83
pages
Français
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2007
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Publié par
Date de parution
15 février 2007
Nombre de lectures
0
EAN13
9782738192059
Langue
Français
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15 février 2007
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0
EAN13
9782738192059
Langue
Français
Philippe Benzekri
MOI AUSSI, J'AI ÉTÉ ANOREXIQUE ET BOULIMIQUE
© Odile Jacob, février 2007 15, rue Soufflot, 75005 Paris
ISBN : 978-2-7381-1881-3
www.odilejacob.fr
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2° et 3° a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Table
Avant-propos
Chapitre premier. LA CRISE
Chapitre II. MON ENFANCE
Chapitre III. MON PÈRE
Chapitre IV. MES PARENTS
Chapitre V. LE MONDE EXTÉRIEUR
Chapitre VI. L’ANOREXIE
Chapitre VII. L’ENTRÉE DANS LA BOULIMIE
Chapitre VIII. IDÉES REÇUES
Chapitre IX. L’HOSPITALISATION
Chapitre X. LES DOMAINES ÉPARGNÉS
Chapitre XI. LA THÉRAPIE PAR LA PAROLE
Chapitre XII. LES AMOURS
Chapitre XIII. DÉPRESSION
Chapitre XIV. LES PSYCHIATRES
Chapitre XV. LE GROUPE DE PAROLE
Conclusion
Avant-propos
Au moment où j’entame l’écriture de ce livre, j’achève une crise de boulimie. Quel meilleur moment choisir que celui où je vacille pour parler de la « chose » qui me fait trébucher. Cette chose, c’est la boulimie. Elle a jalonné les dix dernières années de ma vie. J’ai vécu, respiré, aimé, haï, adoré, dans le prisme de la boulimie. Elle a opéré une véritable refonte de mon existence… Et dire que ce ne devait être qu’un symptôme ! L’arbre qui cache la forêt, soi disant… Moi, j’ai l’impression que l’arbre était gigantesque ! À mieux y réfléchir même, je me dis que ce n’était pas un arbre mais davantage une forêt dissimulant une contrée. C’est de cette forêt qu’il est question aujourd’hui. Celle dans laquelle je me suis perdu. Mais celle aussi qui m’a recueilli quand je ne savais plus où aller. Nombreux sont ceux qui nous ont décrit cette forêt. On sait aujourd’hui qu’elle existe. Certains sont même spécialistes. Ils passent leur vie à étudier son fonctionnement et à recueillir les témoignages de ceux qui s’y perdent. D’autres se sont juste trouvés plongés dedans sans jamais vraiment bien comprendre pourquoi un tel paysage devait désormais peupler leur quotidien. J’en fais partie.
Je n’ai jamais fait d’études de médecine. Je ne connais rien au fonctionnement du cerveau. Pas plus à la psychologie. Mon propos n’est pas d’apporter un éclairage scientifique sur cette maladie. Je n’en suis pas capable. Mon but est de faire en sorte que ce que j’ai vécu serve le bien commun et notamment ceux qui ont en commun avec moi cette souffrance. Traverser les affres de la boulimie a fait de moi le témoin privilégié des carences de notre société en termes de prévention et de traitement des désordres alimentaires. Je ne dis pas avoir le remède miracle, mais je veux essayer d’apporter ma pierre à l’édifice. Celle qui justement m’a fait défaut lorsque, moi-même, je cherchais à m’y raccrocher.
Ces dix dernières années, boulimie et anorexie ont été des thèmes récurrents. Vulgarisés, malmenés parfois, ils sont devenus les sujets vendeurs de nos secondes parties de soirées. Souvent, à tort, associés exclusivement aux milieux du mannequinat et du show-biz, on en a fait des thèmes racoleurs permettant d’aborder tout et n’importe quoi. Certains diront que le principal est d’en parler. Mais, en en parlant d’une certaine façon, on prend le risque de laisser à jamais dans l’ombre tout une réalité sur laquelle, aujourd’hui, je veux faire lumière. Je pense d’abord aux clichés qui font que la maladie est censée se conjuguer au féminin et être en étroite relation avec le corps et son image. On parle de « la » jeune fille anorexique, de « la » boulimique, à croire que cette maladie ne touche que des femmes. C’est ajouter à la souffrance des garçons qui en sont victimes la pire des punitions. Celle de la clandestinité. Évidemment, on pourra dire qu’il est inutile d’envisager la question au masculin puisque seuls dix pour cent des hommes sont concernés. Ce contre quoi je m’insurge. Car, si les contours de la maladie sont mal définis, quelle crédibilité donner à ce pourcentage ? Par ailleurs, à prouver que seuls véritablement dix pour cent des hommes seraient concernés, au nom de quoi décider que ce pourcentage est quantité négligeable et qu’il ne mériterait pas la visibilité ? Les hommes atteints que j’ai pu rencontrer m’ont amené à constater une maladie parfois différente, une maladie dont personne ne se faisait l’écho. C’est l’ambition de mon témoignage : aider ceux dont on ne parle pas. Que des hommes atteints par la maladie puissent enfin se retrouver dans mon parcours et amorcer le travail vers la guérison. Que des femmes victimes puissent aussi découvrir une autre facette de la maladie. Enfin, que des soins et des structures plus importants et mieux adaptés se mettent en place pour qu’on ne laisse plus jamais un enfant ou un adulte errer plus que déraison dans la pire des forêts.
Chapitre premier
LA CRISE
J’ai eu des milliers de crises de boulimie, toutes différentes. J’ai ingurgité des océans de nourritures, tous indigestes. Il me faut aujourd’hui raconter comment se déroule une crise de boulimie dans ses moindres détails et aller bien au-delà de sa définition classique, à savoir l’ingestion d’une grande quantité de nourriture suivie de vomissements. Il y a des crises qui débutent le matin au réveil. D’autres qu’on croit éviter jusqu’aux dernières heures de la nuit. Celles qu’on croit maîtriser et celles qui finissent toujours par nous engloutir. Certaines sont plus gérables et s’intègrent même dans notre emploi du temps quotidien. D’autres nécessitent une totale exclusion du monde réel. On dit alors qu’on « entre en crise ». J’ai vécu toutes ces crises-là, et il m’arrive encore de voir l’ombre d’une d’elles venir me tenter. Parfois même, je convole avec l’une d’entre elles en souvenir des années d’horreur passées ensemble.
La crise est notre seul fidèle ami. Elle ne nous quitte jamais. Elle est une valeur sûre. On sait comment elle fonctionne. On voit où elle veut en venir. Je garde en mémoire des centaines d’images de moi en crise. J’ai fait des crises partout. Chez mes parents, chez moi, chez des amis, chez mes grands-parents, chez des inconnus, chez ma sœur, dans les grandes surfaces, dans des voitures, en vacances, dans des trains, dans des bus, à la fac, dans des aéroports, au cinéma, dans des parcs et même dans un cimetière. Il n’est pas de lieu sur cette terre qui ait pu faire barrage aux assauts des tréfonds de mon être. Il n’est pas un individu qui ait eu raison de mes tourments.
Habituellement, la crise vient dans un moment de grande tension intérieure. Toutefois, il lui arrive aussi de sonner à la porte et de s’inviter alors que rien ne laissait supposer qu’elle serait de la partie. Dans ce cas, elle n’en est que plus déconcertante. Le plus souvent, c’est pourtant bien le stress ou la contrariété qui crée la crise. Les disputes avec mes parents sont la cause de nombre d’entre elles, mais pas seulement. Un examen raté, la réflexion d’un tiers, le regard d’un autre, le sien sont autant de déclencheurs de crise. On devient vite paranoïaque car on sait que tout peut nous emmener vers la crise. On ne peut faire confiance à personne. On sait pertinemment qu’une séquence classique et anodine de l’existence pour un autre peut tourner au cauchemar pour nous. On est fragile et on le devient de plus en plus car chaque crise vient ébrécher le peu de sécurité qu’on croyait avoir. On est comme dans un jeu de société truqué où on reviendrait toujours à la case départ. On est perdu et traumatisé parce que le vécu de la crise est aussi en soi traumatisant.
On se transforme pendant la crise. J’ai moi-même souvent eu l’impression d’être Docteur Jekil et Mr Hyde. L’un fonctionnel, éduqué, civilisé. L’autre marginal, indomptable et transgressif. Dans la crise, les barrières sociales, les interdits juridiques, les freins environnementaux sautent. La crise efface tout ce qui peut gêner sa progression. Elle nous reprogramme littéralement. Tout est désormais revu et corrigé selon ses règles. C’est ce qui m’a amené à diverses occasions à enfreindre gravement le code de la route pour accéder à l’épicerie la plus proche, à voler dans les grandes surfaces pour honorer les ambitions dithyrambiques de la crise, à regagner l’épicerie le pantalon couvert de vomi pour rapidement me réapprovisionner en nourriture, à casser les cadenas soigneusement déposés par mes parents pour retrouver un accès libre aux denrées familiales, et même à user de violences et d’invectives pour parvenir à ces fins. Je crois que j’aurais pu tuer pour que la crise suive son long cours. Rien ne peut la raisonner. Elle ne comprend pas notre langage. Rien ne peut avoir raison d’elle. Elle a raison de tout.
La crise nous projette dans une autre dimension. Mes parents me disaient souvent que, quelques minutes avant qu’elle soit officiellement installée, des modifications notables pouvaient se remarquer sur mon visage, dans mon regard ou dans mes gestes. Moi-même, j’ai toujours été sensible aux premiers signes de la crise. Je n’ai jamais pu feindre sa présence. Dans de trop rares cas, j’arrivais à négocier avec elle un report, lui faisant remarquer que les circonstances étaient totalement impropres à son développement. Dans tous les autres, elle s’imposait comme maîtresse des lieux, imperturbable, irraisonnable et irraisonnée. Dès lors, elle s’installait en moi et ne me quittait qu’une fois son œuvre dûment achevée, laissant derrière elle un organisme épuisé, vidé, violenté et anéanti. Pendant ce t