23
pages
Français
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2014
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Ebook
2014
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Publié par
Date de parution
10 avril 2014
Nombre de lectures
1
EAN13
9782895966258
Langue
Français
Publié par
Date de parution
10 avril 2014
Nombre de lectures
1
EAN13
9782895966258
Langue
Français
La collection «Mémoire des Amériques» est dirigée par David Ledoyen
Ce texte est extrait de l'ouvrage de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, De remarquables oubliés , t. 1, Elles ont fait l'Amérique , Montréal, Lux Éditeur, 2011.
Illustration de couverture: Francis Back
© Lux Éditeur, 2011 www.luxediteur.com
Dépôt légal: 2 e trimestre 2014 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec ISBN(ePub) 978-2-89596-625-8
Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC . Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada ( FLC ) pour nos activités d’édition.
Mina Benson Hubbard
« I t’s a man’s game»
écrivait son mari, Leonidas Hubbard, en parlant de l’univers mythique des explorations. Et pourtant c’est elle, Mina, sa femme, la toute belle et élégante Mrs. Hubbard, qui conquit à sa place les grands espaces sauvages dont il avait tant rêvé.
L E 27 JUIN 1905, vêtue d’une longue jupe et d’une chemise à haut col, ses beaux cheveux relevés en chignon, elle monte enfin dans l’un des deux canots qui la portera – si Dieu le veut – à la baie d’Ungava. Depuis l’instant où elle en a eu l’inspiration, il y a six mois, elle n’a plus vécu que pour ce départ. C’était un jour de janvier; assise à sa table de travail, triste, esseulée, elle a soudain ressenti dans tout son être une espèce d’illumination, quelque chose d’indéfini, une vibration, une voix qui disait: Va au Labrador!
Jusqu’à ce moment, en fait depuis qu’elle était veuve, elle s’était sentie fragile, amoindrie, elle se répétait, inlassablement, que si elle avait été un homme, elle aurait pu reprendre la route là où son mari l’avait laissée. Mais Mina Hubbard était une femme du début du XX e siècle, dont la seule ambition consistait, à peine deux ans plus tôt, à mijoter de petits plats. N’en était-il pas lui-même comblé, Leonidas? Le vrai bonheur, confiait-il à son ami Wallace, c’est une bonne épouse et un foyer chaleureux!
Mais revenons au début de cette histoire, au tout début, avant la naissance de Mina. Cela commence, vers 1846, par une curieuse équipée, sept frères et sœurs qui ayant quitté l’Irlande pour échapper à la Famine de la pomme de terre débarquent en Amérique. Ils ont la jeune vingtaine, certains sont encore adolescents. Leurs parents sont-ils morts? Ont-ils investi leurs dernières économies pour sauver leurs enfants d’abord? L’histoire ne le dit pas. Six semaines de traversée, une quarantaine obligatoire à la Grosse Île, puis le voyage sur le Saint-Laurent jusqu’au lac Ontario. Destination: Cold Creek Valley, sur les rives fertiles du lac Rice. Terre d’accueil, de promesses, des acres et des acres de plaines à cultiver. Nous sommes au pays des Mississaugas, peuple algonquien qui, en 1818, a cédé son territoire par traité à la Couronne. Loyalistes et royalistes s’y sont établis peu à peu.
Les sept frères et sœurs Benson seront des colons, des pionniers. Parmi eux, les trois frères John, George et James bâtissent côte à côte leur maison, relèvent leurs manches, se mettent au travail. Deux de leurs sœurs se marient avec des garçons du coin; la petite communauté des Benson prend racine et, après des années de durs labeurs, en arrive à récolter les fruits, littéralement, qu’offre ce Nouveau Monde, cette nouvelle terre riche de beaux vergers.
Mina est la fille de James Benson et d’une immigrante comme lui, Jane Wood. Elle naît le 15 avril 1870 dans cette société rurale, protestante, modeste mais bien organisée. Septième enfant d’une famille de huit, cadette des six filles, on dit qu’elle est franchement jolie et d’une nature ardente. Elle passe son enfance sur la ferme – à un âge avancé, elle se rappellera encore les noms des vingt-sept variétés de pommes qui poussaient dans leur verger. Elle accomplit chaque jour un nombre infini de tâches: cuire le pain, cuisiner, repasser, laver, frotter, traire les vaches... Une existence sans guère d’amusement, sinon sauter sur les billots du creek , faire des promenades en traîneau, assister au concert de Noël et au pique-nique du 24 mai, jour anniversaire de la reine Victoria...
Les Benson sont des gens stricts, très religieux, rompus aux principes de l’église méthodiste, mais assez indépendants tout de même pour contourner l’idée bien chrétienne selon laquelle l’éducation supérieure corrompt. Aussi, tous les enfants Benson fréquenteront la petite école du voisinage, charmante avec sa grosse cloche, puis le collège de Cobourg; c’est dire qu’un à un, ils quitteront la ferme familiale pour devenir pensionnaires à la ville. Une jolie ville prospère, très british , où Mina passera deux années à étudier l’histoire, la littérature, les mathématiques. Elle y fera beaucoup de sport, aussi, l’éducation physique étant désormais au programme des collèges. Quand on sait qu’à cette époque, en Ontario, seuls 5 à 6 % des écoliers terminaient l’école primaire, les parents Benson ont de quoi surprendre: illettrés, ils encouragèrent leurs enfants à s’instruire et parvinrent à s’acquitter de tous les frais relatifs à cette remarquable ambition. Il faut dire que James Benson a maintenant de solides assises dans la société; il a été nommé juge de paix à Bewdley, de même qu’il exercera plusieurs fonctions à la municipalité de Hamilton. Il a aussi fondé et opéré une usine de fromage.
À seize ans, Mina choisit le métier qui s’impose pour une fille de son temps et de sa condition. Elle devient institutrice. Elle enseignera d’abord dans la petite école de son enfance, puis dans un village voisin, Glourourim, où son père ira la reconduire chaque semaine à bord de son bogie. Voici presque une parenthèse: dix années sans histoire, même pas l’ombre d’une histoire d’amour. Alors que ses sœurs aînées, Jennie, Mary, Annie, Rachel et Harriet, une à une se marient, Mina, pourtant très belle, intelligente et séduisante ne semble pas intéressée à quelque beau parti ni pressée de quitter le nid familial où elle demeure en bonne partie. Elle est indépendante, elle gagne deux cent soixante dollars par année; sa vie est routinière, presque banale, elle ne laisse rien paraître encore de la femme aventureuse qu’elle deviendra.
Puis à vingt-six ans, en 1896, Mina réoriente sa vie; elle choisit la deuxième profession la plus probable, la plus convenue de son temps, elle décide de devenir infirmière. En fait, elle marche sur les traces de sa sœur Rachel et de deux de ses cousines. Comme celles-ci, elle se rend à New York pour sa formation. Mais il ne faut pas penser qu’elle court vers une vie trépidante. À la Brooklyn Training School for Nurses, on vit comme dans un couvent. Les jeunes femmes doivent travailler et étudier près de dix-huit heures par jour sous la supervision extrêmement stricte de «matrones» qui exigent d’elles obéissance, dévotion et pureté morale. Ce dont Mina, fille sérieuse aux valeurs chrétiennes, s’acquitte honorablement. Après trois années d’études, toujours sans histoire, elle obtient son diplôme; avec une moyenne de 97 %, elle arrive en tête de sa classe. Mais étrangement, elle doute de ses capacités, écrit à sa sœur Rachel qu’elle a peur de ce qui l’attend, qu’elle a peu confiance en elle. Oui, à vingt-neuf ans, non seulement elle en paraît dix de moins, mais, hésitante, chancelante même, elle cherche encore sa voie.
Rapidement, bien sûr, elle obtient un excellent emploi. Elle sera assistante infirmière-chef dans un petit hôpital de New York, le S.R. Smith Infirmery de Staten Island. Et c’est ici que commence véritablement son histoire. Cinq mois après son entrée en poste, on lui confie un patient atteint de fièvre typhoïde. Il s’appelle Leonidas Hubbard, il a vingt-sept ans, il est journaliste, il veut devenir écrivain.