Madame Montour , livre ebook

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«ll lui était si aisé de se fondre dans la nature humaine. Elle passait d’une culture et d’une identité à une autre, bafouant les convenances d’une société cruelle, brisant, pulvérisant les certitudes tranquilles des sectaires et des racistes. L’Histoire a toujours tu le rôle des gens ordinaires, alors même que ce sont eux, souvent, qui en sont les véritables acteurs.»
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Publié par

Date de parution

10 avril 2014

Nombre de lectures

0

EAN13

9782895966319

Langue

Français

La collection «Mémoire des Amériques» est dirigée par David Ledoyen
Ce texte est extrait de l'ouvrage de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, De remarquables oubliés , t. 1, Elles ont fait l'Amérique , Montréal, Lux Éditeur, 2011.
Illustration de couverture: Francis Back
© Lux Éditeur, 2011 www.luxediteur.com
Dépôt légal: 2 e trimestre 2014 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec ISBN(ePub) 978-2-89596-631-9
Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC . Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada ( FLC ) pour nos activités d’édition.
Madame Montour
I l lui était si aisé
de se fondre dans la nature humaine. Elle passait d’une culture et d’une identité à une autre, bafouant les convenances d’une société cruelle, brisant, pulvérisant les certitudes tranquilles des sectaires et des racistes. L’Histoire a toujours tu le rôle des gens ordinaires, alors même que ce sont eux, souvent, qui en sont les véritables acteurs.
I L EST DES DRAMES qui façonnent, qui marquent à jamais la trajectoire d’une vie. Celui-ci est survenu en Nouvelle-France, à l’automne 1679. Jeanne Couc, une jeune femme de vingt-deux ans, est attaquée, violée à répétition et tuée. Cela se passe sur la terre familiale, dans les dépendances. Son père, qui n’est pas loin, entend les cris de sa fille, il accourt pour se porter à sa défense, mais il est battu et laissé sur place, grièvement blessé. Pierre Couc connaît les agresseurs, ils sont trois: Jean Crevier, le seigneur des lieux, son domestique Gilbert, et un ouvrier agricole répondant au nom de Ratier. Ce crime sordide resta quasiment impuni. Ratier fut reconnu comme l’auteur du meurtre et on le condamna à être pendu à Québec. Mais pendu, il ne le fut point. Lorsque vint le moment de son exécution, les autorités de la colonie lui proposèrent de devenir bourreau en échange de sa vie. Il faut dire que personne ne voulait de ce métier et que la cour cherchait depuis longtemps à pourvoir le poste. Ratier accepta, bien sûr. Pendant de nombreuses années, il fut le bourreau officiel de la Nouvelle-France et il mourut de sa belle mort à un âge avancé. L’apparence de justice faite à ce crime fut encore plus malmenée lorsque les deux autres complices ayant pris part au viol collectif s’en tirèrent avec des amendes et des remontrances publiques.
L’histoire ne dit pas combien Pierre Couc et sa femme Marie furent dévastés par la tournure des événements. Le destin tragique de Jeanne, leur fille aînée, était déjà un coup terrible, mais l’impunité du crime laissa la famille à jamais inconsolée. D’où l’on voit que la petite société de la Nouvelle-France entretenait d’anciennes tares: la toute-puissance des riches vis-à-vis des moins fortunés en titre, en argent et en pouvoir. Le racisme, aussi: Jeanne était métisse, et cela en faisait une moins que rien. Or cette injustice resta gravée dans la mémoire d’Élisabeth, qui avait douze ans au moment du meurtre de sa sœur.

Mais revenons quelques années avant le drame. Pierre Couc, dit Lafleur, est un soldat venu de France en 1651, natif de Cognac en Gascogne et, plus précisément, d’un tout petit village nommé Montour. Il a traversé l’Atlantique pour combattre des Iroquois dont il n’a guère entendu parler, et ce, dans une Amérique dont il n’a qu’une vague idée. Il est plus ouvrier que soldat, mais il suit la parade. Surtout, il part de l’Ancien Monde vers le Nouveau. Il débarque à Trois-Rivières, un petit bourg qui n’a pas vingt ans. De fait, c’est encore un comptoir de traite, une mission jésuite, l’embryon d’une communauté. Nous sommes en pleine violence guerrière. Démobilisé en 1653, le soldat dit Lafleur ne s’en retourne pas. Il se marie plutôt, comme beaucoup de Français en ce temps-là, avec une belle Algonquine oueskarini, Marie Météoumégoukoué. Et puisqu’il faut bâtir, défricher la forêt sauvage, il devient colon, cultivateur, censitaire rattaché aux services d’un seigneur. C’est que la vieille France tente de se reproduire en Amérique, transposant sa structure hiérarchique avec ses nobles, ses riches, ses gens de robe et ses manants. Pierre Couc Lafleur est de ceux-là, des sans-grade. Il s’éreintera à dessoucher, se désâmera à construire un monde.
Les Algonquins sont nombreux à Trois-Rivières, ils viennent de toute la grande Algonquinie pour se réfugier auprès des Français ou pour les protéger, c’est selon. En 1650, ils ont déjà perdu leur guerre contre les Iroquois. Les Algonquins kichesipirinis sont en pleine déroute. Ils ont déserté leur pays ancestral, l’Outaouais, remplacés par les Odawas venus de l’Ouest. Maintenant, ce qu’il reste des grands Algonquins fait village à Métabéroutine, le Trois-Rivières des Français. Tessouat, dit le Borgne de l’Île, grand politique, éminent pourfendeur des robes noires, y vit ses dernières années. C’est Charles Pachirini qui à ce moment-là assure la chefferie de cette nation en peine. Médart Chouard des Groseilliers est là, avec terre et maison, occupé par la traite des fourrures et les voyages vers les Pays-d’en-Haut. Le jeune Pierre-Esprit Radisson a commencé ses tribulations extraordinaires.
Pierre Couc – qui eût été un Cook s’il avait vécu en Angleterre, puisqu’il s’agit de la même lignée – n’a pour sa part d’autre ambition que de se faire une vie normale sur une terre neuve en fondant une famille, pareille aux autres familles qui ont fait Trois-Rivières – les Ménard, les Hertel, les Nicolet. Les femmes françaises, nous le savons, sont plutôt rares dans la vallée. Par contre, les femmes amérindiennes sont nombreuses, affables et disponibles; elles manquent d’hommes, les guerres interminables ayant pris la vie de leurs meilleurs chasseurs.

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