Et ce sera justice : Punir en démocratie
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Description

De la punition ou de l’impunité, quel est le plus grand scandale ? D’un côté, nous nous émouvons des conditions dans lesquelles sont maintenus ceux qui peuplent nos prisons ; de l’autre, une évasion spectaculaire ou un odieux assassinat nous font réclamer plus de dureté à l’égard de ceux qui faillissent. Comment concilier équité et respect de la personne humaine ? Faut-il mieux prendre en compte l’intérêt et la souffrance des victimes ? Quelle différence alors entre punition et vengeance ? Une réflexion audacieuse et profonde sur ce que doit être le sens de la peine dans les sociétés qui se veulent « évoluées ». Antoine Garapon est magistrat, membre du comité de rédaction de la revue Esprit et a fondé l’Institut des hautes études sur la justice. Il a publié notamment Le Gardien des promesses et Bien juger. Frédéric Gros est philosophe, maître de conférence à l’université Paris-XII. Il a notamment publié Foucault et la folie et Création et Génie. Il a également collaboré à l’édition des cours de Michel Foucault au Collège de France. Thierry Pech est assesseur au tribunal pour enfants de Paris et collaborateur de l’Institut des hautes études sur la justice. Il a notamment publié Conter le crime.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2001
Nombre de lectures 5
EAN13 9782738165787
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ANTOINE GARAPON, FRÉDÉRIC GROS, THIERRY PECH
ET CE SERA JUSTICE
Punir en démocratie
© O DILE J ACOB , SEPTEMBRE 2001
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6578-7
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2° et 3° a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
www.centrenationaldulivre.fr
Introduction

De la punition ou de l’impunité, quel est le plus grand scandale ? L’homme démocratique hésite, tergiverse et finalement esquive. Mais la question lui revient comme un boomerang car c’est lui-même qui toujours la relance. Scandale de l’impunité : il exige la sûreté et le respect de sa personne, en fait valoir le caractère sacré et intangible, demande réparation et reconnaissance. Scandale de la punition : il compatit au sort des punis, dénonce les bourreaux, condamne toute violence, fût-elle légitime et orientée vers celui qui a blessé, outragé ou tué. C’est l’un de ses paradoxes : toujours plus libre, il punit de plus en plus ; toujours plus « humain », il pleure aussi davantage, jusqu’à rêver de peines insensibles, de punitions indolores.
Dans ce balancement continuel de la peur à la pitié, de la crainte pour soi à la crainte pour l’autre, on peut se résigner à voir le destin de l’homme démocratique, condamné à cette oscillation tragique d’une passion à son envers. Parce que rien ne lui importe autant que l’individu qu’il faut protéger à tout prix, qu’il soit auteur ou victime.
Envisageons toutefois la question d’un autre point de vue et tentons de penser une peine délivrée de ce cercle vicieux où la pitié pour les victimes justifie la souffrance des condamnés, laquelle justifie à son tour la pitié. Une peine cohérente avec les aspirations rivales de la démocratie, qui ne blesse ni l’individu, ni l’égalité, ni la dignité. C’est l’ambition de ce livre. Un pari ambitieux et risqué dont les trois chemins se croisent en un point central, une conviction commune : une peine juste est une peine qui régénère les liens blessés par le crime.
Le premier chemin est celui de la tradition philosophique. Un itinéraire peu fréquenté, méconnu, voire tout simplement oublié. Le privilège accordé aujourd’hui à l’enquête sociologique, à la criminologie et aux monographies universitaires a contribué à l’obscurcir. C’est ce sentier escarpé que nous rouvrons pour commencer. À ceux qui considéraient la peine comme le parent pauvre de la philosophie, le récif de violence archaïque sur lequel toutes les grandes machines intellectuelles risquaient de se briser, il apporte une réponse nuancée : si ce diagnostic n’est pas tout à fait faux – la peine joue bien quelquefois ce rôle d’épouvantail pour le philosophe –, il nécessite un examen plus approfondi, car c’est en même temps dans les énoncés philosophiques que résident les « foyers de sens » de la pénalité, depuis Platon jusqu’à nous. Ce sont ces « constituants immédiats » du discours sur la peine que décrit Frédéric Gros, convaincu qu’ils irradient bien au-delà de leur formulation intellectuelle. L’entreprise ne consiste pas à faire de l’histoire, mais à dresser la topographie de nos raisons de punir, des instruments disponibles pour désamorcer le double scandale de la punition et de l’impunité. Ces foyers de sens, Frédéric Gros les réunit sous quatre rubriques : la loi, la société, l’individu et la victime. Ce sont les quatre « au nom de » qui ordonnent les justifications de la peine. Mais il ne s’agit pas de privilégier ou de choisir l’un plutôt que les trois autres : ces quatre foyers de sens constituent plutôt les points cardinaux d’un espace d’argumentation où chaque doctrine trouve ses coordonnées, un clavier sur lequel chaque époque vient composer son propre accord.
Ce détour par la tradition philosophique ne nous éloigne du temps présent que pour nous y reconduire rajeunis et armés d’instruments nouveaux. C’est le second chemin de ce livre. Il passe par les politiques pénitentiaires contemporaines, les évolutions de la prison balisant ici une profonde mutation de la pénalité. Quel accord composent-elles sur le clavier reconstitué par Frédéric Gros ? C’est à cette question qu’entend répondre l’utopie de la peine neutre décrite par Thierry Pech : l’argumentation libérale qui reconfigure aujourd’hui la prison revendique une combinaison équilibrée des trois premiers foyers de sens (la loi, la société et l’individu) au détriment du quatrième (la victime et la vengeance). Mais elle conduit rapidement à un modèle où la considération de la loi et de l’individu l’emporte sur celle de la société. Un modèle dont l’originalité se décline sur trois registres dominants : le pacte humanitaire, le consensus procédural et la montée en puissance du contrat. Ce triptyque développe trois actualisations d’une même utopie de régulation : une peine juste serait une peine contrôlée, non plus depuis les intérêts d’un corps politique dominé par l’État, son prince et ses fonctionnaires, mais par son organisation propre, ses dispositifs internes, ainsi que par le droit national et international et par le sujet lui-même, promu acteur de sa peine. Ainsi appréhendée, la peine neutre n’est peut-être que l’autre nom de la peine libérale. Celle-ci bute cependant sur une anthropologie lacunaire, voire purement artificielle : le sujet absolu et abstrait qu’elle décrit n’a que peu de points communs avec les pensionnaires habituels de la prison. La peine libérale contemporaine rompt avec la pénalité classique de l’État moderne pour lui substituer un modèle à la fois plus conforme aux droits de l’homme et plus participatif, mais elle achoppe sur sa représentation d’un individu théorique et déçoit du même coup une attente forte des démocraties actuelles : la considération de la victime, de l’honneur blessé, de la dignité violée.
Le troisième et dernier chemin est celui de la « justice reconstructive ». Une justice d’après-guerre, pourrait-on dire, tant son souci est celui de la reconstruction du vivre-ensemble : elle aspire à donner aux parties hier en conflit les moyens de renouer entre elles un lien de reconnaissance mutuelle comme le montre Antoine Garapon. Contemporaine de la peine neutre, elle partage avec elle une critique sévère de la pénalité classique, du rôle de l’État comme instance hégémonique de l’équivalence pénale, ainsi qu’une propension au contrat et à l’échange direct, au face-à-face. Mais c’est le quatrième foyer de sens qui prévaut ici : celui de la victime, de la vengeance ou, plus exactement, d’une pensée vindicatoire disposée au monde moderne. Tandis que la peine libérale isole l’individu dans la pureté neurasthénique de sa conscience, la justice reconstructive l’appréhende comme un être relatif , c’est-à-dire en relation avec la victime. Cette justice fait de la régénération des liens blessés par le crime l’horizon de son action. Elle vise à inscrire la peine dans une « diplomatie du social » où victimes et coupables retrouveraient leur commune mesure et par la même occasion l’estime de soi. La puissance de ce modèle tient à sa transversalité : il se déploie aussi bien dans les expériences microsociales de médiation et de réparation que dans les expériences collectives et historiques comme les commissions Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud. Une même énergie, un même souci de l’honneur retrouvé et de l’avenir commun innervent ces pratiques et donnent à cette pénalité alternative les moyens de transcender la séparation classique entre le moment relationnel du procès et la durée solitaire de la peine.
Mais un modèle ne chasse pas l’autre : chacun participe d’un même système de la peine où se réorganisent les différents foyers de sens de la tradition. L’unité de ce système n’est pas celle d’un corps de doctrine, mais d’un champ problématique traversé par deux utopies concurrentes : une utopie de régulation et une utopie de réconciliation. Deux utopies qui mettent en scène les quiproquos d’une philosophie et d’une anthropologie : la philosophie libérale du sujet autonome et autosuffisant, d’une part, et l’anthropologie des conflits humains de l’autre. Au fond, ce nouveau système de la peine réfléchit la contradiction qui travaille l’individu démocratique : un sujet en soi, atome émancipé de toute totalité, isolé dans la solitude de son propre cœur, comme le disait Tocqueville, mais qui ne se nourrit que du regard d’autrui.
Première partie
Les quatre foyers de sens de la peine
Frédéric G ROS
Le droit de punir, l’institution pénale, la peine de mort… Ce sont des scandales pour la morale évangélique. Ce sont des nécessités politiques. Ce sont des défis pour la raison. On connaît des problématiques plus généreuses et moins compromettantes : les droits de l’homme, la citoyenneté, la dignité et le respect… La philosophie, pour les déployer dans l’élément calme du discours rationnel, s’y sent aussitôt plus à l’aise. Il est si beau, si tentant de chanter la glorieuse justification de la paix, du bonheur et de la liberté. Les accents lyriques sont à portée de lèvres et les enthousiasmes toujours jeunes. Mais la nécessité dure du châtiment, avec son cortège de souffrances et de passions, ses cris de colère et de haine, avec ses tortures atroces, ses humiliations inutilement cruelles. Avec son souci de justice. Mais comment penser une violence juste ?
La philosophie ne s’est pas toujours tenue à l’écart de ces problèmes. Il existe une histoire ou

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