordre à verser au dossier de l'histoire du XXe siècle en France et dans le monde.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 1996
Nombre de lectures 6
EAN13 9782738198228
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , S EPTEMBRE 1996
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9822-8
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
À mes petits-enfants : Gilles Olivier Marianne Jean-Marc Renaud Leïla Delphine Étienn e Hélène
Remerciements

Ce livre doit (presque) tout
– aux amis, journalistes, historiens qui m’ont permis, parfois sans le savoir, de retrouver mes souvenirs ;
– à ceux, comme Maurice Agulhon et Philippe Devillers, qui ont lu tout ou partie du manuscrit et m’ont épargné bien des erreurs – celles qui subsistent sont les miennes ;
– à Laurent Douzou, qui a lu et relu l’ensemble et qui a contribué à le mettre en forme ;
– à Lucie, ma femme, qui m’a aidé à vivre.
Prologue

« [...] nul ne saurait prétendre avoir tout contemplé ou tout connu. Que chacun dise franchement ce qu’il a à dire ; la vérité naî-tra de ces sincérités convergentes » (Marc Bloch, L’Étrange Défaite , Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », rééd., 1990, p. 54).

Quelle chose étrange que la mémoire ! On se souvient avec précision d’une rencontre, d’une conversation, mais sans pouvoir la dater à une année près, sauf si quelque détail en indique la saison. Certains événements sont tout simplement oubliés, ou plutôt occultés, jusqu’à ce qu’une lecture, un dialogue les fassent soudain réapparaître.
Le témoin relate ce qu’il a connu, sans en savoir les conséquences, surtout lointaines. L’historien, au contraire, connaît les conséquences de ce qu’il raconte. Mais l’apprenti mémorialiste que je suis n’est ni l’un ni l’autre, et sa sincérité exige un véritable effort.
Parfois j’ai pu prendre quelques notes, lorsque les circonstances me paraissaient importantes et que j’en avais le temps. J’ai conservé les petits agendas où je notais mes rendez-vous, y compris l’itinéraire de mes voyages. Mais ces carnets, que je tiens depuis 1934, sont vides entre 1941 et 1944, quand il fallait mémoriser.
Le parcours dont je m’efforce de rendre compte est varié, comme celui de beaucoup de mes contemporains. J’ai eu souvent quelque peine à m’identifier à celui dont je racontais la vie, comme s’il s’était agi d’un autre, que j’aurais bien connu, mais qui aurait été ou qui serait devenu un étranger. Peut-être quelque lecteur aura-t-il rencontré l’un de ces personnages successifs et pourra-t-il m’aider à préciser ces avatars ?
Première partie
Résistances
Chapitre premier
Jusqu’à l’an 40
(1914-1940)

J’ai vécu mes trois quarts de siècle passés dans une dizaine de villes où sont tant bien que mal accrochés mes souvenirs, sans compter bien d’autres où mon passage fut plus éphémère, mais où il a pu advenir que ma mémoire s’attarde.
De ces lieux, il est normal que les traits les plus effacés soient ceux de ma ville natale, Vesoul. Ni la ville ni ses environs ne m’ont laissé grand souvenir. Il est vrai que je l’ai quittée à l’âge de neuf ans, trop tôt pour avoir découvert ses charmes et m’y être fait des amis. Je regrette parfois de n’avoir pas mieux connu ces lieux où ont vécu mes parents et qui ont peut-être, par quelques mystérieux effluves, influencé ma vie.
Je suis né le 31 juillet 1914, jour de l’assassinat de Jean Jaurès, veille de la Grande Guerre. De celle-ci je n’ai pas de souvenir, si ce n’est l’image de mon père en bleu horizon, musette au côté pendant une permission. Est-ce un souvenir vécu ? Ou la réminiscence de quelque vieille photo jaunie ? Une autre image, qui ne peut pas être une photo, c’est un avion allemand, un Taube, haut dans le ciel entre les maisons de la rue d’Alsace-Lorraine où nous habitions.
L’appartement était au-dessus du magasin de mes parents. On y montait par un escalier en plein air, au fond d’une cour où arrivaient les marchandises. Dans le magasin de Nouveautés, ma mère tenait le rayon « dames ». Pour autant que je m’en souvienne, mon père vendait peu, s’occupant des achats, de la comptabilité et de la surveillance des deux ou trois commis.
À cinquante mètres de là, mes grands-parents paternels avaient leur magasin, spécialisé dans la confection pour hommes. Salomon Samuel, mon grand-père paternel, était né à Moulins-lès-Metz en Lorraine. Son père ou lui était venu s’installer à Vesoul pour échapper à l’annexion de 1871. Sa famille vivait, depuis quelques générations, du commerce des bestiaux, une activité fréquente chez les Juifs d’Alsace et de Lorraine.
Né à Vesoul en 1884, mon père avait fait ses études au lycée Jérôme, où j’ai commencé mes classes. Il était allé jusqu’à la « rhétorique » et m’expliquait la pratique du discours latin, composante obligatoire des humanités. Il avait aussi étudié le grec et l’allemand. C’était un homme paisible, très attaché à ses devoirs. Il gérait ses affaires avec le plus grand soin et travaillait beaucoup. Sans jamais en faire de discours, il obéissait à des règles de vie très strictes. L’attachement à la famille était son bonheur calme et sa progéniture n’a jamais manqué de rien. Il n’avait pas d’option politique forte et comme il était peu extraverti, il n’a jamais cherché à conduire ses enfants vers le « juste milieu » dont il me semblait être adepte. La vie familiale était harmonieuse, fondée sur l’évidente affection des parents.
Ma mère, née Hélène Falck, avait vu le jour à Crest dans la Drôme en 1894. À ma naissance, elle avait donc tout juste vingt ans. Ayant très jeune perdu ses parents, elle avait été élevée par un oncle et une tante à Albertville, dans un milieu de petits commerçants, bourgeois moyens d’une ville de province. Ma mère était une personne très remarquable. Fort jolie femme, bonne musicienne, elle était gaie, aimable et très sociable. Elle avait étendu le cercle de ses relations bien au-delà du milieu professionnel. Je me souviens avoir vu à la maison, plus tard quand nous habitions à Dijon, nombre d’universitaires. Je crois bien qu’elle avait une opinion, on dirait aujourd’hui une sensibilité politique, plus avancée que son époux. Si les femmes avaient voté, elle aurait sans doute voté socialiste.
Sans être inexistante, la pratique religieuse de la famille était très superficielle. On ne respectait ni le sabbat ni les prescriptions alimentaires, mais on allait à la synagogue pour Yom Kippour et pour Rosh Hachana (le Grand Pardon et le Nouvel An). La première fête était jeûnée et le jeûne respecté, y compris par les enfants. Aux jours anniversaires de la mort de leurs parents, mon père et ma mère allumaient des veilleuses, petites bougies flottant sur l’huile. À treize ans, mon frère et moi, nous fîmes notre Bar Mitzva, occasion d’une fête de famille et de nombreux cadeaux.
Mon père avait deux sœurs, mes tantes Camille et Paule, ses aînées. Camille avait épousé Justin Schuhl qui était rabbin. La guerre avait fait de lui un aumônier militaire. Pendant l’occupation de la Rhénanie, il fut en garnison à Mayence et j’y fus invité pendant quelques vacances dans le courant des années 1920. Ce petit homme barbu, jovial, très érudit, émaillait son discours d’histoires juives (mais tirées du Talmud, attention !). Au cours des années 1920, mon oncle et ma tante se fixèrent à Strasbourg, une ville importante pour un rabbin militaire en raison de la présence de fortes garnisons.
L’autre sœur de mon père, Paule, avait épousé André Lévy, un commerçant toulousain. Ses affaires étaient assez importantes et son magasin, Au gaspillage, vaste et bien situé. Mon oncle et ma tante roulaient en Buick et avaient un billard dans leur villa de Royan. C’étaient des bourgeois éclairés, ayant un large cercle d’amis. J’éprouvais pour leurs trois enfants qui étaient plus âgés que moi une affection teintée de considération. Germaine, Simone et Jean ont maintenant disparu. Je ne les ai guère connus dans leur âge adulte.
Ma mère avait deux sœurs. Elle était la cadette. L’ aînée Renée épousa un commerçant lyonnais, Jules David, bon vivant, grand amateur de courses de chevaux. Maurice, leur fils aîné, fut mon cousin le plus proche. Cette connivence fut encore accrue, comme on verra plus loin, par les années noires de l’Occupation au cours desquelles il nous apporta une aide indéfectible et précieuse. Son frère Paul, un excellent sportif, devait trouver une mort terrible, arrêté par la Milice dont un membre, son camarade de faculté, l’avait dénoncé comme Juif. Il est mort à Auschwitz. Leur sœur Rosette était une des plus belles filles que j’ai rencontrées. J’étais, en tout bien tout honneur, amoureux de ma cousine comme tous les garçons qu’elle croisait.
L’autre sœur de ma mère, ma tante Marcelle, a disparu dans sa centième année après une vie laborieuse et pleine d’épreuves. Son mariage avec un commerçant belge, Élie Moërel, n’avait pas été heureux. Après son divorce, dans les années 1930, elle vint s’installer à Lyon, au voisinage de sa sœur Renée, et ouvrit rue Puits-Gaillot une boutique de confection pour dames, Diana, proche de celle de son neveu Maurice, Au Roi du Pantalon.
Elle éleva ses deux filles, Suzanne et Renée, qui firent avec leur cousine Rosette le plus joli trio de notre entourage familial. Rosette et Suzanne sont mortes trop jeunes. Renée a épousé un cousin lointain, Marcel David, l’historien du droit qui dirigea les Instituts du travail de Strasbourg puis de Paris.
Les trois sœurs, ma mère, Renée et Marcelle, étaient très liées. Dijon n’était guère éloigné de Lyon et pendant

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