Françoise-Marie Jacquelin , livre ebook

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«Étoile fulgurante dans le ciel de l’Acadie, elle traversa en un instant l’atmosphère dense, l’air brûlant de cet empire océanique. Étoile brillante, puis mourante, perdue dans les impensables chimères de son temps, elle sema à sa manière la graine d’un pays.»
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Publié par

Date de parution

10 avril 2014

Nombre de lectures

0

EAN13

9782895966234

Langue

Français

La collection «Mémoire des Amériques» est dirigée par David Ledoyen
Ce texte est extrait de l'ouvrage de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, De remarquables oubliés , t. 1, Elles ont fait l'Amérique , Montréal, Lux Éditeur, 2011.
Illustration de couverture: Francis Back
© Lux Éditeur, 2011 www.luxediteur.com
Dépôt légal: 2 e trimestre 2014 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec ISBN(ePub) 978-2-89596-623-4
Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC . Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada ( FLC ) pour nos activités d’édition.
Françoise-Marie Jacquelin
E toile fulgurante
dans le ciel de l’Acadie, elle traversa en un instant l’atmosphère dense, l’air brûlant de cet empire océanique. Étoile brillante, puis mourante, perdue dans les impensables chimères de son temps, elle sema à sa manière la graine d’un pays.
E N CET HIVER DE L’ANNÉE 1640, dans le port de La Rochelle, ville bastion des huguenots français, Françoise-Marie Jacquelin avait le vent en poupe. Chacun pouvait la voir de-ci de-là, dans les rues, les auberges, les entrepôts, prenant part à des discussions enlevées, narguant, haussant le ton, usant d’un bagout qui forçait autant l’admiration que l’attention. C’était une femme d’expérience qui avait toute une vie derrière elle, mais elle était encore belle, bien faite, et avait toujours la vigueur et la force du temps de sa jeunesse. Par son allure, sa présence, elle forçait le respect: Madame était une combattante, cela se voyait au premier coup d’œil. Tout le monde la connaissait en ville, elle était la protestante militante qui scandait haut et fort, sur les quais, sur les toits, la mauvaise foi des catholiques, les droits des huguenots, la nécessité de se battre et de ne rien concéder aux ennemis. Françoise-Marie était en outre une femme d’affaires, et les guerres commerciales suivaient souvent les lignes de fracture des guerres religieuses. Quel type d’affaires brassait-elle? Allez savoir! Elle était en contact avec les commerçants, s’informait des activités du port; elle avait des accointances en Angleterre et à la cour de France, elle gardait bon œil sur ce qui se tramait outre-mer, dans les nouveaux mondes; disons que Madame Jacquelin était un personnage remarqué sur la place de La Rochelle.
Elle avait trente-huit ans et allait sans mari, sans enfant, on aurait dit sans passé. Était-elle veuve? Avait-elle été mère? Françoise-Marie ne révélait rien de sa vie, entretenant un mystère qui lui était très utile. Car elle avait le sens de l’embrouille et de la dissimulation; elle semblait en fait jouir de l’aura nébuleuse qui enveloppait son identité. On racontait qu’elle était Parisienne, ou peut-être originaire de Nogent-le-Rotrou ou du Mans; on avançait qu’elle était la fille d’un cordonnier ou d’un médecin, plusieurs croyaient qu’elle avait été actrice ou avait fait carrière parmi les saltimbanques. Autant dire, n’importe quoi. D’hypothèses en médisances, de ouï-dire en bavardages farfelus, on ne se lassait pas d’échafauder des théories à propos du pouvoir et des origines de cette femme mystérieuse qui ne ressemblait à personne. En réalité, et les historiens l’apprendraient plus tard en retrouvant de précieuses archives, Françoise-Marie venait effectivement de Nogent-le-Rotrou et son père exerçait la médecine.
En France, l’atmosphère était trouble, les temps portaient à l’intolérance. Même si les protestants conservaient encore beaucoup de pouvoir et de richesses à travers le pays, le roi Louis XIII et le cardinal de Richelieu ne faisaient pas preuve de l’ouverture d’esprit d’Henri IV – assassiné par un fanatique catholique en 1610 – quant à leurs droits. Françoise-Marie trempait au cœur même des grandes utopies huguenotes et des projets politiques propres à cette époque de persécutions religieuses. Dans cette conjoncture historique, le pire pouvait advenir et tous les coups étaient permis. Or, sous le manteau, on parlait d’une nouvelle France en Amérique, une terre de tous les possibles où les huguenots pourraient refaire un pays, librement, une France protestante du Nouveau Monde, avec ce qu’il fallait de ressources, de réseaux et d’argent. Ce projet constituait un terreau propice aux discussions, aux idées, mais aussi aux complots et aux conjurations. Françoise-Marie avait-elle des vues sur ce côté de l’Atlantique où les conditions semblaient plus favorables? Quoi qu’il en soit, le destin se chargerait de l’y amener.
Cet hiver-là, elle fit la connaissance d’un émissaire venu expressément d’Amérique dans l’intention précise de la rencontrer. Guillaume Desjardins avait fait le voyage pour le compte d’un seigneur colonial, une sorte de pirate de bonne fortune: Charles de La Tour, gouverneur en titre de l’Acadie. Il était veuf, il avait la quarantaine, trois enfants métis issus de son mariage avec une Micmac, et il se cherchait une épouse. Il est difficile de reconstituer, même avec la plus vive imagination, la teneur de cette rencontre ou de qualifier la véritable nature de cette démarche. Pourquoi aller en France pour trouver femme? Et surtout, pourquoi recruter une femme de trente-huit ans, Françoise-Marie Jacquelin en particulier? La réponse ne nous sera jamais donnée, mais l’on peut supposer que Charles de La Tour espérait plus qu’une épouse. Sans doute cherchait-il avant tout des appuis auprès du réseau huguenot le plus influent de France, et donc une partenaire forte et active qui puisse le soutenir dans la guerre féroce qu’il livrait à un adversaire redoutable. Françoise-Marie répondait à ces critères: elle avait ses entrées partout, jusqu’à la cour du roi, auprès des nobles acquis à la cause des protestants. Elle connaissait des gens dans les univers marchands et financiers. Elle ne reculait devant rien pour faire avancer la cause et nuire aux catholiques. Quoi qu’il en soit, elle écouta avec attention le discours de Desjardins qui, d’emblée, lui raconta l’histoire de Charles de La Tour...

Charles était un personnage absolument original. Il avait quitté la France en 1610, à l’âge de dix-sept ans, accompagnant son père Claude de La Tour en Acadie. Cette première Acadie se trouvait dans l’actuelle Nouvelle-Écosse, de part et d’autre de la baie de Fundy – jadis la «baie Française» – et jusqu’au golfe du Maine.

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