Une société en quête de sens
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Description

L'exclusion est à la société de demain ce que la question ouvrière fut à la société d'hier. Notre génération est en train de rater son rendez-vous avec l'emploi là où les précédentes, celles de l'après-guerre en particulier, avaient réussi à surmonter les échecs du passé et à assurer une croissance pour tous. La crise de l'emploi ne peut être dissociée de deux autres crises, celle du lien social et celle du sens. En effet, perdre son emploi a des conséquences bien au-delà de la sphère professionnelle. Et, à l'inverse, retrouver un emploi, pour celui qui l'a perdu depuis longtemps, passe bien souvent par la reconstruction d'une identité et d'un lien relationnel. Aucun projet politique ne peut se borner à des mesures purement techniques. Il faut que la société s'anime : davantage de coopération, plus d'initiative ; il faut aussi qu'elle accepte de nouvelles contraintes et organise l'expression des conflits. Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire au Plan, fut également conseiller de Jacques Delors. Il préside, depuis 1985, l'association « Solidarités nouvelles face au chômage ». Denis Piveteau, maître des requêtes au Conseil d'État, est spécialisé dans les questions sociales et intervient comme bénévole du Secours catholique dans une permanence d'accueil pour chômeurs.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 1995
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738165541
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

OUVRAGES DE JEAN-BAPTISTE DE FOUCAULD
La Révolution du temps choisi, ouvrage collectif du club
Échanges et Projets, Éditions Albin Michel (1980).
 
La Fin du social-colbertisme, Éditions Belfond (1988).
©  ODILE JACOB , OCTOBRE 1995 15, RUE SOUFFLOT , 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-6554-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
www.centrenationaldulivre.fr
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
« Comme je m’étonnais de ce que tous semblaient actifs à leurs affaires, et qu’on ne voyait personne en quête de travail, Munodi me conta ce qui suit :
Il y a cent quarante ans, la province était ravagée par un mal subtil et insaisissable. Le travail semblait manquer de toutes parts. Sur dix hommes valides, il en était toujours un ou deux qui, bien que cherchant à se faire employer, n’y parvenaient point. Le découragement était général.
Fort préoccupé de la chose, le gouverneur de Laputa décida d’y mettre terme. Après longue réflexion, il ordonna que soit puni de mort quiconque resterait oisif et sans métier. Mais la sentence, ajoutait bizarrement le gouverneur, ne commencerait d’être exécutée qu’au terme de douze mois.
Cet ordre brutal causa, on l’imagine, un très grand émoi. Nombre de gens de qualité pressèrent le gouverneur de reprendre son geste. Le peuple s’agita. Rien n’y fit.
Dans les premiers mois qui suivirent cette décision, et si l’on excepte les mouvements qu’on vient de relater, rien ne se produisit. Comme avant, les propriétaires se séparaient de leurs ouvriers lorsque l’ouvrage manquait, et les maîtres de leurs domestiques, quand ils en étaient fâchés. Et ceux qui avaient ainsi reçu leur congé s’efforçaient, par leurs propres moyens, de retrouver une situation.
Toutefois, aux approches des jours où devaient tomber les premières victimes de cette ordonnance monstrueuse, un mouvement se fit qui gagna bientôt l’île tout entière.
Saisis par la crainte de voir ces malheureux subir un sort aussi injuste, ceux qui, dans un premier geste, voulaient se séparer d’un employé, retenaient leur passion et remettaient à plus tard. Et chacun s’animait d’un esprit entreprenant pour ceux qui restaient sans travail. Celui-ci proposait chez lui la garde d’une mère impotente. Tel autre affirmait que son moulin pouvait occuper une personne de plus. Tel autre encore suggérait de partager, tout ensemble, son travail d’artisan et le profit qu’il en pouvait tirer. « Ainsi, déclarait-il, je travaillerai moins et nous gagnerons plus. »
Si bien qu’aux douze mois écoulés, ainsi qu’à chaque mois qui suivit, le gouverneur ne trouva nul motif de mettre son ordonnance à exécution.
La chose, conclut Munodi, s’était poursuivie jusqu’à ce jour. Il ajouta dans un sourire que si d’aventure le gouverneur d’aujourd’hui se mettait en tête d’abroger la fameuse ordonnance, ce seraient, sans doute, ceux-là mêmes qu’elle menace qui donneraient de la voix pour qu’elle dure encore [...]. »
J. S WIFT . Nouveaux Voyages de Gulliver dans l’île volante de Laputa  (Apocryphe)
Introduction

L’emploi est devenu en quelques années le sujet majeur de la vie politique, économique et sociale, en France comme dans beaucoup de pays proches. Qui l’eût dit il y a trente ans, lorsque les experts du groupe « Réflexion pour 1985 » réunis au Commissariat général du Plan ne mentionnaient qu’à peine ce risque dans le cours de leurs travaux ? Et que diront nos successeurs dans trente ans, lorsqu’ils seront confrontés à de graves pénuries de main-d’œuvre en raison du retournement démographique, et s’efforceront alors par tous les moyens d’accroître le temps de travail et sa productivité ? Difficile de savoir si les difficultés que nous connaissons aujourd’hui sont transitoires, ou si elles sont annonciatrices de problématiques nouvelles. La prospective est une école de modestie.
Quoi qu’il en soit, notre génération est en train de rater son rendez-vous avec l’emploi, là où les précédentes, celles de l’après-guerre en particulier, avaient su surmonter les échecs du passé et assurer une croissance pour tous. Le nouveau « rideau de fer » de l’après-guerre froide, c’est le mur du chômage. Il divise notre société comme le mur de Berlin divisait sa ville, et sa chute requiert sans doute un sursaut de même ampleur. Certes, c’est un mur invisible, poreux, que l’on traverse dans un sens et dans un autre. Mais il est bien là, dans les faits, et dans les têtes. Nous devons reconsidérer la question du travail, de l’emploi, des temps sociaux, et, plus profondément, du développement. Ce qui paraissait acquis ne peut plus l’être.
Or, ce qui frappe, face à ce défi majeur, c’est l’imprécision et la confusion de la parole, ou plutôt des multiples discours qui en tiennent lieu : discours des économistes, qui ne sont plus entendus, même si cela ne signifie pas qu’ils ont tort ; discours des responsables politiques à la recherche désespérée de quelques instruments qui permettraient de diminuer le taux de chômage, devenu l’indicateur obsessionnel des succès et des échecs des politiques de l’emploi ; discours souvent simpliste de ceux qui croient qu’il suffit de partager le travail et qui en sous-estiment les difficultés, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas, en quelque façon, raison ; discours alternatif de ceux qui ne croient plus au plein emploi et combattent pour un revenu d’existence pour tous, conduisant à la pleine activité de chacun ; discours humaniste de ceux qui appellent au partage, à la responsabilité, à l’initiative. Comment s’y retrouver ?
Le moment est venu de chercher à reconstituer un message clair, sinon simple, en tout cas cohérent et global sur l’emploi et la cohésion sociale dans la société d’aujourd’hui, en liaison étroite avec l’ensemble des enjeux que cette société affronte. C’est dans cette perspective que voudrait se situer le présent ouvrage. Il aura atteint son but s’il stimule une plus grande mobilisation de tous en faveur de l’emploi, et s’il redonne sens et efficacité à l’engagement de chacun.
Son propos repose sur la conviction que les approches instrumentales et « court-termistes » des politiques de l’emploi sont insuffisantes, car elles ne prennent pas en compte le fait que la crise actuelle de l’emploi ne peut être dissociée de deux autres crises qui s’entretiennent les unes les autres, la crise du lien social et la crise du sens. Notre travail, nos liens sociaux, le sens de notre existence, constituent une trame unique pour l’expérience personnelle. Ces trois sphères sont liées pour nous, nous ne les dissocions pas dans l’intime de nous-mêmes. Mais leur corrélation est perdue de vue lorsqu’on aborde la société avec des outils politiques. En parfaits cartésiens, nous divisons les problèmes avec l’espoir fallacieux de mieux les résoudre. Nous séparons dans des niches étanches nos problèmes économiques, nos problèmes sociaux et nos problèmes de sens, parce que nous n’arrivons pas à embrasser conceptuellement ce qui, pourtant, se noue d’une seule prise en notre for intérieur.
Et de ce qui, au départ, n’est qu’une faiblesse ou une paresse, nous faisons un principe. Nous nous imposons à nous-mêmes des cloisons que nous redoutons ensuite de transgresser. Le chômage devrait ainsi se résoudre par la manipulation d’instruments strictement économiques, les heurts et les ruptures relationnelles par des outils sociaux, tandis que les interrogations sur le sens de l’existence sont censées échapper au champ du politique.
Dans les situations de grande exclusion sociale, la reconstruction de l’identité et du lien relationnel sont bien souvent des préalables indispensables au retour à l’emploi. La montée des phénomènes d’exclusion apporte sous nos yeux la preuve dramatique que ces trois dimensions peuvent spontanément se conjuguer pour le pire : ne doivent-elles pas forcément se conjuguer aussi, si nous voulons le meilleur ?
L’exclusion est à la société de demain ce que la question ouvrière fut à la société d’hier, et il faut la sortir de sa gangue caritative ou humanitaire pour en faire un concept politique, c’est-à-dire un concept de lutte. On verra alors que l’exclusion ne se combat pas comme l’exploitation, car elle requiert une implication personnelle et une exemplarité morale beaucoup plus forte.
À partir de là, on peut rechercher les nouvelles régulations permettant de mieux assurer la cohésion sociale, et déboucher sur des chantiers d’actions articulant court terme et long terme, droits et devoirs, temps de travail, temps d’activité et temps libre. Le développement, s’il veut être choisi et solidaire, doit faire beaucoup plus appel que jusqu’ici au développement personnel et spirituel, et aux capacités de chacun à réenchanter le monde. Le débat politique d’aujourd’hui, encore décalé par rapport à ces problématiques, devra savoir répondre à de nouvelles aspirations s’il veut retrouver son efficacité.
PREMIÈRE PARTIE
LA RECOMPOSITION DE L’EMPLOI À L’ÉPREUVE
Pendant les Trente glorieuses, de 1945 à 1973, le plein emploi a été assuré sans grandes difficultés dans la plupart des pays. Seul subsistait, pour l’essentiel, un chômage frictionnel correspondant au passage d’un emploi à un autre. Aujourd’hui, plus de vingt ans après le premier choc pétrolier de 1973, la situation est complètement inversée : rares sont désormais les pays qui ont réussi à maintenir le plein emploi. Le chômage est redevenu le m

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