Sauve-toi, la vie t’appelle
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Description

« Lors de ma première naissance, je n’étais pas là. Mon corps est venu au monde le 26 juillet 1937 à Bordeaux. On me l’a dit. Je suis bien obligé d’y croire puisque je n’en ai aucun souvenir. Ma seconde naissance, elle, est en pleine mémoire. Une nuit, j’ai été arrêté par des hommes armés qui entouraient mon lit. Ils venaient me chercher pour me mettre à mort. Mon histoire est née cette nuit-là. » B. C. C’est cette histoire bouleversante que Boris Cyrulnik nous raconte pour la première fois en détail dans ce livre où l’émotion du survivant se conjugue au talent de l’écrivain, où le récit tragique se mêle à la construction de la mémoire, où l’évocation intime d’une enfance fracassée par la guerre exalte la volonté de surmonter le malheur et de répondre à l’appel de la vie.   Une histoire poignante, hors du commun, qui retentit profondément en chacun d’entre nous.  Boris Cyrulnik est neuropsychiatre et directeur d’enseignement à l’université de Toulon. Il est l’auteur d’immenses succès, notamment Un merveilleux malheur, Les Vilains Petits Canards, Parler d’amour au bord du gouffre, De chair et d’âme et Autobiographie d’un épouvantail. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 septembre 2012
Nombre de lectures 33
EAN13 9782738178350
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, SEPTEMBRE  2012
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-7835-0
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
À Florence, pour tous les bonheurs qu’elle a rendus possibles. À mes enfants, à mes petits-enfants, pour l’affection et les aventures qui enchantent nos vies. À mes amis, pour mieux faire connaissance.
Chapitre 1
La guerre à 6 ans

Je suis né deux fois.
Lors de ma première naissance, je n’étais pas là. Mon corps est venu au monde le 26 juillet 1937 à Bordeaux. On me l’a dit. Je suis bien obligé d’y croire puisque je n’en ai aucun souvenir.
Ma seconde naissance, elle, est en pleine mémoire. Une nuit, j’ai été arrêté par des hommes armés qui entouraient mon lit. Ils venaient me chercher pour me mettre à mort. Mon histoire est née cette nuit-là.

L’arrestation
À 6 ans, le mot « mort » n’est pas encore adulte. Il faut attendre un an ou deux pour que la représentation du temps donne accès à l’idée d’un arrêt définitif, irréversible.
Quand Mme Farges a dit : « Si vous le laissez vivre, on ne lui dira pas qu’il est juif », j’ai été très intéressé. Ces hommes voulaient donc que je ne vive pas. Cette phrase me faisait comprendre pourquoi ils avaient dirigé leur revolver vers moi quand ils m’avaient réveillé : torche électrique dans une main, revolver dans l’autre, chapeau de feutre, lunettes noires, col de veste relevé, quel événement surprenant ! C’est donc ainsi qu’on s’habille quand on veut tuer un enfant.
J’étais intrigué par le comportement de Mme Farges : en chemise de nuit, elle entassait mes vêtements dans une petite valise. C’est alors qu’elle a dit : « Si vous le laissez vivre, on ne lui dira pas qu’il est juif. » Je ne savais pas ce que c’était qu’être juif, mais je venais d’entendre qu’il suffisait de ne pas le dire pour être autorisé à vivre. Facile !
Un homme qui paraissait le chef a répondu : « Il faut faire disparaître ces enfants, sinon ils vont devenir des ennemis d’Hitler. » J’étais donc condamné à mort pour un crime que j’allais commettre.
L’homme qui est né en moi cette nuit-là a été planté dans mon âme par cette mise en scène : des revolvers pour me tuer, des lunettes noires la nuit, des soldats allemands fusil à l’épaule dans le couloir et surtout cette phrase étrange qui révélait ma condition de futur criminel.
J’en ai aussitôt conclu que les adultes n’étaient pas sérieux et que la vie était passionnante.
Vous n’allez pas me croire quand je vous dirai que j’ai mis longtemps à découvrir que, lors de cette nuit impensable, j’étais âgé de 6 ans et demi. J’ai eu besoin de repères sociaux pour apprendre que l’événement avait eu lieu le 10 janvier 1944, date de la rafle des Juifs bordelais. Pour cette seconde naissance, il a fallu qu’on me fournisse des jalons extérieurs à ma mémoire 1 , afin de tenter de comprendre ce qui s’était passé.
L’année dernière, j’ai été invité à Bordeaux par RCF, une radio chrétienne, pour une émission littéraire. En m’accompagnant vers la sortie, la journaliste me dit : « Prenez la première rue à droite et vous verrez, au bout, la station de tramway qui vous mènera à la place des Quinconces, au cœur de la ville. »
Il faisait beau, l’émission avait été sympathique, je me sentais léger. Soudain, j’ai été surpris par un surgissement d’images qui s’imposaient à moi : la nuit, dans la rue, le barrage des soldats allemands en armes, les camions bâchés le long des trottoirs et la voiture noire dans laquelle on m’a poussé.
Il faisait beau, on m’attendait à la librairie Mollat pour une autre rencontre. Pourquoi, soudain, ce retour d’un passé lointain ?
En arrivant à la station j’ai lu, sculpté dans la pierre blanche d’un grand bâtiment : « Hôpital des Enfants malades ». Tout à coup m’est revenu l’interdit de Margot, la fille de Mme Farges : « Ne va pas dans la rue de l’hôpital des Enfants malades, il y a beaucoup de monde, on pourrait te dénoncer. »
Stupéfait, je reviens sur mes pas et découvre que je venais de traverser la rue Adrien-Baysselance. J’étais passé devant la maison de Mme Farges sans m’en rendre compte. Je ne l’avais pas revue depuis 1944, mais je crois qu’un indice, l’herbe entre les pavés disjoints ou le style des perrons, avait amorcé dans ma mémoire le retour du scénario de mon arrestation.
Même quand tout va bien, un indice suffit pour réveiller une trace du passé. La vie quotidienne, les rencontres, les projets enfouissent le drame dans la mémoire, mais à la moindre évocation, une herbe entre les pavés, un perron mal construit, un souvenir peut surgir. Rien ne s’efface, on croit avoir oublié, c’est tout.
Je ne savais pas, en janvier 1944, que j’aurais à faire ma vie avec cette histoire. D’accord, je ne suis pas le seul à avoir vécu l’imminence de la mort : « J’ai traversé la mort, elle est devenue une expérience de ma vie 2 … », mais, à 6 ans, tout fait trace. La mort s’inscrit dans la mémoire et devient un nouvel organisateur du développement.

Les souvenirs qui donnent sens
Le décès de mes parents n’a pas été un événement pour moi. Ils étaient là, et puis, ils n’ont plus été là. Je n’ai pas de trace de leur mort, mais j’ai reçu l’empreinte de leur disparition 3 . Comment vivre avec eux et puis soudain sans eux ? Il ne s’agit pas d’une souffrance ; on ne souffre pas dans le désert, on meurt, c’est tout.
J’ai des souvenirs très clairs de ma vie de famille avant la guerre. Je commençais à peine l’aventure de la parole puisque j’avais 2 ans, et pourtant je garde encore des souvenirs d’images. Je me souviens de mon père lisant le journal sur la table de la cuisine. Je me souviens du tas de charbon au milieu de la pièce. Je me souviens des voisins de palier chez qui j’allais admirer le rôti en train de cuire. Je me souviens de la flèche en caoutchouc que mon oncle Jacques, âgé de 14 ans, m’avait tirée en plein front.
Je me souviens que j’avais crié très fort afin de le faire punir. Je me souviens de la patience accablée de ma mère attendant que je mette mes chaussures tout seul. Je me souviens des grands bateaux sur les quais de Bordeaux. Je me souviens des hommes débarquant sur leur dos d’immenses régimes de bananes et je me souviens de mille autres saynètes sans paroles qui, aujourd’hui encore, charpentent ma représentation d’avant guerre.
Un jour, mon père est revenu en uniforme et j’ai été très fier. Les archives m’expliquent qu’il s’était engagé dans le « Régiment de marche des volontaires étrangers », troupe composée de Juifs étrangers et de républicains espagnols. Ils ont combattu à Soissons et ont subi des pertes énormes 4 . À cette époque, je ne pouvais pas savoir ça. Aujourd’hui, je dirais que j’étais fier d’avoir un père soldat, mais que je n’aimais pas son calot dont les deux pointes me paraissaient ridicules. J’avais 2 ans : ai-je vraiment ressenti cela ou l’ai-je vu sur une photo après la guerre ?
L’enchaînement des faits donne sens à l’événement.
Première saynète : l’armée allemande défile dans une grande avenue près de la rue de la Rousselle. Je trouve ça magnifique. La cadence des soldats frappant le sol tous ensemble dégage une impression de puissance qui me ravit. La musique ouvre la marche et de gros tambours sur chaque flanc d’un cheval donnent le rythme et provoquent une merveilleuse frayeur. Un cheval glisse et tombe, les soldats le relèvent, l’ordre est rétabli. C’est un drame magnifique. Je m’étonne qu’autour de moi quelques adultes pleurent.
Deuxième saynète : nous sommes à la poste avec ma mère. Les soldats allemands se promènent dans la ville par petits groupes, sans arme, sans calot et même sans ceinturon. Je leur trouve l’air moins guerrier. L’un d’eux fouille dans sa poche et me tend une poignée de bonbons. Ma mère me les prend brutalement et les rend au soldat en l’injuriant. J’admire ma mère et regrette les bonbons. Elle me dit : « Il ne faut jamais parler à un Allemand. »
Troisième saynète : mon père est en permission. On se promène sur les quais de la Garonne. Mes parents s’assoient sur un banc, je joue avec une balle qui roule vers un autre banc où sont assis deux soldats. L’un ramasse la balle et me la tend. Je refuse d’abord, mais, comme il est souriant, j’accepte.
Peu après, mon père repart à l’armée. Ma mère ne le reverra jamais. Ma mémoire s’engourdit.
Mes souvenirs reviendront plus tard, quand Margot viendra me chercher à l’Assistance. Mes parents ont disparu. Je me rappelle alors que j’ai parlé à ces soldats malgré l’interdiction, et cet enchaînement de souvenirs me fait penser que, si mes parents sont morts, c’est parce que, sans le faire exprès, j’ai dû donner notre adresse en parlant.
Comment un enfant peut-il expliquer la disparition de ses parents quand il ne sait pas qu’existent des lois antijuives et que la seule cause possible est la transgression de l’interdit : « Il ne faut pas parler aux Allemands. » C’est l’enchaînement de ces fragments de mémoire qui donne cohérence à la représentation du passé. En agençant quelques souvenirs épars, j’en ai conclu qu’ils étaient morts à cause de moi.
Dans une chimère, tout est vrai : le ventre est d’un taureau, les ailes d’un aigle et la tête d’un lion. Pourtant, un tel animal n’existe pas. Ou, plutôt, il n’existe que dans la représentation. Toutes les images mises en mémoire sont vraies. C’est la recomposition qui arrange les souvenirs pour

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