Contre la courte vue : Entretiens sur le Grand Krach
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Description

« On ne peut pas réfléchir sur la sortie de la crise si on ne comprend pas la crise en elle-même. Son essence est économique et sociale. Ce qui a fait défaut au système économique, c’est la charpente de règles, de contrôles et d’actions gouvernementales qui, dans une économie de marché, constitue l’indispensable complément de la libre recherche du profit par les individus et les entreprises. Cette crise est en réalité politique et institutionnelle : l’échec dont elle résulte est davantage celui de la politique économique que celui de la finance et des marchés. Enfin, et de manière plus générale, la crise trouve ses racines sur le terrain de la culture, intellectuelle et anthropologique : il découle d’attitudes mentales, d’idées et de comportements devenus dominants dans nos sociétés. Observer le présent comme un événement historique signifie regarder les faits pour comprendre ”comment nous voudrions que cela se passe ”. Les regarder pour chercher la synthèse entre ce que nous voulons et ce que nous pouvons. » T. P. -S. Tommaso Padoa-Schioppa a été le ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement Prodi de 2006 à 2008 et président du comité des ministres du FMI. Il est maintenant président de Notre Europe. Il est l’auteur de nombreux ouvrages en matière d’économie, monnaie et finance, affaires européennes et internationales. Beda Romano est correspondant en Allemagne pour le quotidien italien Il Sole-24 Ore. Il a collaboré à de nombreux organes, dont Le Point, Challenges et USA Today.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 octobre 2009
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738197122
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ce livre est paru sous le titre original : La veduta corta. Conversazione con Beda Romano sul Grande Crollo della finanza , paru aux éditions  il Mulino, Bologne. © Società editrice il Mulino, 2009
Pour la traduction française : © ODILE JACOB, OCTOBRE 2009
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9712-2
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Or tu chi se’, che vuo’ sedere a scranna,
Per giudicar di lungi mille miglia
Con la veduta corta di una spanna ?
 
Or qui es-tu, toi qui veux siéger au tribunal,
pour porter des jugements à la distance d’un millier de milles,
quand ta vue ne va pas au-delà d’un empan ?
D ANTE ,
Le Paradis , XIX
Préface

À l’automne 2009, les déclarations rendues publiques à l’issue des réunions des grands leaders politiques et des organisations internationales nous annoncent la « fin de la crise » et s’efforcent de nous convaincre que la finance, l’économie, le monde même, reviennent à la normalité. La phase de panique, c’est vrai, est derrière nous, et on n’en verra probablement pas une répétition aussi dramatique que celle de 2008 ; de même, la chute de la production et de la demande semble s’être arrêtée. Mais est-ce suffisant pour célébrer le retour à la normalité ? Et que faut-il entendre par là ? Certainement pas le retour aux « années dorées » d’avant 2007, car c’est exactement ce cours des choses qui nous a amenés à la plus grave crise économique survenue depuis 1929.
On ne peut donc pas réfléchir sur la sortie de la crise si on ne comprend pas la crise en elle-même. Et, en vérité, celle-ci n’a pas été pleinement comprise et encore moins dépassée. L’adjectif « financière », que l’on a tout d’abord utilisé pour la définir, s’est rapidement révélé insuffisant. Son essence est économique et sociale, à l’instar des conséquences qui se déploient sous nos yeux : fermetures d’usines, chômage, conflits protectionnistes. Et, puisque ce qui a fait défaut au système économique, c’est la charpente de règles, de contrôles et d’actions gouvernementales qui, dans une économie de marché, constitue l’indispensable complément de la libre recherche du profit par les individus et les entreprises, cette crise est en réalité politique et institutionnelle : l’échec dont elle résulte est davantage celui de la politique économique que celui de la finance et des marchés. Enfin et de manière plus générale, le désastre trouve ses racines sur le terrain de la culture, intellectuelle et anthropologique : il découle d’attitudes mentales, d’idées et de comportements devenus dominants dans nos sociétés.
Les faits marquants de cette décennie – tout d’abord l’attentat du 11 Septembre, ensuite le Grand Krach – doivent être perçus comme l’annonce d’un ordre du jour. Ils dressent une liste de « choses à faire » au cours du nouveau millénaire : piloter la mondialisation, instaurer la paix dans le monde, conjuguer la force et le droit, rétablir la domination de l’homme sur la technique, trouver un équilibre et une autonomie réciproques entre politique, économie et culture dans la vie en société.
La racine la plus profonde de la crise actuelle est à chercher dans la courte vue, celle qui, comme disait Dante, « ne va pas au-delà d’un empan » : le raccourcissement de l’horizon temporel des marchés, des gouvernements, de la communication, des entreprises et même des personnes. D’où le titre de ce livre. La réflexion est conduite au travers de six entretiens avec Beda Romano et constitue un effort d’allongement du regard : en arrière, pour comprendre la vraie nature de la crise, et en avant, pour déterminer la direction vers laquelle orienter nos pas. Le style de la conversation est adopté non pas par artifice éditorial, mais comme forme d’interrogation et comme mode d’expression adapté à l’incertitude et à l’esprit de recherche.
Le passé est un, le futur multiple ; il ne gît pas dans une attente oisive sur les genoux de Jupiter, et il n’est écrit nulle part. C’est à nous qu’il appartient de l’écrire par nos actions et par nos choix ; il est – selon les mots de Karl Popper – « ouvert », et l’Histoire nous enseigne que le passé aussi l’a été. Voilà pourquoi le présent est la ligne de notre liberté. Bien sûr, pour modeler le futur, nous devons penser et vouloir un futur possible, un de ceux qui sont contenus en germe dans le passé et dans le présent, un de ceux qui sont susceptibles d’être développés et de croître. Ce que nous devons donc nous efforcer de lire, ce n’est pas un futur qui reste à écrire, mais la réalité, avec les contraintes qu’elle nous impose, les routes qu’elle nous ferme et celles qu’elle nous ouvre. En effet, l’usage que nous faisons de notre liberté n’influera sur le cours de l’Histoire que s’il demeure dans les limites du réel.
Nous sommes habitués à lire les événements historiques du passé en sachant « comment cela s’est passé ». Observer le présent comme un événement historique signifie au contraire regarder les faits pour comprendre « comment nous voudrions que cela se passe ». Les regarder pour chercher la synthèse entre ce que nous voulons et ce que nous pouvons.
Tommaso Padoa-Schioppa,
octobre 2009.
Chapitre premier
Andersen et la reine
La crise, les crises

En novembre 2008, la reine Elizabeth d’Angleterre s’est rendue en visite à la London School of Economics. À la surprise générale, elle a demandé à ses savants interlocuteurs : « Pourquoi personne ne s’est-il rendu compte ? » Et elle a poursuivi : « Si ces choses étaient si grandes, comment se fait-il que tout le monde soit passé à côté ? C’est horrible. » Quelle est votre réponse à la question de la reine d’Angleterre ?
 
La question de la reine Elizabeth revalorise l’institution monarchique. Seul un monarque, un représentant de la classe nobiliaire qui n’a été élu par personne, hors du monde, a la liberté de poser des questions simples, d’affirmer devant le peuple, sans mâcher ses mots, que la classe des scribes est nue, un peu à l’image de l’enfant de la fable d’Andersen qui dit la même chose du roi. L’un des éléments les plus frappants lorsque l’on observe aujourd’hui les données qui étaient déjà disponibles à l’époque, c’est que presque personne – dans le monde de la finance et dans celui des institutions publiques – n’avait vu venir le Grand Krach. Un peu à l’image de certaines cartes géographiques, où l’on situe facilement les petites villes et les villages, mais non les régions ou les États parce qu’ils sont trop grands pour être visibles, leurs noms étant écrits avec de grandes lettres trop distantes l’une de l’autre. Même une fois écrite noir sur blanc, l’expression « crise à l’approche » semble ne pas avoir été lue par ceux qui pouvaient rectifier à temps la route du Titanic . Cela me rappelle certaines images du tsunami qui frappa la Thaïlande en 2004 : les personnes étaient tranquillement assises dans un café, alors que l’on voyait déjà apparaître à l’horizon la vague en train d’arriver. Tous se trouvaient dans ce que l’on appelle la bulle : financière avant tout, bien sûr, mais aussi économique, politique, mentale et culturelle. Robert Shiller, professeur à l’Université de Yale, parle de « contagion sociale » : l’opinion dominante empêche d’entendre les voix discordantes, ultrasons inaudibles à l’oreille humaine. Et l’on remarque que cette surdité n’a pas disparu avec l’éclatement de la crise. Elle est encore là aujourd’hui.
 
On comprend clairement pourquoi l’on parle de bulle financière. Mais pourquoi parlez-vous également de bulle mentale ? À quoi faites-vous allusion exactement ?
 
Au fil des ans, on a progressivement perdu conscience du fait que la longue expansion économique américaine ne pouvait pas durer. On a également oublié ce qu’était une véritable récession ; celle de 2002 fut seulement un moment de pause dans la croissance sans interruption observée depuis les années 1980. Les mises en garde quant à une possible crise liée à l’insoutenabilité du double déficit américain – des comptes publics et de la balance courante – semblaient démenties par les faits. On s’est comporté comme le ferait une personne très âgée qui serait convaincue d’être devenue immortelle précisément parce qu’elle a déjà vécu si longtemps. On a pensé que la hausse du prix des maisons ou des actions ordinaires aurait continué à l’infini, que la liquidité abondante de la dernière décennie n’aurait jamais créé d’inflation et que les pays asiatiques auraient continué à investir en Amérique sans se préoccuper de la situation de leur débiteur. Dans les cycles d’euphorie collective, les anticipations extrapolatives deviennent dominantes par rapport aux anticipations régressives. Il faut remarquer, ensuite, que l’éclatement de la bulle n’a pas mis fin au conformisme mental. La vague de panique qui a suivi est elle aussi une bulle, en négatif. Lorsque l’on évalue une action ou un bien, il n’y a pas beaucoup de différence entre l’excès d’optimisme et l’excès de pessimisme.
 
Au cours de nos conversations, nous tâcherons d’explorer les causes du Grand Krach et ses possibles implications pour la politique économique, internationale et européenne. À partir d’un premier panorama de ces deux dernières années, trois thèmes sautent aux yeux : le lien entre la crise d’aujourd’hui et les crises d’hier, la coopération entre banques centrales et

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