L Homme inutile
153 pages
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L'Homme inutile , livre ebook

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Description

Les « damnés de la terre », aujourd’hui, ce sont les hommes inutiles : chômeurs, travailleurs précaires, paysans sans terre, réduits à survivre de l’assistance publique ou familiale. L’inutilité est la pire forme des inégalités, car elle enferme dans des trappes dont il est impossible de sortir. Dans la première édition de ce livre, Pierre-Noël Giraud nous avait prévenus : nos sociétés ne peuvent plus se dérober à cette question de l’inutilité, désormais centrale avec celle de l’environnement. La montée des populismes en Europe et aux États-Unis confirme son diagnostic : les populismes se nourrissent de l’accroissement des inégalités et de l’inutilité, et il faut les combattre sur ce terrain. Comment rompre avec la spirale de l’inutilité ? Les risques sociaux et politiques de celle-ci sont énormes – guerres civiles, migrations, populismes. C’est pourquoi Pierre-Noël Giraud préconise dans cette nouvelle édition de mesurer l’efficacité des politiques publiques à l’aune de cet objectif : faire en sorte qu’il n’y ait plus d’inutiles. Pierre-Noël Giraud est professeur d’économie à Mines-ParisTech et à Dauphine, PSL-Research University. Il est l’auteur d’ouvrages d’économie qui ont fait date, dont L’Inégalité du monde (1996), Le Commerce des promesses (nouvelle édition en 2009) et, plus récemment, L’industrie française décroche-t-elle ? (2013). 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 janvier 2018
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738147301
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , 2015, JANVIER  2018 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4730-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Pour Ysé.
Introduction

« C’est proprement ne valoir rien que de n’être utile à personne. »
René D ESCARTES , Discours de la méthode .

Nombreux sont aujourd’hui les hommes superflus, inexploitables, exclus, rejetés dans des trappes, en un mot inutiles aux autres et à eux-mêmes, et donc sans valeur, comme le dit Descartes. D’inutiles à « en trop », il n’y a qu’un pas, qui peut conduire à leur destruction.
Les hommes inutiles ne sont pas même « surexploités », ils sont simplement inemployés, ou très mal. Sur les marchés du travail, leur force de travail – on dit aujourd’hui leur « capital humain » – ne vaut rien ou pas assez pour qu’ils puissent en vivre décemment. Ils survivent donc de formes variées d’assistance, plus ou moins publiques, plus ou moins volontaires. Comme le disait si bien Joan Robinson dès 1962 : « La misère d’être exploité par les capitalistes n’est rien comparée à la misère de ne pas être exploité du tout 1 . » Les « damnés de la terre » étaient aux XIX e et XX e  siècles les colonisés et les surexploités ; au XXI e , ce sont les hommes inutiles.
L’inutilité n’est que l’une des multiples formes que prend aujourd’hui l’inégalité entre les hommes. C’est cependant une forme particulièrement grave et résistante d’inégalité, parce qu’elle enferme dans des trappes d’où il est très difficile de sortir. Quand on « tombe » dans l’inutilité, on a une très grande probabilité d’y rester et de gâcher ainsi sa vie. Qui sont ces hommes inutiles ? Les chômeurs de longue durée et plus généralement ceux qui, découragés, ne se présentent même plus sur le marché de l’emploi. Mais aussi les working poors et tous ceux qui enchaînent des « petits boulots » précaires qui ne permettent pas de vivre sans assistance publique ou privée et surtout qui ne permettent pas de progresser. Soit plus de la moitié des jeunes dans de nombreux pays. Dans les pays du « Sud », s’y ajoutent les paysans qui ont si peu de terre que, pour survivre, ils l’épuisent. Ainsi que les habitants des slums mal connectés aux centres des villes, sans services publics de base et soumis aux inondations et aux ouragans, qui ne trouvent même pas à survivre dans le secteur informel, ceux pour qui la ville ne fonctionne pas comme ville pourvoyeuse d’opportunités et qui vivent donc de solidarité familiale ou clanique.
L’inutilité est une forme, encore mal cernée et comprise, des inégalités. Cet essai s’insère donc dans une désormais longue tradition d’analyse des inégalités. Dès 1996, dans L’Inégalité du monde 2 , j’avais moi-même étudié la dynamique des inégalités de revenus et les moyens de les réduire. Ma thèse se résumait ainsi : la globalisation des firmes favorise l’émergence et accélère le rattrapage des « pays à bas salaires et à capacités technologiques », réduisant ainsi les inégalités entre pays. Toutefois, dans le même temps, elle accroît partout les inégalités internes de revenus, ce qui, dans les pays riches, lamine les classes moyennes, piliers de la démocratie parlementaire. À l’époque, je fus, parmi les économistes, l’un des seuls à proposer cette analyse et à en tirer les conséquences politiques. Nous sommes quelque vingt ans plus tard, et ma prévision s’est avérée. Depuis la fin des années 1990, une volumineuse littérature académique a en effet minutieusement quantifié la croissance des inégalités de revenus et de patrimoines dans le monde. Des ouvrages de synthèse ont largement popularisé ces résultats et proposé divers moyens de réduire les inégalités 3 . Cependant, au-delà des faits, l’explication que j’en donnais en 1996, à savoir que la croissance des inégalités résultait « des » globalisations et non simplement du progrès technique et de la révolution numérique, reste toujours controversée, bien qu’elle gagne du terrain.
Tandis que le débat reste ainsi très ouvert sur les causes profondes des inégalités, les gouvernements sont aujourd’hui devenus curieusement presque unanimes : « Il faut d’urgence réduire les inégalités, tant internationales qu’internes. » « Sans oublier les inégalités avec les générations à venir », ajoute-t-on désormais. Les organisations internationales leur emboîtent naturellement le pas. Dès 2014, deux rapports, du FMI et de l’OCDE 4 , soulignaient que les inégalités croissantes de revenus devaient être réduites car elles finissent par entraver la sacro-sainte « croissance ». Si tous les gouvernements et la plupart de leurs experts, de la Chine aux États-Unis en passant par le Brésil et l’Europe, admettent désormais qu’il faut réduire les inégalités et promouvoir des croissances plus « inclusives », on ne peut que s’en réjouir.
Prenons-en acte et tournons-nous vers les trente ans qui viennent, dont on commence à être averti qu’ils vont être cruciaux pour le sort de l’humanité d’ici à la fin du siècle. Ensuite l’humanité, dotée de techniques aujourd’hui insoupçonnables, entrera dans la seconde grande révolution anthropologique de son histoire, après celle de la sédentarisation des groupes de chasseurs-cueilleurs il y a environ six mille ans : la décroissance démographique. Tout va changer alors. En attendant cette révolution, nous avons à régler de sérieuses questions d’inégalités économiques entre contemporains. Or, au-delà du consensus de façade sur la nécessité de réduire les inégalités, le débat reste pour le moins confus sur celles qu’il faudrait traiter en priorité et a fortiori sur la manière de s’y prendre.
Intervenant dans ce débat, cet essai désigne les inégalités prioritaires. Il analyse leur avenir si l’on ne fait rien et préconise des moyens de les réduire. Il entend montrer comment notre rapport à la nature, la globalisation des firmes et l’instabilité financière, non seulement creusent les inégalités de revenus, ce dont aujourd’hui tout le monde ou presque convient, mais engendrent aussi un nombre croissant d’« hommes inutiles ». Ajoutons que les globalisations, des firmes et financières, provoquent l’errance des conflits économiques sur le partage des revenus. Ces conflits sont de moins en moins directs, en raison de la mobilité des emplois « nomades » que les firmes globales localisent où bon leur semble. Ils sont de plus en plus dispersés par la finance de marché et l’endettement public et privé et se règlent dans les récessions qui suivent les krachs. L’errance des conflits économiques est dangereuse, car elle pave la voie à d’autres conflits – identitaires, religieux, ethniques – qui renforcent les verrous des trappes d’inutilité et qui, organisés désormais par des partis politiques, menacent la paix civile. Il faut donc juger les politiques économiques d’abord et avant tout à leur capacité d’ouvrir ces trappes et de les vider de leurs hommes inutiles.
Dans ce livre, nous progresserons en trois temps. Il s’agit d’abord de répondre à la question : « Que voulons-nous ? » C’est un temps purement politique, celui du choix d’un objectif collectif. L’objectif que je propose est simple à formuler : éradiquer l’inutilité, partout où elle se trouve. Autrement dit, faire en sorte que les systèmes économiques et étatiques permettent à chacun de vivre décemment d’une activité économique ou sociale où il se sente et soit objectivement utile aux autres et à lui-même. Le premier chapitre donne une définition économique de l’ inutilité et développe les raisons du choix de cet objectif. Il précise pourquoi l’inutilité est une forme d’inégalité particulièrement grave et politiquement dangereuse, puisqu’elle menace la paix civile. Il justifie ainsi sa priorité dans un programme économique qui se veut « minimum » et devrait donc recueillir, a priori , une vaste approbation collective, au moins parmi ceux qui veulent la paix civile.
Trois chapitres analytiques et prospectifs présentent ensuite une modélisation économique des dynamiques inégalitaires en portant une attention particulière aux causes de l’apparition d’hommes inutiles. Dans ces chapitres d’analyse économique, je serai volontairement pédagogique sur la manière dont fonctionne l’économie, afin de montrer quel en est le « bon usage ». Les dynamiques inégalitaires qui engendrent les hommes inutiles sont à l’œuvre dans trois strates, superposées et en interaction, de la réalité économique. La strate profonde est la démographie et le rapport des hommes à la nature (chapitre 2 : « L’adieu à Malthus »). Puis les dynamiques de création et de localisation d’emplois engendrés par la globalisation des firmes (chapitre 3 : « Globalisations et inégalités »). Enfin, les effets de l’instabilité de la finance globale de marché sur les hommes inutiles et l’errance des conflits économiques (chapitre 4 : « L’instabilité de la finance »). Les modèles et théories conduisent à des projections conjecturant ce qui a de bonnes chances de se produire si les politiques ne changent pas.
Vient alors, avec le chapitre 5 : « Préconisations », le troisième temps de notre démarche, qui décrit les politiques permettant d’atteindre l’objectif proposé : ouvrir et vider les trappes d’inutilité. On mesurera le contraste entre une ambition pourtant très limitée et les difficultés à lever pour la satisfaire. Le dernier chapitre, 6 : « Économie politique du pop

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