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EAN : 9782335038613
©Ligaran 2015
À MON EXCELLENT AMI
L.S. D’AIGREMONT
j’offre la dédicace de ce livre.
L.A.
Préface
Ceci n’est pas le livre d’un érudit, mais le récit d’un voyageur. Nous avons voulu avant tout parcourir, voir, interroger les lieux plus que les livres. Sans doute nous n’avons laissé de côté ni l’histoire, ni la légende, ni l’archéologie, ce sont comme des lumières sans lesquelles on ne saurait descendre dans le passé ; nous citerons les textes principaux, nous résumerons l’histoire quant à ses traits essentiels, à chacune de nos sept étapes nous nous efforcerons de reconstituer par la pensée le monument ruiné ou disparu, mais toujours brièvement, sommairement, sans permettre à notre science trop peu préparée de s’égarer dans l’aventure d’études approfondies. Nous n’avons pas la prétention d’avoir dit le dernier mot sur aucune des questions que soulèvent les Sept Merveilles du Monde. Nous allons raconter, non pas discuter.
Rien qui dépasse, dans l’antiquité classique, la renommée des Sept Merveilles du Monde. Après tant de siècles, les générations nouvelles en gardent la mémoire et les vantent encore sur la foi des vieux auteurs.
L’antiquité païenne avait multiplié à l’infini les monuments, dans les pays que baigne la Méditerranée. Pas un bois qui n’eût son sanctuaire ; pas une cime, aux rivages grecs, qui n’eût son temple ; pas une cité qui n’eût son acropole que peuplaient les dieux de marbre et les héros de bronze.
Les anciens n’étendaient pas, à une contrée immense, l’idée de patrie ; ils la concentraient sur une ville, fort petite bien souvent, et l’amour qu’ils lui portaient n’en était que plus tendre, plus vif, plus fidèle. Cette ville, chérie entre toutes, où leurs aïeux étaient morts, où leurs enfants étaient nés, ils la voulaient belle s’ils ne pouvaient pas toujours la faire puissante ; ils la paraient d’édifices somptueux, comme un amant pare de joyaux celle qu’il aime. Et quels édifices ! Quels temples ! Quelles statues ! À Athènes, c’était le Parthénon que les Propylées et l’Erechthéion encadrent ; à Delphes, c’était un temple d’Apollon que la dévotion des rois et des peuples avait rempli d’innombrables trésors ; à Sardes, c’était un temple de Cybèle, des palais, des tombeaux ; à Cnide, c’était une Vénus de Praxitèle souriante au milieu des bosquets ; en Égypte, c’était partout des pylônes géants, des sanctuaires mystérieux, des colosses austères, des obélisques reflétant dans le Nil leur aiguille de granit. Et cependant le Parthénon, le temple de Delphes, les colonnades prodigieuses de Thèbes et de Memphis n’étaient pas comptés au nombre des Sept Merveilles du monde. Quelles magnificences fallait-il aux voyageurs d’autre fois pour éveiller leur enthousiasme ? Que demandaient donc leurs yeux lassés de tant de splendeurs ?
Ce qu’ils avaient proclamé les merveilles, c’était, on s’en souvient : le colosse de Rhodes, le tombeau de Mausole à Halicarnasse, le temple de Diane à Éphèse, le phare d’Alexandrie, les Pyramides, la statue de Jupiter à Olympie, les jardins de Babylone.
Qu’en reste-t-il ? Les siècles, les pillages, les guerres, les invasions plus dévastatrices, tous les fléaux conjurés pour les détruire, qu’en ont-ils laissé ? Rien le plus souvent. Mais il est toujours une chose que l’homme ne saurait anéantir, c’est la nature. Le cadre reste à défaut du tableau, et le tableau peut quelquefois être vaguement raconté par le cadre. Ces édifices grandioses, fastueux, immenses, n’ont pas croulé sans un fracas retentissant, et l’écho doit en frémir encore. Le souvenir survit, plus indestructible que les marbres et les porphyres. Dans le pèlerinage que nous allons entreprendre, si nous ne saluons pas les monuments maintenant disparus, nous saluerons du moins leur poussière glorieuse.
Les sept dessins restaurés qui accompagnent ici les sept Merveilles du Monde, ont été composés sur les croquis et d’après les indications de M. Louis Bernier architecte. Qu’il soit permis à l’auteur, au seuil de ce livre, de remercier celui qui fut son vaillant compagnon de voyage, avant d’être son très compétent collaborateur.
I Le colosse de Rhodes
Rue des Chevaliers à Rhodes
Ce qui ne reste pas du colosse et ce qui reste des chevaliers.
Le 16 avril 1876, jour de Pâques, le Béhérah vient mouiller devant le port du Pirée. Il doit repartir le même jour, pour Alexandrie, mais en faisant escale à Rhodes. Nous allons grossir le nombre de ses passagers.
Le Pirée est dans une fiévreuse agitation. En effet, quelques jours auparavant, une frégate russe, venant d’Égypte, a manqué l’entrée du port et s’est piteusement échouée au rivage. Il faisait nuit au moment de l’accident ; mais le temps était beau, la mer calme. Le commandant avait confondu, paraît-il, les lumières de la ville avec les feux qui marquent la passe étroite du port.
La frégate, peu avariée du reste, a vainement tenté de se dégager. Une corvette russe, en station au Pirée, s’est la première portée à son aide. Assistance insuffisante. Puis on a appelé trois petits paquebots grecs ; et tous, de compagnie, ont tiré, toujours sans aucun résultat. La frégate a bougé non plus que les rochers qui la retiennent prisonnière. Pauvre frégate ! Elle n’a pas une mine bien triomphante. De ses trois mâts, deux sont à demi démontés, et plusieurs des canons les plus lourds ont été portés à terre. Le navire, pour s’alléger, se transforme en ponton. C’est chose pitoyable que cette citadelle blindée, cuirassée, toute de fer, à présent inclinée sur le flanc et appelant à son secours tous ces petits bateaux qu’un seul de ses boulets broierait sans peine. Quelques pierres ont suffi à rendre impuissante cette puissance formidable ; et les rats maintenant doivent délivrer le lion.
Le Béhérah paraît, c’est un dernier espoir. Il va renforcer l’attelage déjà nombreux. Six cheminées fument furieusement ; on tire. Enfin la frégate s’ébranle, elle remue, elle se redresse. La voilà délivrée. Un hourrah général retentit ; et la flottille des canots s’agite comme une famille de canards en émoi. Au Béhérah revient l’honneur d’avoir décidé la victoire.
Les câbles, désormais inutiles, sont ramenés à bord. L’équipage les traîne et les roule, en accompagnant son labeur d’une mélopée brutalement rythmée. Sur le Nil, les matelots des dahabiéhs s’encouragent ainsi de refrains monotones, soit qu’il faille pousser les gaffes ou manœuvrer les avirons.
Le Béhérah est un vaillant navire ; ce sauvetage si heureusement accompli en est un éclatant témoignage. Bien qu’il porte le pavillon ottoman, il est de construction anglaise. Il a une machine puissante comme il convient à sa masse vraiment imposante. Au reste, le commandant s’empresse à nous célébrer les mérites de son vaisseau. La frégate russe n’est pas la première que le Béhérah sauve d’un mauvais pas ; il coule aussi à l’occasion les paquebots trop lents à lui faire place, mais il les coule proprement, en toute aisance, avec grâce.
Quelques jours avant mon arrivée en Grèce, un abordage avait eu lieu près du cap Matapan. L’ Agrigento , paquebot italien, heurté par un paquebot anglais, avait coulé bas, trente-quatre personnes avaient péri. Le paquebot anglais, fort avarié lui-même, avait pu gagner le Pirée, mais non sans s’être allégé, en jetant à la mer une partie de son chargement. Interné, mis sous séquestre, jusqu’au jour où une enquête judiciaire aurait décidé à qui incombait la responsabilité de la catastrophe, le paquebot enfonceur se trouvait ancré dans le port et montrait à son avant une blessure toute béante. – « Mauvais navire, disait notre commandant, il ne peut crever les autres sans se crever lui-même, à demi. Le Béhérah ! à la bonne heure ! il crève, il coule les autres, mais sans jamais se faire une écorchure. – C’est bien agréable pour les autres, » ajouta un passager en manière de conclusion.
Le Béhérah présentait un curieux assemblage d