L Invention des populations
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L'Invention des populations , livre ebook

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Description

La démographie, qui affirme être une science, n’a-t-elle pas aussi des préjugés idéologiques ? Définir une population représente un coup de force : n’est-ce pas imposer à un ensemble d’individus une catégorie qui va désormais les cataloguer et les contraindre ? À peine inventée, la population prend son autonomie : elle augmente, diminue, se déplace et enferme les individus dans son piège. Dès lors, ses conventions deviennent ses objets : l’âge, la fécondité et la croissance endogène de la population. D’où le racisme, l’eugénisme et l’exclusion de groupes considérés « à risques ». Cet ouvrage retrace les étapes de cette inquiétante invention des populations dans des domaines aussi différents que la politique de la Banque mondiale, l’idéologie des races, des ethnies et de l’assimilation, ou du vieillissement, la politique coloniale de la population... Sur toutes ces questions hautement controversées, de jeunes spécialistes internationaux interviennent. Hervé Le Bras, polytechnicien, démographe, est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Il a publié notamment Les Trois France. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2000
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738160898
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, FÉVRIER  2000 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
ISBN : 978-2-7381-6089-8
www.odilejacob.fr
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Avant-propos

Définir une population représente un coup de force : on impose à un ensemble d’individus une catégorie qui va désormais les cataloguer et éventuellement contraindre leur action. Regrouper un certain nombre d’humains selon un critère permet au groupe d’exister comme un être animé et d’agir comme lui : la population va augmenter, diminuer, se déplacer, se diviser comme un gigantesque polype avec ses pseudopodes. Les conditions et la légitimité scientifique d’une telle invention ont des conséquences formidables, car une recherche dépend étroitement de l’ensemble sur lequel elle a porté. En croyant décrire et expliquer un phénomène, on ne fait souvent que décrire les limites du groupe sur lequel on l’a observé, c’est-à-dire les suites du coup de force initial.
Les textes d’historiens, de sociologues, de démographes qui sont réunis dans cet ouvrage examinent cette opération qui est au départ de toute recherche et qui en est même souvent le sujet. Les textes sont l’aboutissement d’un travail commun, mené d’abord au cours d’une année de séminaire à l’École des hautes études en sciences sociales, puis d’un colloque où une première version a été discutée par André Langaney, Élisabeth Zucker-Rouvillois, Alain Blum et Maurizio Gribaudi qui ont apporté de précieux éclairages. La mise en forme définitive des textes a été assurée par Sandrine Bertaux et Hervé Le Bras, et les traductions par Sandrine Bertaux. Une introduction d’Hervé Le Bras montre comment les notions de peuple et population se sont influencées réciproquement depuis trois siècles. Une postface de Maurizio Gribaudi tire les conclusions historiographiques de cette exploration des populations ou plutôt de leurs usages.
INTRODUCTION
Peuples et populations

H ERVÉ LE BRAS

La démographie est toujours définie comme la science dont l’objet est l’étude des populations. L’association internationale qui regroupe les démographes du monde entier se nomme d’ailleurs « Union internationale pour l’étude scientifique de la population » (UIESP), et les revues de référence portent pour titre : Population Studies, Population and Development Review, Population, Population Index. Pour savoir ce qu’est la démographie, il faut donc savoir ce qu’est une population. C’est là que commencent les difficultés. Ou bien la définition est trop mathématique comme celle des statisticiens qui appellent « population » toute collection d’objets ou d’éléments comparables, ou bien la définition est trop proche de la signification commune et dépend donc de l’histoire du terme de population. Trop générale, la définition statistique ne justifie pas l’existence d’une branche distincte du savoir. Tout statisticien a affaire à des échantillons, à des ventilations d’éléments en catégories, à des ensembles définis. Distinguer une science de ces ensembles serait analogue à distinguer au sein des mathématiques une science des équations. Reste donc la définition, ou plutôt l’absence de définition qui consiste à se fier au langage courant et à ses variations au cours de l’histoire. On va voir ici qu’une telle histoire, tortueuse, a agrégé un ensemble de significations et de projets qui ont chacun eu leur logique à une époque donnée et parfois seulement dans un cercle donné. Plusieurs démographies se sont donc succédé. Mais en même temps, l’usage des chiffres par le biais de la statistique et plus encore des mathématiques a engendré une autre logique, formelle, qui caractérise aujourd’hui l’unité de la discipline, et qui lui construit une continuité historique. On va montrer ici, simultanément, les variations de sens de la notion de population en suivant ses entrelacs avec les notions voisines de peuple, de race, de masse humaine ou nationale, de nation et de populace, et la construction progressive d’une structure unitaire, la « population stable » qui finalement unifie différentes mesures de la population au début des années 1920 pour créer le formalisme actuel de l’étude des populations. Des conceptions politiques, idéologiques et biologiques différentes ont été ainsi encapsulées il y a quatre-vingts ans par le formalisme des populations stables et des indices démographiques qui en découlent (indices conjoncturels de fécondité, taux de croissance de la population stable, taux de renouvellement, taux de reproduction, espérances de vie, pyramides des âges, etc.), ce qui rend difficile le déchiffrement de ces significations figées mais cependant toujours potentiellement mobilisables qui se manifestent sporadiquement, tel l’enchanteur Merlin après avoir été pétrifié par Viviane, et qui tirent alors de leur gangue mathématique une force décuplée dans les débats sur la surpopulation, le natalisme, la famille, les origines nationales ou les migrations. Pour comprendre la nature de ces réactivations, nous allons donc procéder en deux temps. D’abord, suivre les aventures du terme population et des termes voisins avec lesquels il échange ses significations. Puis, nous allons montrer comment, à chaque stade, le formalisme pose des problèmes logiques dont la résolution intègre progressive ment certaines significations et en écarte d’autres jusqu’à constituer le corpus actuel des populations stables. Ce sera alors le versant internaliste ou généalogique de l’histoire de l’idée de population.

Dépopulation et population

Populatio, Populus, plebs
Dans la Rome républicaine qui nous a transmis la plupart des termes et concepts en la matière, les choses sont relativement claires. Populus désigne une fraction des citoyens qui partagent le pouvoir avec le sénat (SPQR : senatus populusque romanus , lit-on encore gravé sur les monuments). C’est donc une entité politique et nombreuse, l’équivalent du démos grec. Populatio n’est pas encore employé, mais le verbe populari signifie ravager ou dévaster. Quant à plebs , le terme désigne comme aujourd’hui la fraction inférieure de la société dans un sens péjoratif. Sous l’Empire, plusieurs glissements de sens vont se produire. Populus va se rapprocher de plebs jusqu’à signifier à peu près « populace », car les anciennes distinctions politiques ont perdu leur sens, remplacées par une hiérarchie administrative. Populari va donner depopulari qui le renforce et depopulatio qui en est le substantif. Il faut attendre l’Empire tardif pour qu’apparaisse en bas latin le terme de populatio dans l’acception d’un décompte des hommes ou des foyers, en général des citoyens d’une ville, remplaçant l’antique cens quinquennal de la République. Deux faits importants, que nous retrouverons à l’époque moderne, émergent de cette brève description : la notion de dépopulation a précédé la notion de population dont elle apparaît pourtant l’antonyme, et l’évolution des termes est liée à la structure du pouvoir politique.
L’antécédence du terme de dépopulation sur celui de population indique un ordre de faits important. Le phéno mène précède la mesure. En l’occurrence, les ravages de la guerre ou des épidémies entraînaient, quand ils atteignaient un degré extrême, une raréfaction des habitants, voire leur disparition locale. Le symptôme ou la mesure de la gravité du mal était donc la diminution du nombre d’habitants. Durant toute la fin de l’Antiquité, les textes qui parlent de dépopulation doivent être interprétés dans ce sens. Ils signalent une dangereuse évolution de la situation, mais ils n’en sont pas la cause. Le texte souvent cité où Polybe décrit l’« oliganthropie » de la Grèce continentale tire la conséquence en termes ethnocentriques (Polybe vivait à Rome dans la haute société) des ravages opérés par l’armée de Paul Émile qui a pillé et brûlé soixante-dix villes d’Épire et de Thessalie, et leur a enlevé plus de cent cinquante mille esclaves. Croire que l’idée de population précède celle de dépopulation inverse l’ordre des causalités. Au lieu que la faible population soit le résultat de catastrophes, elle tend à en devenir la cause car l’acteur. Dans son introduction à la sociologie, Norbert Elias 1 a attiré l’attention sur la tyrannie du prédicat dans les langues européennes : à partir du moment où le terme « population » est forgé, il peut devenir le sujet d’une phrase. Il s’incarne ou s’anthropologise comme s’il était devenu un acteur de l’histoire et il est de plus en plus perçu comme tel.
La seconde idée importante à retenir du bref survol des termes romains est l’importance de la structure politique pour les concepts démographiques. L’idée d’une population romaine n’a guère de sens à l’époque, car la perception des groupes humains est très différente de celle d’aujourd’hui. Il existe de multiples statuts et des passages entre nombre d’entre eux au cours de l’existence : esclave, affranchi, citoyen de telle ou telle cité, homme majeur, enfant, femme. L’ensemble des individus qui constituent la société n’est pas perçu comme tel, mais seulement son corps politique, le populus de l’époque républicaine, puis son successeur plus diffus sur lequel repose cependant la justement nommée « popularité » des empereurs, puis la populatio , ensemble des citoyens ayant des droits politiques locaux. Il ne faut pas confondre des opérations de recensement décidées dans un but fis

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