Les Trois France
314 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les Trois France , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
314 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Pourquoi les paysans du Limousin votent-ils plutôt communiste et les ouvriers alsaciens plutôt à droite ? Pourquoi les Français diffèrent-ils si profondément dans leurs attitudes à l'égard des immigrés, de la religion, du mariage, du suicide, de la mort et des naissances ? Pour répondre à ces questions, l'auteur met en oeuvre les acquis les plus récents de la sociologie politique, de l'analyse démographique et de l'histoire. Restituant à l'actualité son épaisseur et son sens, il dévoile, sous le mythe d'une nation unie et indivisible, le visage caché d'une France plurielle et inédite. Hervé Le Bras est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales et directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 1986
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738160874
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
L’Enfant et la Famille
dans les pays développés
OCDE, 1979
 
L’Invention de la France
(en collaboration avec E. Todd)
Hachette, 1981
 
Population
Hachette, 1985
© O DILE J ACOB . AVRIL  1986. 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6087-4
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Le pays de Cadet Rousselle
Liberté, égalité, fraternité : on a discuté sans fin votre trinité.
Travail, famille, patrie : on a préféré oublier votre slogan aux relents de défaite.
Des trois couleurs du drapeau national aux trois ordres des états généraux, tout va par trois en France.
Existerait-il aussi trois France ? Sacrilège absolu : la France est une et indivisible malgré, ou à cause, de la variété de ses terroirs. Ce sacrilège, nous allons le commettre tranquillement ici. Trois forces politiques générales, trois principes d’organisation distincts, trois systèmes différents de reproduction sociale se combinent en effet en proportions variables sur toute l’étendue du territoire.
L’opposition si communément admise entre une France sérieuse, celle de l’État omniprésent, régulateur tatillon de la vie sociale, et une France amusante, celle des « pays » aux mœurs et aux passions infiniment variées, ne rend aucunement compte du pays concret. Ce face à face de la France des trois cents polytechniciens et de la France des trois cents fromages n’est qu’une caricature. Il est en effet impossible de réduire la diversité des régions à des dualités simplistes : État égalitaire et individus inégaux, ou ordre administratif et désordre local, voire, centre moderne et périphérie archaïque ; la dimension des familles, la pratique religieuse, la couleur politique, l’âge au mariage, la propension au suicide ou au crime, le nombre d’enfants naturels, l’éducation, l’industrie, l’immigration varient d’un bout à l’autre du territoire en un étonnant désordre. Non pas un désordre aléatoire, où chaque département se comporterait indépendamment de ses voisins, mais un ordre indéchiffrable, dans lequel de vastes zones adoptent une attitude homogène qui les oppose au reste du territoire. Géographie secrète, géologie sociale dont les déterminations, l’origine et la stabilité posent autant d’énigmes. Constellations mystérieuses de comportements où les provinces, mues par une loi inconnue de gravitation humaine, suivent un principe d’inertie tel que, élection après élection, les circonscriptions répètent leur vote, que recensement après recensement, les mêmes régions restent rurales ou industrielles, et qu’année après année, la mortalité et la fécondité demeurent faibles ou élevées aux mêmes endroits.

L’illusion de l’économisme.
Désarmées face à cette diversité tranquille, la sociologie et l’économie ont réduit le problème à leurs propres catégories — l’activité économique et les classes sociales. Elles expliquent alors la variété des comportements régionaux par l’inégale répartition des classes sociales sur le territoire : le caractère rural, ouvrier ou tertiaire d’une région reflète l’importance de la proportion d’ouvriers, d’agriculteurs ou d’employés qu’elle abrite. L’origine même des différences locales dans la composition socioprofessionnelle est attribuée au déterminisme géographique — voies de communication, obstacles naturels, ressources en matières premières — et aux décisions des aménageurs du territoire, à la recherche d’une distribution optimale des hommes et des marchandises. La diversité régionale apparaît ainsi sous l’angle rassurant d’une conséquence indirecte, mais logique, de l’inscription spatiale des choix économiques et de leurs conséquences sociales.
Cette explication développe des séquences causales du type suivant : l’industrie se développe au voisinage des marchés et des sources de matière première. Elle attire des ouvriers, qui votent à gauche ou à l’extrême gauche, dans l’espoir d’améliorer leur condition. Ces ouvriers meurent plus jeunes que le reste de la population en raison de leurs conditions de vie et sont actuellement plus atteints que les autres par le chômage, car leur qualification professionnelle est faible.
Tous ces phénomènes peuvent effectivement être observés, en France, dans le Nord et dans l’Est. Mais la vérification de quelques cas ne remplace jamais une démonstration. On oublie soudain que l’on vote aussi à gauche dans le Sud dépourvu d’industries, que le chômage atteint son maximum sur les bords de la Méditerranée où les usines sont rares, et que l’on meurt beaucoup dans l’Ouest agricole.
Quand on prend conscience de ces irrégularités, elles sont qualifiées d’exceptions : privilégier les cas favorables repousse à la périphérie les autres situations et finit par les occulter.
Cette manière de procéder est le péché mignon des théories. Les mathématiciens par exemple, alors qu’on leur présentait au XIX e siècle des courbes bizarres ou des surfaces surprenantes comme la « bande de Möbius », décrétèrent qu’on était en présence de « monstres », pour lesquels les mathématiques « normales » ne pouvaient rien. Traités avec moins de mépris par Cantor, Hilbert ou Poincaré, lesdits monstres permirent le prodigieux essor des mathématiques modernes où ils occupent désormais une place de choix 1 .
Les provinces « monstrueuses », Bretagne mortifère, Limousin communiste ou Provence allergique à l’industrie, sont actuellement traitées avec la même désinvolture par les théories socio-économiques dominantes. Tantôt, on règle leur sort à l’aide d’une élégante tautologie, tantôt on explique leur comportement exceptionnel par une des singularités de l’Histoire. La tautologie reste l’attitude la plus fréquente : les paysans du Limousin votent communiste parce que ce sont des paysans « rouges » ; les Bretons meurent jeunes parce qu’ils sont moins résistants et les Méditerranéens sont au chômage parce qu’ils sont feignants. Le docteur Diafoirus ajouterait que le patient a de la fièvre en raison du principe fébrile qui s’est emparé de son organisme.
Lorsque la tautologie est évitée, c’est au profit d’une explication contingente. On attribue l’irrégularité à un accident historique : méthode peu convaincante, du fait de son arbitraire ; chaque région, chaque département a une histoire suffisamment longue et riche pour que l’on y découvre l’argument recherché. La surabondance des explications dont le degré de certitude n’a malheureusement pas pu être établi constitue d’ailleurs la plaie la plus visible des sciences sociales. Dans cet esprit, on attribuera le vote communiste du Limousin aux maquis de la Résistance, voire à la personnalité de leur chef Guingouin, on verra dans le sous-développement du Sud un effet de la révocation de l’édit de Nantes et, dans le recul de la vie familiale, une conséquence lointaine des idées de la Révolution.
Explications dérisoires dans un cas comme dans l’autre, car le postulat de départ est faux : les différences régionales de comportement ne proviennent pas, en général, des différences de composition sociale, ni de la dissemblance des activités économiques. Ce serait plutôt l’inverse.
L’abandon de la distinction classique entre l’infrastructure et la superstructure mérite quelques justifications. Raisonnons sur un exemple souvent débattu, celui de la relation entre proportion d’ouvriers et vote communiste. Dans le schéma traditionnel, le PC, en s’affirmant comme le parti de la classe ouvrière, devrait réaliser ses meilleurs scores dans les régions industrielles. D’ailleurs, les enquêtes d’opinion sur les votes ou sur les intentions de vote, telle celle qu’a effectuée le CEVIPOV 2 au moment des élections de 1978, confirment bien l’existence d’un vote ouvrier au niveau national : 34 % des ouvriers s’étaient prononcés en faveur du PC, contre 14 % seulement dans le reste de la population.
Dès lors, si l’hypothèse d’une causalité socio-économique est exacte, on peut parvenir à une estimation des résultats communistes dans chaque département en partant de la proportion des électeurs ouvriers : par exemple, dans le Bas-Rhin, où l’on comptait à l’époque 43 % d’ouvriers, on aurait dû observer :
(0,43 × 34 %) + (0,57 × 14 %) = 22,7 %
de voix communistes. On en décompta en réalité 6 %. Elles représentèrent au contraire 34 % des suffrages dans le Gard et la Haute-Vienne, qui ne sont pas des bastions de l’industrie.
En effectuant ce calcul pour tous les départements, on voit sur les cartes ici comment les votes devraient se distribuer si le raisonnement habituel était juste, et comment ils se sont en fait répartis. Ces deux premières cartes n’ont aucun point commun. Non seulement les zones de fort vote communiste ne coïncident pas avec les concentrations ouvrières, mais les ordres de grandeur ne sont pas respectés : si l’influence socio-économique s’exerçait seule, le vote communiste oscillerait entre 18,3 % (Gers) et 22,7 % (Alsace). En réalité, il varie dans des proportions beaucoup plus considérables, de 6 % (Mayenne, Alsace) à 34 % (Gard, Haute-Vienne). À la suite de ces résultats, il serait ridicule de sous-estimer l’influence de la classe ouvrière, puisque l’observation initiale demeure exacte : le vote PC atteint 34 % chez les ouvriers et 14 % dans le reste de la population. Le grand tort est d’avoir voulu en faire la seule cause du vote PC.
Cette prétention à monopoliser l’expl

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents