La lecture à portée de main
18
pages
Français
Ebooks
2014
Écrit par
Serge Bouchard Marie-Christine Lévesque
Publié par
Lux Éditeur
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Ebook
2014
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Publié par
Date de parution
10 avril 2014
Nombre de lectures
2
EAN13
9782895966289
Langue
Français
Publié par
Date de parution
10 avril 2014
Nombre de lectures
2
EAN13
9782895966289
Langue
Français
La collection «Mémoire des Amériques» est dirigée par David Ledoyen
Ce texte est extrait de l'ouvrage de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, De remarquables oubliés , t. 1, Elles ont fait l'Amérique , Montréal, Lux Éditeur, 2011.
Illustration de couverture: Francis Back
© Lux Éditeur, 2011 www.luxediteur.com
Dépôt légal: 2 e trimestre 2014 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec ISBN(ePub) 978-2-89596-628-9
Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC . Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada ( FLC ) pour nos activités d’édition.
Marie Brazeau
L icencieuse et déshonnête
disait-on. Une cabaretière, une femme de pendu, imaginez! Regardez les registres d’audience de la ville de Montréal! Voyez combien de fois elle a paru, comparu, voyez vous-mêmes! Ah! la belle, la très forte Marie Brazeau. Quel bagout, quelle allure! Voici une battante qui ne s’avoua jamais battue. Laissez dire. Elle traversera bien l’Histoire.
E LLE REGARDE PAR LA FENÊTRE, du côté de la rue Saint-Paul, contemple presque à regret cette agitation humaine, ce bourdonnement de la ville qui l’a tant occupée, séduite, enhardie; elle est vieille maintenant. Elle contemple aussi sa vie, qui n’est pas un long fleuve tranquille. La galère, dirait-on aujourd’hui, des vagues et des bourrasques, de la grosse mer et parfois des accalmies. La voici calme, oui, désormais, assise dans la maison de son fils, en biais de la chapelle de Notre-Dame-du-Bon-Secours. En fait, il s’agit bien de sa maison à elle, la maison qu’elle a fait construire, celle pour laquelle elle s’est battue plus d’une fois, une maison solide, léguée de son vivant à son fils aîné, à charge d’y maintenir et d’y entretenir sa mère, suivant la coutume, jusqu’au jour de sa mort.
Elle peut respirer le fleuve, à deux pas d’ici. Et, fermant les yeux, ressentir le même vertige qu’à l’automne 1681 lorsque, toute jeune femme, elle était descendue d’une grande barque, son enfant dans les bras; elle avait fait le voyage depuis Québec, avec ses parents et ses frères, épuisée déjà d’avoir traversé l’Atlantique. Et quelle traversée! Le capitaine du navire marchand avait dit au départ que la course allait être rude. Il prétendait que ses cheveux gris, il les devait à ses sept voyages au Canada. «C’est la pire mer que vous puissiez imaginer, la pire des sept mers connues et naviguées en ce monde: des creux et des vagues, des vents et du roulis, le grand froid, et puis on se croit arrivé que les misères s’aggravent, l’interminable golfe, les caprices du fleuve, si bien qu’on a vu souvent des navires mettre des semaines pour passer de Gaspé à Québec!» Oui, des mois en mer, avec de la mauvaise nourriture, sans intimité aucune, bousculé, sans confort, aisances par-dessus bord, vivant chaque jour dans l’angoisse de périr par naufrage ou maladie, pour finir sur un fleuve traître et impardonnable, couloir de vents et de contre-courants, de marées et de marées contraires. Il fallait être vraiment décidé, voire désespéré, pour entreprendre ces voyages incertains. Or, il l’était, Nicolas Brazeau, fort décidé à partir, et espérant fermement que le Nouveau Monde remplirait ses promesses.
Brazeau est un fier artisan, un charron, un homme de métier. En 1680, il demeure à Paris avec sa femme, Perrine Biard, et leurs trois enfants, deux fils et une fille, Marie. Mais la France connaît de mauvais jours. Le chômage est partout, la pauvreté chronique, les affaires tournent au ralenti, ce qui n’annonce rien de bon pour un fabricant de charrettes et de roues... La famille Brazeau quitte la capitale, rejoignant le flot des itinérants à la recherche de meilleures conditions. Marie a vingt ans. Elle aime le faubourg Saint-Antoine et le quartier de la Bastille, l’animation et la vie des rues, elle est chez elle dans ce tumulte, dans ces manières bruyantes de s’aborder les uns les autres, la parole étant une arme offensive, la dégaine ayant une valeur d’intimidation. Ah! que n’aurait-elle jamais quitté Paris! Mais la nécessité fait loi, et des amis de son père ont mis la famille au parfum: il y a du travail pour un charron à Amboise. Dès lors, il faut partir.
À Amboise, en Touraine, ils resteront deux ans. Mais c’est encore la France, et l’herbe n’est pas plus verte ici qu’à Paris. Marie y rencontre un beau parleur, Sylvain Guérin. C’est un homme ambitieux, capable de toutes les magouilles. Peu à peu, il fait sa place parmi les Brazeau, réussit à enfirouaper Nicolas le charron. En marge de ses activités de cordonnier, il trafique et traficote dans le plus grand secret. Marie l’épouse et très vite elle accouche d’une fille. Elle se laisse porter par les événements, demeure dans sa famille, déjà prête à tout pour améliorer sa condition. Entre-temps, constamment à l’affût des nouvelles, Nicolas est informé qu’en Nouvelle-France des bourgeois avancent des fonds pour faire venir des colons artisans dans une petite ville naissante, Montréal. Le charron et sa femme sont tentés par l’aventure et c’est ainsi que tout le clan Brazeau s’engage, à l’exception de Sylvain Guérin. L’époux de Marie est moins pressé de s’embarquer. Il a des affaires en cours, dit-il, des affaires importantes. Il les rejoindra plus tard, avec le fruit de ses transactions.