Sieyès et l invention de la Constitution en France
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Sieyès et l'invention de la Constitution en France , livre ebook

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Description

Sieyès a toujours déplu aussi bien à la gauche, fascinée par le jacobinisme, qu'à la droite, incapable de comprendre le libéralisme de l'auteur de Qu'est-ce que le tiers état ? On lui doit pourtant le caractère antidespotique de notre pouvoir : c'est lui qui imagina, sans être à l'époque écouté, le principe du contrôle de constitutionnalité des lois. Son modèle constitutionnel a finalement inspiré les nations européennes après la Seconde Guerre mondiale, notamment l'Allemagne et l'Italie. En France aussi, la Ve République a intégré à son tour le principe du contrôle de constitutionnalité. S'appuyant sur des textes de Sieyès publiés ici pour la première fois, Pasquale Pasquino donne à redécouvrir le rôle central qu'a joué ce penseur politique majeur dans la naissance de la culture républicaine et de l'État constitutionnel en Europe. Chercheur au CREA (CNRS), Pasquale Pasquino enseigne la théorie politique à la New York University.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 1998
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738159205
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ouvrage proposé par Évelyne Pisier.
© O DILE J ACOB, AVRIL  1998 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5920-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
REMERCIEMENTS

Tout au long des recherches dont les résultats sont publiés ici, j’ai profité de l’amitié et de l’intelligence de Bernard Manin et de Michel Troper. François Furet m’a encouragé à travailler sur Sieyes lorsque cette idée ne rencontrait pas beaucoup d’intérêt. Sans la patience et le soutien constant d’Évelyne Pisier, ce livre n’aurait pas vu le jour. Gaëlle Fontaine a fait preuve d’une tolérance tout à fait extraordinaire pour rendre lisible le manuscrit de ce travail, qu’elle en soit ici vivement remerciée.
À S. Nespor
PRÉFACE


La pensée politique et constitutionnelle de l’abbé Sieyes 1 n’a jamais eu une grande fortune en France. À l’exception du livre de Paul Bastid publié en 1939 2 , aucun ouvrage important n’a été consacré dans son pays à l’auteur de Qu’est-ce que le tiers état ? Même le bicentenaire de la Révolution, sans la remarquable biographie de Jean-Denis Bredin 3 , aurait laissé dans l’ombre une pensée et un auteur qui ont toujours déplu aussi bien à la gauche, toujours fascinée par le jacobinisme, auquel Sieyes ne s’était pas rallié, qu’à la droite, incapable de comprendre le libéralisme d’un homme qui avait rédigé le manifeste de la révolution antinobiliaire.
En Allemagne, depuis le début, notamment parmi les constitutionnalistes, et plus récemment en Italie, en Angleterre et aux États-Unis, Sieyes a trouvé une reconnaissance qu’il n’a jamais eue à Paris. La seule édition complète ancienne de ses écrits politiques avait été publiée en allemand en 1796 par le soin de ses amis et de ses disciples d’outre-Rhin. Sa doctrine du « pouvoir constituant » de la nation est l’une des sources d’inspiration les plus importantes de la Théorie de la constitution de Carl Schmitt.
Les textes qu’on va lire ont la seule ambition d’apporter une contribution à la redécouverte d’une pensée qui n’a pas fini de dévoiler son intérêt et sa profondeur. Dans mes recherches, je me suis beaucoup appuyé sur les manuscrits de Sieyes. Les notes de travail de l’abbé, achetées par les Archives nationales, il y a maintenant plus d’une vingtaine d’années, représentent une mine pour quiconque se donnera la peine de déchiffrer des textes souvent griffonnés à la hâte sur des bouts de papier et la plupart du temps pénibles à lire. Certains de ces manuscrits sont publiés ici.
Un aspect de la doctrine constitutionnelle de Sieyes mérite d’être souligné d’entrée de jeu. Celle-ci est explicitement une doctrine du « gouvernement limité ». Malgré l’habitude d’assimiler Sieyes à Rousseau, l’idée même de « pouvoir constituant » de la nation est un instrument qui permet de penser le caractère limité et subordonné des pouvoirs constitués (tel le législatif lui-même 4 ), bien plus qu’un avatar du concept confus de « souveraineté populaire ». Il faut remarquer que le terme même de « souveraineté » n’apparaît jamais dans les textes de Sieyes, sinon sous une forme négative et critique – ainsi dans les discours de l’an III – et pour désigner un pouvoir exorbitant , qui est, lui, l’antonyme de toute doctrine libérale de l’État. Si les organes de l’État sont des pouvoirs constitués, dont les compétences sont fixées et limitées par la constitution, il n’est pas étonnant que la communauté politique soit conçue sous la forme d’une association partielle. Ce type d’association ne doit pas permettre le déploiement d’une politique absolue, celle qui caractérise la « ré-totale », avec son style de vie « monacal » – une expression que Sieyes reprend à Montesquieu ! Il est clair aussi que dans ce contexte les droits des citoyens sont présentés comme relevant du droit naturel avant de prendre la forme d’un droit positif. Ils n’ont qu’à être « reconnus et exposés », comme on le lit dans le titre de la brochure publiée par Sieyes lors du débat sur la Déclaration.
En outre, la thèse selon laquelle Sieyes serait un tenant de la monarchie constitutionnelle demande à être éclaircie. Au chapitre IV, on pourra lire une interprétation des positions de Sieyes en termes républicains. Après coup, je me suis rendu compte que l’essentiel ne se joue pas autour de ces catégories. Certes, pour Sieyes la monarchie est une forme du gouvernement et non de l’État, et Sieyes n’est donc pas plus monarchiste que le Rousseau du Contrat social ; certes, on peut faire valoir le contexte politique à la suite de la fuite du roi à Varennes, le danger représenté par le mouvement jacobin naissant et donc la nécessité pour Sieyes de rallier le parti feuillant de l’Assemblée travaillant à la rédaction de la constitution. Mais tout bien considéré, ce débat sur la forme monarchique ou non de l’exécutif ne constitue pas le point central. Celui-ci réside dans la différence essentielle entre la position de l’abbé et le texte de la constitution de 1791 – la constitution de Thouret et Barnave où le rôle attribué au chef de l’exécutif est extrêmement important, beaucoup plus important que pour le « monarchiste » Sieyes.
La constitution de 1791 est une tentative désespérée de donner à la France un gouvernement « modéré » au sens de Montesquieu, je veux dire un gouvernement antidespotique fondé sur une conception de la séparation des pouvoirs qui impose non seulement la spécialisation des fonctions et l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais aussi une balance au sein du pouvoir législatif. Pendant l’été 1789, l’Assemblée avait écarté le projet de Mounier et Lally-Tollendal visant à introduire un pouvoir législatif bicaméral et le veto absolu de la part du roi. L’Assemblée n’avait retenu que la proposition de Clermont-Tonnerre (soutenue par Necker, ministre du roi) d’un veto suspensif. Le discours le plus important de Sieyes à la tribune de la Constituante est celui du 7 septembre « contre » toute forme de veto royal. L’essentiel de la position de Sieyes sous la Constituante, en ce qui concerne la séparation des pouvoirs, est une doctrine de la spécialisation qui ne prévoit aucune forme de freins et de contrepoids – c’est un point, d’ailleurs, sur lequel Sieyes ne changera jamais d’avis, comme en témoignent les discours de l’an III. Or, la question de la monarchie dans l’État constitutionnel coïncide avec celle des pouvoirs attribués au chef de l’exécutif et notamment avec la possibilité pour celui-ci de constituer grâce à un droit de veto une limite au pouvoir législatif de l’Assemblée. C’est exactement sur ce point que Sieyes n’a jamais cédé. C’est là aussi la distance radicale qui le sépare du véritable auteur de la constitution de 1791, l’avocat normand Thouret, qui, lui, par la disposition du veto suspensif veut limiter le pouvoir potentiellement despotique de l’Assemblée.
Ce qui mérite d’être souligné – beaucoup plus que la question de la république ou de la monarchie – est que l’abbé est l’inventeur d’un modèle constitutionnel de la séparation des pouvoirs qui est très loin de celui proposé par Montesquieu dans son chapitre sur la constitution d’Angleterre, modèle utilisé et perfectionné par James Madison lors de la Convention de Philadelphie. Dans le modèle Montesquieu-Madison, la séparation partielle des pouvoirs vise à établir un mécanisme d’équilibre qui s’auto-reproduit (self-enforcing equilibrium) entre les organes de l’État – plus précisément entre les parties composantes – le pouvoir suprême, à savoir le législatif. En vue d’obtenir cet équilibre, il faut bâtir un système de checks and balances en mesure d’empêcher le débordement de chacun des trois pouvoirs (notamment du législatif). C’est une forme assez fragile de ce modèle qui inspire la constitution de 1791, non seulement à cause du discrédit de Louis XVI après la fuite à Varennes, mais aussi car un chef de l’exécutif non élu (à la différence des États-Unis) est trop faible dans sa légitimité politique pour pouvoir exercer un frein pendant quatre ans (!) vis-à-vis d’un pouvoir législatif monocaméral .
Le modèle constitutionnel de Sieyes est fondé sur un autre principe : celui de la hiérarchie des normes, et de la « superlégalité » de la constitution. Le point d’aboutissement de ce modèle est à coup sûr la grande invention institutionnelle proposée par l’abbé en l’an III, le « contrôle de constitutionnalité 5  » des lois ordinaires attribué à un organe spécialisé prévu par la constitution. C’est ce modèle constitutionnel qui, repensé par Hans Kelsen, s’est imposé beaucoup plus tard dans les constitutions européennes après la Seconde Guerre mondiale (je pense ici notamment au cas de systèmes parlementaires tels que l’Allemagne et l’Italie ; deux pays qui, comme la France de l’an III, venaient de faire l’expérience d’un gouvernement « despotique »).
Le jury constitutionnaire est, certes, pour Sieyes, un organisme électif, à la différence de nos cours constitutionnelles ; mais il est le couronnement logique de sa conception libérale. Dans un modèle constitutionnel qui refuse la balance du législatif et qui risque d’aboutir à un gouvernement d’assemblée, le contrôle de constitutionnalité est la clef de voûte du système. Le gardien de la constitution a d’ailleurs une double fonction. D’un côté, il est, comme on l’a déjà dit, une limite à la menace représentée par le pouvoi

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