La Fureur de guérir
102 pages
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La Fureur de guérir , livre ebook

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Description

« Maçyl Massen et moi fîmes, durant six ans et plus, un long voyage dans les profondeurs de l’être. Nous avançâmes péniblement, mais portés par un souffle : nous partagions en silence une conviction, une illusion, l’idée que tout était possible. Nous traquions l’amnésie, la folie. Nous rencontrions la souffrance. La marche était risquée, équilibre fragile sur le fil du rasoir : la mort d’un côté, la renaissance de l’autre. Nul cas d’école ici, nul protocole thérapeutique, juste la rencontre de deux hommes pour une guérison. » A. C. Cette odyssée thérapeutique relate le cheminement de deux êtres au caractère entier, un médecin et son patient. Dans la fureur de guérir, ils explorent les frontières entre le physique, l’émotion et la pensée, entre l’ostéopathie, médecine du corps, et une approche par le verbe. Guérir est possible. Guérir est un engagement total. Le docteur Alain Cassourra est médecin, ostéopathe, chargé de cours à la faculté de médecine Paris-XIII. Il est l’auteur de L’Énergie, l’émotion, la pensée au bout des doigts. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 février 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738172273
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Alain Cassourra
LA FUREUR DE GUÉRIR
© O DILE J ACOB, FÉVRIER 2014 15, RUE S OUFFLOT, 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-7227-3
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Maçyl Massen
Avertissement au lecteur

Nul cas d’école ici, nul protocole thérapeutique, juste la rencontre de deux hommes pour une guérison.
Maçyl Massen et moi fîmes durant six ans et plus un long voyage dans les profondeurs de l’être. Nous avançâmes péniblement, mais portés par un souffle : nous partagions en silence une conviction, une illusion, l’idée que tout était possible. Nous traquions l’amnésie, la folie. Nous rencontrions la souffrance. La marche était risquée, équilibre fragile sur le fil du rasoir : la mort d’un côté, la renaissance de l’autre. Le travail était herculéen. Jusque dans nos derniers retranchements, l’espérance, non revendiquée mais présente en sourdine dans les tréfonds du « ça », comme un moteur, un moteur pour dépasser l’insoutenable et naître à autre chose, l’espérance ne nous quittait pas. Dès lors, tout devint possible, jusqu’à la transmutation, pourtant incertaine, improbable.
La vie nous a confrontés à une expérience extrême, et incontestablement nous a offert là le sel et le piment, une part du mystère, la réjouissance.
CHAPITRE 1
La rencontre

Au bar Le Paradis
Le signal piéton passe au vert. Nous traversons la rue de Rivoli. La tour Saint-Jacques dans le dos, nous filons vers Beaubourg. En bientôt cinq ans, c’est la première fois que nous marchons côte à côte. Je sens le malaise qui l’habite. Il a peur, sa tête est vide, son cœur percute un thorax trop étroit. Il fait froid, il a neigé, le trottoir est glissant. Sa démarche en est plus fragile. Il s’arrête et d’un coup sec, frappe les pieds au sol pour dégager la pellicule de glace formée sous la semelle lisse de ses chaussures, des chaussures basses en cuir noir brillant, presque élégantes qui détonnent avec son allure dégingandée, son duffle-coat à la capuche trop grande rabattue sur la tête. Il redémarre. Il fait nuit. Nous cherchons un bar où nous serons tranquilles pour dévoiler l’intime, où la musique couvrira nos paroles et le monde assurera l’anonymat. Ai-je raison de sortir ainsi du cadre thérapeutique, de l’entraîner dans une aventure qui peut-être le perdra ? Depuis le début de notre relation, je suis en dehors des lignes, du raisonnablement correct. Je prends des risques, je les prends pour lui, et il me pousse à les prendre. Nous marchons sans vraiment parler, tous les deux concentrés sur l’étrangeté de l’instant. L’heure de l’apéritif est passée, les tables sont déjà dressées. Finalement, nous n’allons pas bien loin et trouvons refuge au bar Le Paradis, au pied des arches gothiques de l’hôtel Saint-Méry. Nous nous asseyons tout au fond, lui sur la banquette, moi en face. Je sors un cahier à spirale et le lui montre.
« Je l’ai acheté pour l’occasion. »
Il rit. Il se tient bien droit, assis sur une fesse. Machinalement il baisse et monte la fermeture Éclair de son pull à col roulé. Dans ce va-et-vient, il pince ses lèvres ou cache sa bouche. Son visage est effilé comme la proue d’un navire, tout en longueur, souligné par une tignasse frisée d’un noir de jais qui file vers le haut. Sa peau est mate, cuivrée. Son sourire révèle des dents ivoire, de travers, et une asymétrie des arcades dentaires. Il porte des lunettes. À cet instant, son regard est vif, ni fiévreux, ni absent, comme cela lui arrive souvent. Et je ne détermine pas la couleur de ses yeux, tant elle m’apparaît changeante, du noir au vert, à l’argent, parfois souligné d’un reflet or. Je l’avais cru hindou. Il est kabyle.
Je suis penché sur le papier, prêt à écrire. Assis tel un sémaphore en alerte, il me domine d’une dizaine de centimètres. Il doit mesurer un mètre quatre-vingt-cinq et je sais qu’il pèse soixante-deux kilos.
« Quand êtes-vous arrivé en France ?
– Je suis arrivé le 1 er juin 2000. J’ai mis six mois à me décider à partir alors que j’avais obtenu mon visa.
– Tiens, c’est drôle. Je suis né le 1 er juin 1958.
– Enfant, j’étais aussi arrivé pour la première fois en France un 1 er juin, en 1979 à Briançon. Je ne parlais pas français à l’époque. Je ne voulais pas rester ici, dans ce sanatorium. On montait les escaliers avec mon père qui m’encourageait en kabyle. Je m’accrochais à lui, à sa jambe gauche, je l’empêchais d’avancer, il ne savait plus quoi faire. “Si tu ne restes pas il faudra te refaire des piqûres.” Je lui répondais que ça m’était égal. Je criais : “Non, non !” Il pleurait. Trois personnes m’ont arraché à sa jambe. Il y avait S, Fabienne, l’institutrice, et quelqu’un d’autre. Ils tentaient de me raisonner, je ne comprenais rien, mon père est parti, la porte du centre s’est refermée… »
Je note maladroitement, le stylo court sur la feuille plus vite que ma main, j’ébauche des mots que j’aurai du mal à relire. J’essaie surtout de m’imprégner de l’homme qui me fait face.
Il avance vivement sa main, l’index pointé :
« Mais je ne me souvenais pas de mon arrivée à Briançon quand on s’est rencontrés. Je tiens à le dire. »
Il continue à triturer sa fermeture Éclair.
« Quand on s’est rencontrés, mon histoire ne débutait que vaguement à treize ans à mon retour de France en Algérie. Avant je n’avais que deux souvenirs, deux instants fugitifs, un avec ma mère et l’autre en classe. C’est tout. »

Quelques semaines plus tôt, Maçyl était assis face à moi, dans mon bureau, comme il est de rigueur depuis presque cinq ans, tous les vingt et un jours au début, puis toutes les semaines, puis deux fois par semaine. La table en verre bleuté nous sépare. Je le regarde parler, il ne se cache plus derrière ses mains, recroquevillé sur sa chaise, ne m’entrapercevant qu’à travers l’interstice de ses doigts. Il ne les tord plus tant ils sont hyperlaxes, comme pour les faire rentrer dans ses orbites, comme pour transpercer les globes oculaires. Il ne les fait plus glisser sur la table en verre, dans des contours tortueux, empreints d’interrogations.
Non, il est assis face à moi et il parle, distinctement, presque précisément. Nous arrivons à la fin de la consultation. Depuis longtemps j’ai envie de raconter son traitement, sa métamorphose. J’attends le moment opportun.
Maçyl m’interpelle :
« Mais vous savez, c’est puissant, l’ostéopathie !
– Je suis bien placé pour le savoir, non ?
– Alors pourquoi ne l’avez-vous pas dit dans votre livre ? »
Je souris à l’entendre parler ainsi.
« Il manque quelque chose dans votre livre. Je l’ai lu trois fois. Vous ne dites pas que l’ostéopathie pénètre jusqu’à l’intérieur des os. Elle change la structure, elle change la vie ! »
Il referme son poing et le brandit en ma direction pour signifier comment cette énergie peut pénétrer jusqu’à la cellule.
« Et puis dans votre livre, vous ne parlez pas du toucher !
– Oh ! Vous charriez un peu ! J’ai écrit trois cent trente pages sur le toucher ! Et j’ai quand même raconté des cas édifiants !
– Vous êtes sur la retenue, vous n’affirmez pas assez. C’est un peu faible… Et surtout il manque le toucher du père, le toucher de la mère, comment ils s’inscrivent dans notre histoire corporelle… »
Il rit, les rôles sont un instant inversés et je m’en réjouis. Quelle révolution intérieure pour qu’il en arrive à parler aujourd’hui ainsi ! Je saisis la balle au bond :
« Et si je l’écrivais, ce livre ? Si j’écrivais un livre sur vous, et si je vous faisais dire tout cela ? »
Je suis à l’affût, je guette la moindre de ses réactions.
« Vous vous moquez de moi ?
– Je me suis souvent foutu de votre gueule ?
– Non, jamais, docteur. Docteur, vous avez été dur, très dur, mais vous ne vous êtes jamais foutu de moi. »
Il marque une pause, il sourit :
« Bien sûr que je suis d’accord, je l’attends, ce livre. Depuis le début de notre travail, je sais que vous allez l’écrire. Je vous ai dit que dans ma vie, je n’ai lu que deux livres : Tantra de Daniel Odier que vous m’aviez conseillé de lire – j’ai rien pigé, mais je l’ai lu –, et puis le vôtre, que j’ai lu plusieurs fois. En fait il y en a un troisième : Dialogue de Socrate et Platon que j’ai acheté un jour en sortant d’ici après l’une des toutes premières consultations. Je suis tombé dessus à la devanture d’une librairie alors que je traînais dans la rue du faubourg Saint-Martin. Je l’ai acheté comme ça, sans savoir pourquoi. J’ai à peine lu la première page, rien de plus mais j’en ai tiré une certitude, je me suis dit : un jour, avec le Dr Cassourra, nous ferons comme Socrate et Platon, et il y aura un livre. Et vous tardez à l’écrire ! »
L’anecdote me semble de bon augure.
« Monsieur Massen, il faut que vous réfléchissiez bien avant de me donner votre accord. Vous pourriez être extrêmement déçu. Inévitablement il y aura des simplifications, des raccourcis, des erreurs. Je n’écrirai pas exactement votre histoire. Vous vous sentirez peut-être trahi…
– Je vous fais confiance depuis le début.
– Je peux me planter… »
Je veux qu’il mesure autant que faire se peut les risques encourus. Par la même occasion, je les soupèse encore une fois, histoire de mettre en balance détermination et crainte de l’entraîner à la perte. Sa vie se joue peut-être là.
« Peut-être que personne ne voudra l’éditer, que les critiques seront exécrables, que vous serez personnellement attaqué, frag

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