La Politique du capital
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La Politique du capital , livre ebook

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Description

Quand, en janvier 1999, la Société Générale décide de fusionner avec Paribas, la BNP, isolée, n’a pas d’autre choix, pour survivre, que de lancer une double contre-OPE, événement inouï dans le capitalisme français. Ce livre suit au plus près ce combat des OPE qui va faire rage pendant six mois, pour en restituer toutes les manœuvres et tous les mouvements sur l’échiquier du capital. Les puissances d’argent ne font pas qu’acheter, vendre ou investir : elles ne cessent de chercher à s’allier, s’influencer ou se dominer. Cette politique du capital a moins pour objet le profit que la conservation, l’expansion et l’affirmation de la puissance. Ce livre en trouve le fin mot chez Spinoza qui fait voir derrière les motions déchaînées de la prédation financière l’effort vital déployé par chacun " pour persévérer dans son être ". Frédéric Lordon est chargé de recherche au CNRS et membre du CEPREMAP.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2002
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738140814
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ouvrage proposé par Gérard Jorland et publié sous sa responsabilité éditoriale
© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2002
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN  : 978-2-7381-4081-4
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Introduction

Parler de politique du capital nécessite d’emblée de dissiper un malentendu. Il ne s’agira pas d’évoquer l’emprise des puissances privées sur la vie collective et, par là, la concurrence de fait dans laquelle elles entrent vis-à-vis du pouvoir politique. Quand un même groupe assure à l’échelle nationale à la fois la distribution d’eau, le ramassage scolaire, la gestion hospitalière, l’enlèvement des ordures, la téléphonie fixe et mobile, l’accès Internet et la gamme presque complète des produits du divertissement, il est vrai qu’il y a lieu de le considérer comme une puissance se déployant à l’échelle même de la cité entière, c’est-à-dire en vis-à-vis direct avec l’État.
Il ne s’agira pas non plus de reprendre d’une manière ou d’une autre la thématique marxienne de l’appareil d’État pénétré par les intérêts privés, la puissance publique se trouvant remise de fait aux mains des grands du capital, à la fois par le jeu de la sociologie des élites et par celui de la dépendance matérielle et financière dans laquelle le pouvoir politique tombe vis-à-vis des puissances d’argent.
Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur toutes ces dimensions politiques du capital, peut-être plus actuelles que jamais. Mais ce n’est pas d’elles qu’il va être question maintenant. En fait, on se propose d’envisager la politique non pas comme une extension du capital, mais comme partie de son activité intrinsèque. La politique du capital n’est pas (seulement) un supplément de puissance déployé à partir d’une base strictement économique, comme le proposent les précédentes interprétations, elle est l’expression de ce que, dans son mouvement même, le capital a à voir avec la recherche de la puissance, que toute son économie y concourt et s’y trouve d’une certaine manière dédiée.
Les volontés de puissance portées par les entités du capital sont vouées à se rencontrer et à s’affronter. C’est à cet instant que naît la politique du capital. La considérer comme telle, c’est récuser l’idée, oscillant entre naïveté et dénégation, que les relations nouées par les « sujets » du capital demeureraient d’une pure économicité et qu’elles ne connaîtraient pas d’autre registre que celui de la transaction marchande. Or il n’en est rien. Les organisations et les hommes du capital achètent, produisent 1 et vendent, c’est entendu, mais aussi pactisent, se coalisent, se trahissent, cherchent l’influence, tentent de se soumettre les uns les autres, voire s’entretuent par les armes de la prédation financière. Ce versant de l’activité du capital est à la fois le plus intuitivement connu et le plus constamment dénié. Le fracas des grands assauts financiers assourdit pourtant jusqu’au public le plus éloigné des choses de l’économie, la chronique des haines recuites se lit dans les quotidiens les moins spécialisés, et l’intuition commune fait plus souvent qu’à son tour le rapprochement entre les comportements des grands prédateurs de l’économie et ceux de la politique – non sans pertinence. De leur côté, les hommes du capital, qui tous les jours sont à la manœuvre, n’ignorent évidemment rien des pratiques auxquelles ils se livrent, et pourtant le discours qu’ils tiennent sur eux-mêmes s’acharne à en occulter la véritable nature. Contre cette dénégation forcenée, dont les ressorts mériteront d’ailleurs d’être éclairés, il faut nommer cette part de l’activité du capital d’une façon qui mette en évidence sa vérité agonistique, son tropisme de la puissance derrière les opérations productives, et rende impossibles les équivoques du travestissement économiciste. Tout n’est pas économie pure dans les choses de l’économie, et dire sans ambages qu’il y a une politique du capital, c’est accorder, en en revenant à la définition la plus commune de la politique, que les hommes du capital nouent entre eux des relations, et pas seulement médiatisées par l’échange marchand.
Par un paradoxe parfaitement involontaire, le capitalisme financiarisé a la propriété de rendre plus saillante que jamais les menées de la politique du capital et de mettre en pleine lumière son enjeu fondamental : le contrôle capitalistique. Car faire de la politique, pour les entités du capital, signifie uniment organiser l’expansion et pourvoir à la survie. Or l’une et l’autre opérations en passent désormais par le marché des titres négociables, là même où s’échange la propriété, cette essence de l’être du capital – dans lequel précisément il s’agit de persister. Parce qu’il a trait au maintien de la souveraineté ou à l’exercice de l’influence, le contrôle de la propriété est l’obsession de la politique du capital, obsession portée à un degré sans précédent en une période où le capital flottant s’est accru du dénouement des participations croisées et, circulant librement sur le marché, se trouve pour ainsi dire mis à l’encan, offert à la convoitise de tous les prédateurs potentiels. Cette exposition permanente à tous les désirs d’appropriation est pour les hommes du capital la source d’une angoisse chronique, et la plus grande part de leur activité politique est consacrée à la surveillance de l’échiquier capitalistique, à l’anticipation des menaces en préparation, et à la passation des alliances protectrices. À front renversé, l’environnement hostile des uns est un monde d’opportunités pour les autres. Et du côté de la capture c’est la même activité politique qui se déploie : vigie stratégique et repérage des cibles, encerclement progressif ou raid foudroyant, coalition de combat ou prise à témoin des marchés…
Toutes ces choses ont très peu à voir avec la pure rationalité économique, du moins si l’on entend par là la subordination des meilleurs moyens à la fin exclusive de la maximisation du profit. Et si les hommes du capital s’abstraient ainsi sans hésiter des commandements supposés de leur raison sociale, c’est bien parce qu’en toutes ces situations où il y va de la propriété, ils se trouvent confrontés à des enjeux autrement plus fondamentaux que l’accomplissement des idéaltypes de la théorie ou (plus vraisemblablement !) la consolidation des représentations qu’ils aiment ordinairement à donner d’eux-mêmes. C’est de vivre ou mourir qu’il est question, de se maintenir dans l’être du capital ou d’en disparaître, de s’y étendre ou de s’y amoindrir, et ce sont là des enjeux vitaux qui priment toute autre considération, et s’imposent sans compromis possible. En ces moments décisifs où les hommes du capital et leurs organisations engagent ce qu’ils ont de plus essentiel, soit qu’ils combattent pour la survie, soit qu’ils s’abandonnent à la pulsion d’expansion, la maximisation du profit peut attendre, et c’est une autre rationalité, une rationalité politique, qui se substitue alors à la rationalité économique.
 
Le recul des années et son actualité en apparence défraîchie n’entament en rien la valeur d’archétype du conflit d’OPE qui a jeté les unes contre les autres trois des plus grandes banques françaises en 1999. Car c’est précisément cette politique du capital qui, en ce moment convulsif, se donne à voir pour une fois à visage presque totalement découvert. Prendre cet épisode pour objet ne se justifie donc pas par la nécessité de faire une simple chronique (en l’espèce un peu tardive !) d’un affrontement pourtant sans précédent 2 , mais plutôt par son extraordinaire pouvoir de concentration et de révélation des caractéristiques les plus fondamentales du capitalisme financiarisé, maintenant sur les rails pour longtemps – et peut-être même, au-delà encore, du capitalisme tout court.
C’est en effet l’inestimable vertu des conflits que de porter au jour tout ce que les protagonistes s’entendent d’habitude implicitement pour occulter de leur activité. Car l’intensité de la lutte justifie aux yeux des rivaux toutes les agressions, et, par là, pulvérise les consensus de la bienséance ordinaire. Ainsi par exemple, dans le conflit ouvert, les hommes du capital peuvent bien s’obstiner verbalement dans le déni de la politique, leurs actes parlent pour eux : la brutalité des propos, les discours de combat, le dénigrement débridé, les procédés ordinaires de basse politique, bref tout ce dont se nourrit l’escalade agonistique se trouve exposé sans retenue à la vue des observateurs ébahis, et met en pleine lumière à la fois la violence des pulsions de prédation ou de conservation, le registre véritable des actions qu’elles induisent, et la distance qui les sépare des calculs tempérés de la rationalité économique. Le premier mouvement de la Société Générale, qui décide en quinze jours, fin janvier 1999, de fusionner avec Paribas, alors même que simultanément elle poursuivait des négociations très avancées avec la BNP, laisse déjà entrevoir, par le retournement de la trahison, mais aussi par le tête-à-queue stratégique qui fait passer d’un certain modèle de fusion bancaire à son opposé dialectique, la nature véritable des mobiles qui sont à l’œuvre – et leur hétérogénéité aux commandements de la rationalité économique. La réaction de la BNP, que l’énergie du désespoir jette dans une double contre-OPE – sur la Soci

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