La Désindustrialisation de la France
239 pages
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La Désindustrialisation de la France , livre ebook

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Description

« La désindustrialisation française est un moment majeur de l’histoire et pourtant elle est couverte d’un halo de mystère. Entre 1995 et 2015, le pays s’est vidé de près de la moitié de ses usines et du tiers de son emploi industriel. De nombreuses communes et vallées industrielles ont été rayées de la carte. Bouleversement comparable dans ses conséquences à l’exode rural des années 1960 ! Ce livre a été écrit pour tenter de comprendre ce qui s’est vraiment passé. Il interroge 47 entrepreneurs, politiques, syndicalistes, fonctionnaires qui ont vécu ces années noires et qui se souviennent, dans le détail et de manière très vivante, de l’enchaînement des faits. Ce qui se dégage est un tableau de responsabilité générale. C’est toute la société française qui s’est détournée de son industrie. Aujourd’hui, fort heureusement, les choses ont changé et nous repartons avec des “balles neuves”. Il est possible de faire renaître quantité de sites industriels car la technologie a progressé, car les pays émergents ont perdu en compétitivité, car les Français eux-mêmes ont changé et demandent une industrie décarbonée et circulaire. Bpifrance, que je dirige, s’y emploie avec force, et sans nostalgie. Pour peu que nous sachions rester déterminés et décisifs, il est tout à fait possible d’écrire une belle page industrielle d’ici à 2030. » N. D. Nicolas Dufourcq est directeur général de la Banque publique d’investissement (BPI) depuis sa création en 2013. Auparavant, il a exercé des responsabilités importantes au sein d’entreprises, notamment France Télécom, dont il a été le directeur exécutif de la branche téléphonie et Internet, et Capgemini. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mai 2022
Nombre de lectures 5
EAN13 9782415002183
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , JUIN 2022 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-4150-0218-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Pour Caroline.
PROLOGUE
Le drame

La désindustrialisation est un moment majeur de l’histoire de la France, et pourtant elle est couverte d’un halo de mystère. Elle a commencé dans les années 1970 mais s’est brutalement accélérée à l’aube de l’an 2000. Entre 1995 et 2015, le pays s’est vidé de près de la moitié de ses usines et du tiers de son emploi industriel. Des quantités de communes et de vallées industrielles ont été rayées de la carte. D’innombrables savoir-faire ont disparu, les filières se sont désagrégées, la société tout entière s’est détournée de l’industrie, synonyme de défaite. Une défaite à bas bruit en effet, toujours incomprise, toujours controversée, beaucoup plus grave que dans les autres pays d’Europe continentale.
Au moment où commence un long et difficile chemin de réindustrialisation, j’ai voulu mieux la comprendre. Je l’ai fait en faisant entendre la voix chorale des témoins. J’ai interrogé les acteurs économiques de l’époque, patrons d’ETI industrielles et parfois de grands groupes, dans tous les secteurs, pour qu’ils racontent ce qu’ils ont réellement vécu dans le tumulte de cette bataille perdue pour le pays, et dont ils sont les survivants méritants, parfois les vainqueurs. J’ai interrogé aussi les politiques, les syndicalistes, les fonctionnaires et les économistes de cette génération. Enfin, j’ai demandé à Louis Gallois d’apporter son éclairage en conclusion.
Cette méthode d’entretiens avec les « vivants » m’a paru la plus indiquée et aussi la plus utile pour l’avenir, car les dirigeants interrogés disent les conditions du succès de la réimplantation d’unités industrielles en France dans les années qui viennent. L’industrie française repart avec des « balles neuves », et elle a toutes ses chances à condition de reconnaître les raisons de son effondrement des années 2000. Nous devons collectivement tirer les leçons de ce qui s’est passé, sinon nous échouerons à nouveau, cette fois sans recours.
Pavie a été perdue dans le brouillard d’un matin humide, Austerlitz a été gagnée dans une brume identique. Ce qui distingue les deux batailles est que la seconde a été lue, brillamment, par Napoléon, quand la première est restée indéchiffrable pour les chevaliers français. La bataille industrielle des années qui suivent le déclenchement de la mondialisation après la réunification allemande, l’écrasement de Tiananmen et la chute de l’Union soviétique n’a pas été lue. Nous n’avons cessé de la subir. Pire, nous avons pris des directions opposées à nos intérêts stratégiques. On pourrait écrire un long texte, comme tant de rapports l’ont fait, mais la lecture des quarante-sept interviews de ce livre conduit à établir un récit à peu près clair d’un événement qui pèse encore de tout son poids sur notre équilibre politique et social en France aujourd’hui, et qui pèsera encore longtemps sur notre avenir de nation indépendante 1 .
Stopper la désindustrialisation est une nécessité, réindustrialiser est possible. Une nécessité, car l’industrie engendre souveraineté, fierté, équilibre du commerce extérieur, elle est la source première des gains de productivité et paie des salaires supérieurs à la médiane, elle concentre une part prépondérante de la R&D privée, elle fait travailler de nombreuses entreprises de services, fournit dans les territoires des emplois très complets, manuels et intellectuels, qui correspondent aux aspirations d’une partie de la France qui ne s’épanouit pas dans les emplois de bureau et dans les grandes villes. Une nécessité politique, car la France ne peut se satisfaire d’être la plus désindustrialisée des vieilles nations industrielles du continent. Un pays dont Stendhal s’émerveillait de le voir couvert de petites industries dans tous les bourgs. Un pays aujourd’hui uni par au moins un consensus, celui de l’importance du retour de la production en France. La BPI, que je dirige, s’y emploie dans toutes les régions avec réalisme et sans nostalgie. Mais c’est toute la société française qui va devoir se réformer en cohérence avec l’enjeu productif. Car c’est aussi toute la société française qui a participé, en se détournant de l’industrie et de ses entrepreneurs, par les préférences collectives qu’elle exprimait, au drame qui s’est joué.

Années 1970
Tout commence dans les années 1970. Le premier choc pétrolier, cinq ans après Mai 68, est un traumatisme pour les Français. C’est un choc d’offre, et quantité de PME tombent. Les gouvernements réagissent par une politique de protection des individus et de stimulation de la consommation. Pour tenter de bloquer l’hémorragie des emplois, le Parlement vote coup sur coup, en 1973 et en 1975, la cause réelle et sérieuse du licenciement 2 et l’autorisation administrative préalable 3 . Ce faisant, la lente et fatale rigidification du droit du travail, qui durera jusqu’aux assouplissements des lois Sapin, Rebsamen, Macron, El Khomri, et enfin des ordonnances Pénicaud, quarante ans plus tard, commence 4 . Le déficit de la Sécurité sociale se creuse, puisque le financement est entièrement indexé sur l’évolution de la masse salariale, qui ne croît plus. D’autant que par les lois de 1975 et 1978, dites « lois de généralisation », la Sécurité sociale couvre désormais des populations dépourvues d’ancrage professionnel mais dont le financement va peser sur les entreprises.
Nous sommes treize ans avant la contribution sociale généralisée (CSG). On augmente donc les cotisations patronales. Jusqu’ici plafonnées dans leur assiette par la notion de « plafonds de la sécurité sociale », on les déplafonne dans l’assurance maladie, faisant de ce régime bientôt l’un des plus redistributifs au monde. Une décision de Raymond Barre 5 . Pour les entrepreneurs, le coût du travail ne va plus cesser de monter, jusqu’aux premiers allègements généraux au niveau du Smic au début des années 1990. L’inflation est très élevée, contribuant à faire perdre à tous les repères essentiels. Comme dans d’autres pays européens, la société française impose un consensus politique droite-gauche pour obtenir plus encore de redistribution et de rééquilibrage salaires-profits. Sur les cotisations, la pression est si forte que le patronat, lui-même, dans les instances du paritarisme, arbitre systématiquement en faveur des salariés.

Années 1980
Arrive 1981, avec la cinquième semaine de congés payés, les 39 heures, les lois Auroux 6 , les nationalisations, l’IGF 7 , et l’augmentation très forte des charges patronales 8 . Le modèle social français pèse de tout son poids sur les entreprises. Pour les PME industrielles, c’est un choc de compétitivité immédiat face aux Allemands, aux Italiens, aux Néerlandais. À l’époque, l’économie n’est pas mondiale, elle est à peine européenne. Le traité de Rome a démantelé les barrières tarifaires dans l’industrie, mais ce lent désarmement n’engendre pas encore la sorte de guerre « de tous contre tous » qu’est une économie réellement concurrentielle : les États se protègent par quantité de barrières non tarifaires qui permettent aux filières de rester nationales 9 , barrières auxquelles la France rajoute le contrôle des prix. Il y a surtout une arme largement mobilisée par certains États, et tout particulièrement la France et l’Italie, la dévaluation. À l’époque, l’Espagne sort à peine du franquisme et le Portugal du salazarisme, au Maroc, la plateforme de Tanger n’existe pas 10 , les émergents dorment encore et l’Europe de l’Est est cadenassée. C’est donc entre la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Belgique que les choses se jouent. Elles se jouent par la dévaluation, qui annule de facto les largesses salariales accordées dans certains pays par des gouvernements et un patronat désarmés. Avant de passer à l’euro, la France aura dévalué douze fois 11 .
 
Face à cela, les pays du Nord, attachés à la stabilité de leur monnaie, sont obligés de repenser leur spécialisation industrielle. Parfois, ils investissent dans les pays du Sud mais très peu, car ils n’y retrouvent pas l’environnement socioculturel favorable à l’industrie auquel ils sont habitués : ils ne délocalisent donc pas vers l’Italie ou vers la France, mais ils montent en gamme chez eux 12 . Ils prendront par là une avance de dix ans sur les industries du Sud, quand le coup de cymbale de l’ouverture du monde retentira après la Charte de Paris 13 de la fin 1990.
 
En France, le tournant de 1983 14 est tout autant un basculement de stratégie économique qu’une métamorphose idéologique. La désinflation compétitive commence, la dévaluation devient une humiliation nationale et son coût politique insurmontable. La libéralisation des économies américaines et britanniques, autour des valeurs d’un capitalisme d’entrepreneurs agressifs, devient le modèle de référence. Mais les cadres de la vie quotidienne d’un patron de PME ne changent pas pour autant. Venus du monde anglo-saxon, les cabinets de conseil, avocats d’affaires, auditeurs, courtiers, banques d’affaires anglaises et américaines rachètent leurs petits homologues français et deviennent entre 1985 et 1995 dominants à Paris, dans l’entourage des managements des grands groupes et de l’État. Pas des PME

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