Mémoires II
417 pages
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Mémoires II , livre ebook

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Description

Voici la suite des mémoires de Roger Quilliot qui, fils d'instituteurs du Nord, se consacra à l'enseignement et à la politique. Voici un grand document politique. De 1948 à 1998, Roger Quilliot œuvra à l'avènement du socialisme moderne, plus proche de Blum que de Mollet ; il côtoya notamment Gaston Defferre, Jean-Pierre Chevènement et François Mitterrand. Roger Quilliot a tout partagé avec son épouse, Claire. Elle a survécu à la mort qu'ils s'étaient choisie ensemble. Avec sa mémoire, son histoire, elle nous livre aussi cet extraordinaire roman d'amour. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2001
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738161574
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, JANVIER  2001 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6157-4
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Préface

Me voici encore, plus de deux ans après, devant ta photo triple, ta casquette et ton rire. L’as-tu connue seulement, cette photo ? Je l’ai découverte dans la Montagne à l’hôpital semi-psychiatrique, tandis que s’achevaient les cérémonies en ton honneur. Trois gros plans de toi au naturel, juxtaposés : à gauche le jouteur, tout le visage dissymétriquement animé par la discussion qui s’amorce (tête un peu inclinée à la renverse pour mieux jauger, sourcils plus hauts que les lunettes, les yeux aux aguets, la bouche serrée sur les répliques qui vont jaillir – et la fossette de ta jeunesse dans une joue). Au milieu, ton grand rire ensoleillé, qui rétrécit horizontalement tes yeux entre leurs pattes d’oie ; à droite, « Minute ! c’est sérieux, il faut prendre le temps de réfléchir », tes bajoues retombent, et tu tires un bout de langue en coin. Depuis l’automne 98, par la grâce du photographe-auteur, je vis en tête-à-tête avec cette photo, si pareille à toi que ses expressions changent de sens, et je m’y réfugie en toi. J’en ai d’autant plus besoin que plus de deux ans après, je ne peux pas encore jurer de mener à bien le travail que tu ne m’as pas légué.
Mon retard ne se comprend que trop : le « fait divers » a laissé des dégâts. « C’est votre corps qui voulait vivre et vous y a forcée sans vous consulter », m’a dit quelqu’un. Ce devait être vrai ; mon corps, tout de suite, me l’a fait payer ; des bricoles diverses y logeaient comme une floraison d’amanites et c’était dès lors moi qui allais chercher les docteurs. Comme je m’obstinais à travailler quand même et qu’il me fallait en même temps affronter tempêtes, chocs ou déchirures, les amanites ont fleuri ; et puis, je n’ai pas pris encore de vrai repos. Je ne me repose vraiment qu’à travailler avec toi, en face de toi ; l’ennui, c’est que le travail fatigue, et que les haltes sanitaires imposées ou refusées débilitent également.
Je n’ai toujours pas besoin de psychanalyste pour savoir de quoi il s’agit : toi à demi vivant et moi morte à demi, je suis devenue un animal hybride, bizarre pour moi aussi. Vivre, vivre avec une intensité double, j’y suis toujours résolue, pour ceux qui m’ont si chaleureusement soutenue dans mon désarroi, pour ceux qui sont revenus et pour toi qui es parti, pour ce bilan esquissé de ta vie qu’il m’est revenu de publier. C’est pourquoi me sont tant nécessaires notre tête-à-tête, mon obscurité et ma sauvagerie native de Chat-qui-s’en-va-tout-seul.
C’est vrai que pour promouvoir tes Mémoires j’avais un peu tiré sur la corde, depuis Noël 1998, avec les médias. Toute notre famille condamnait cette publicité (pas notre genre !), et on me mettait en garde contre le danger de te nuire en voulant trop bien faire. Toi aussi, tu m’aurais retenue, par peur de ce que je souffrirais si je me cassais la figure. Avoue que je t’ai bien étonné, mon petit Roger ? Moi qui n’avais jamais pu vaincre le trac, je suis allée de l’avant toute seule, dans un mélange de passion et d’étrange indifférence, fixée sur cette étoile polaire : je faisais ce que dans le fond tu souhaitais. Es-tu content de moi ? Dis-moi « brave petit soldat », comme aux temps d’Angers.
Notre lettre d’adieu, que tous deux nous trouvions si claire, ne devait sans doute pas l’être assez. Nous ne l’avions pas écrite pour avoir notre nom dans les journaux, mais pour témoigner à deux que la mort peut se regarder en face, qu’elle est l’aboutissement normal de la vie, qu’au lieu de subir les féroces caprices du Destin, le temps de la retraite venu, il est loisible de préférer choisir soi-même le jour et l’heure. Un message de confiance, en somme ; d’autant que par la même occasion nous prouvions, sans y avoir songé, que l’amour peut durer plus de cinquante-trois ans. On nous a entendus, certes : des sensibilités, des angoisses, des compassions fraternelles, des révoltes contre l’acharnement thérapeutique, des couples séparés par la mort, des êtres fatigués de la vie, des encouragements à « tenir bon », surtout : « Accrochez-vous ! » Mais ils ne comprenaient pas, ou se figuraient trop vite comprendre, comment nous en étions venus là. Comment ? Je n’en savais rien, je le sentais d’instinct ; j’ai très vite éprouvé le besoin de chercher, comme toi durant la dernière année. C’était même une espèce de devoir vis-à-vis de ceux qui s’interrogent sur eux-mêmes, ou pressentent qu’on ne fuit pas la mort dans le divertissement… NON, je ne me figure pas que c’est pour cela que j’ai repassé de l’autre côté du miroir, comme le suggère facétieusement ta photo de gauche ! (Dommage : cette raison-là me ferait plaisir.) Tu sais bien que j’ai toujours eu la manie d’y voir clair. Enfin, d’essayer.
Pour cela je n’ai pas trop compté sur le reliquat de tes cinq cent soixante pages. Il faut être un quilliotiste inconditionnel pour trouver qu’elles forment un tout cohérent ; ce qui me frappe toujours, moi, c’est leur incohérence. Parti pour le bilan de Sisyphe, à propos de tes « combats » tu dérives sur de l’historico-politique. « Quiconque pourtant lira ce Mémoire le sautera sans doute à pieds joints, et j’en ferais autant à la place des lecteurs », comme dit Chateaubriand. Obsédé par le rêve de « la guirlande des morts » dont tu fus le vivant, tu oublies la guirlande des vivants dont tu es le mort, dont nous serons bientôt les morts. Ce sont les vivants qui comptent, et auquel d’entre eux voudrais-tu faire comprendre que nous avons choisi notre fin « par amour de la vie » ?
Je sais bien pourquoi tu ne voulais pas me montrer ton pavé dans son ensemble. Tu ne tenais pas à entendre mes critiques : « Pourquoi mets-tu tous nos voyages ensemble, pêle-mêle ? On dirait un catalogue d’Air France. Et pourquoi reviens-tu encore sur la proposition d’Augustin Laurent de lui succéder à la mairie de Lille ? Tu en as parlé dans deux livres précédents, et presque dans les mêmes termes : tu rabâches, mon petit Roger. Et pourquoi laisses-tu tomber de si grands pans de notre vie ? Est-ce que tu deviendrais égocentrique ? Il ne fallait pas me mettre dans le coup, alors ! Et pourquoi parler du “parfum entêtant des forsythias” ? Tu les confonds avec les troènes. Je sais, tu n’as jamais prétendu t’y connaître en plantes. Mais pourquoi blablater sur ce que tu ignores ? » Oui, et tantôt tu me répondais : « Je n’ai pas le temps de reprendre », tantôt tu prenais des airs ricaniers, comme sur ta photo du milieu, en pensant que je ne te lirais pas. Eh bien, je t’ai lu, bien fait pour toi. Ce n’est pas parce que tu es mort que je vais chanter inconditionnellement tes louanges. Est-ce que tu crois que j’aurais eu envie de mourir avec l’auteur de ces pages ? (Tu m’impatientes un peu, parfois, de ne me répondre jamais. Ton rire et tes trois photos ont des significations multiples, mais tout de même…)
Alors j’ai pensé : « Bon : maintenant nous avons le temps – peut-être – et nous allons recommencer le travail à deux. »
Mon idée initiale me paraît toujours valable : « L’erreur, mon petit Roger, c’est d’avoir gardé le même découpage en chapitres que dans les deux livres où tu essayais déjà une semi-autobiographie. Fatigué, déterminé à travailler jusqu’au bout de tes forces pour Clermont et les HLM, l’esprit brouillé entre des directions diverses, tu t’es laissé aller à tourner en rond dans le cadrage familier, avec en guise de nouveauté le glas qui sonne tout au long du livre. À qui feras-tu comprendre que, “somme toute, nous avons été heureux” ? »
« On va essayer à nous deux un autre éclairage. Avec les vieux documents, les lettres de toute une vie, les cahiers personnels, avec mes souvenirs confrontés aux tiens, avec tout ce que je pourrai prendre de tes derniers papiers, nous allons reprendre bêtement notre vie dans l’ordre. Je ne sais pas où cela nous mènera, ni si ce sera meilleur ; mais ce sera une exploration autre. Notre vie personnelle, même si nous n’avons été qu’un maillon (deux maillons !) dans la chaîne, je suis seule à pouvoir en témoigner à fond. Le bonheur, l’amour, la liberté, l’évolution du siècle et notre façon de nous y adapter, ça compte aussi, non ? »
La naïveté grossière, c’est d’avoir cru pouvoir chercher notre vérité en laissant de côté « les document historiques, politiques et camusiens ». On ne triche pas avec la vérité : si on y plonge, on ne peut pas faire abstraction des réalités sous-marines. Au bout de presque un an de travail et de 237 pages, j’ai compris, affolée, que je ne pouvais pas regarder l’aspect historico-politico-camusien comme extérieur à notre vie : il avait trop compté dans la tienne, et dans la mienne du même coup. Il me fallait tout recommencer.
Je me suis donc mise à te chercher, toi, non seulement dans toutes nos lettres et nos cahiers personnels (qu’il y en a !), non seulement dans tes livres déjà publiés, mais dans tous les recueils d’articles que tu avais soigneusement collés, dans un ordre approximatif, et fait relier. Des gros livres, épais ! Ils tiennent tout un rayon de notre bibliothèque, soixante-douze centimètres en longueur et trente en hauteur. Je m’y suis plongée, perdue, retrouvée, avec la surprise d’en trouver à moi dédiés, comme je trouvais dans d’autre

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