L'Enfant bonsaï , livre ebook

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On est dans les années soixante, dans une ville ouvrière. Les parents sont tout-puissants, les enfants ne sont pas considérés, un prof est intouchable... « L'enfant bonsaï » c'est Colette, née de père inconnu, placée dans une famille d'accueil. Quand sa mère vient la récupérer à six ans, c'est un long cauchemar qui commence. Cette femme libre, prof appréciée, souffre de problèmes psychologiques. Elle prend sa fille en grippe. L'arrivée d'un amant va décupler sa perversité et sa violence... En retraçant son calvaire, Colette retrouve l'enfant qu'elle a été, pleine de vie, d'imagination et de courage. Elle pointe aussi les conséquences de ces années terribles sur sa vie d'adulte, tente de comprendre la folie de sa mère et s'interroge sur le silence coupable de l'entourage.

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Publié par

Date de parution

08 novembre 2016

Nombre de lectures

0

EAN13

9782342057737

Langue

Français

L'Enfant bonsaï
Colette Bacro
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
L'Enfant bonsaï
 
L’adversité agit différemment selon les individus, un peu comme la chaleur qui fait tourner le lait et fait mûrir les pommes…
Prime enfance
Avant le jour J, je n’ai que peu de souvenirs. Ce ne sont d’abord que des images claires et précises, à hauteur de mes yeux d’enfant de trois ou quatre ans : un gros bâton qui pend au cou d’une vache et frappe ses articulations noueuses avec un bruit qui me fait mal ; une grille en fonte posée par-dessus un fossé, l’objet que j’ai laissé tomber est passé au travers, je ne vois que de la paille et de la bouse ; des poules que je veux caresser mais qui m’attaquent parce que je leur apporte du grain…
 
Après quatre ans, ce sont de petites séquences qui me restent. De pur plaisir, comme celle-ci. Je suis avec d’autres enfants, nous passons en carriole sous un cerisier, un grand garçon descend jusqu’à nous une branche chargée de cerises. Comme nous n’arrivons pas à les cueillir assez vite, il la coupe et la dépose en travers de nos genoux.
Je me souviens aussi d’une retraite aux flambeaux. C’est beau et impressionnant dans le noir. Je suis fière, c’est la première fois que je sors la nuit et que je m’approche d’un feu.
Un autre joli moment, sensuel : la foule lance des pétales de roses sur le cortège blanc des communiants. Je plonge ma main dans la corbeille, dans la fraîcheur odorante des pétales et ne me résous pas à les jeter.
Des moments de souffrance m’ont marquée aussi, comme l’épisode de la rougeole. Je suis assise sur le pot. Bouillante de fièvre, je pleure et ne veux pas boire un médicament dans ma timbale d’argent qui se découpe sur fond de parquet. Je sens l’atmosphère globale de la chambre, partagée avec d’autres enfants et aussi la tendresse dont on m’entoure.
Le moins glorieux de mes souvenirs : j’ai « fait caca à la culotte » et on m’en barbouille la figure. Je trouve cette punition humiliante et dégoûtante. Je ne supporterai plus jamais la couleur marron.
Le plus glorieux, même s’il déclenche en général l’hilarité quand je le raconte, c’est « mon accident de trottinette ». J’ai cinq ans. Je me prends pour Fangio, avec ma trottinette rouge. Je bute contre une grille proéminente cachant un point d’eau et tombe la tête la première sur un boulon rouillé. C’est la première fois que je vois du sang. Fascinée, je regarde les gouttes qui tombent de mon menton et font un dessin brun rouge sur la terre. Les autres enfants crient « Mamie ! Mamie ! Colette saigne ! » Je sens leur panique. J’aurais dit alors, de façon mélodramatique : « je crois que je vais mourir. » C’est le médecin de famille qui me fait des points de suture. Il a une barbiche et d’épaisses chaussettes montantes de montagnard. Il me fait peur, je ne suis pas habituée à voir des hommes d’aussi près.
 
Mamie, c’est notre nourrice. Les enfants, ce sont Alain, Fanfan et Mimi. Mimi est handicapée mentale, elle a des lunettes aux verres en culs-de-bouteille. Il y a aussi les deux nièces de notre nourrice, qui habitent l’autre partie de la maison avec leur famille. Je suis la plus jeune. À cause de ces souvenirs campagnards, j’ai cru pendant de longues années avoir vécu dans une ferme. En fait, il s’agit d’une grande et belle maison à l’architecture élégante dans un parc magnifiquement arboré. Ma mamie est une jeune femme « de bonne famille » comme on le dit à l’époque, qui a décidé de ne pas se marier et d’élever des enfants abandonnés ou brutalisés. La plupart sont issus de familles bourgeoises désireuses de cacher leurs bâtards. Je cumule les deux cas de figure. Née de père inconnu, je n’ai pas été abandonnée mais « placée », à environ dix mois, après un empoisonnement qui m’a valu des soins intensifs à l’hôpital. Un conseil de famille a jugé ma mère immature, incapable de s’occuper de moi.
 
Le jour J, c’est le jour où ma mère est venue me récupérer.
 
Mamie m’a bien dit que la jeune dame brune qui était apparue un jour avec des cadeaux pour tout le monde est ma mère. Qu’elle va venir me chercher, que vivre avec sa maman, c’est une chance que n’auront pas les autres. Elle a prononcé plusieurs fois le mot « maman ». Ma mamie est vraiment heureuse pour moi et veut que les autres enfants le soient. Ils le sont. Aussi, quand elle me demande de faire un dessin pour ma mère, j’y mets toute mon âme, pour leur faire plaisir à tous. Je dessine des personnages colorés faisant une ronde. Ce dessin exceptionnel pour une enfant de mon âge – même pas six ans – ma mamie le montre fièrement à plein de gens.
 
Ce jour d’août 1958, ma mère m’arrache à ma famille. Oui, j’ai une famille : une mamie, un frère et deux sœurs, des cousines et même une grand-mère, la mère de ma mamie. Je suis une enfant heureuse. Il n’existe qu’une photo de moi, qui respire le bonheur. Je suis une petite blonde potelée aux cheveux longs légèrement bouclés, aux yeux pétillants, au sourire craquant.
Ce jour d’août 1958, ma mère me tire hors de ma bulle et me catapulte dans un monde inconnu. Elle n’a pas envie de me reprendre, après cinq ans d’une liberté dont elle a bien profité, taisant mon existence à ses nouvelles connaissances, mais elle a subi des pressions familiales. Les études, c’est sacré, et j’ai l’âge du cours préparatoire. Ma mère est professeur. Elle a demandé un poste près de Toulouse, car ses grands-parents ont de graves problèmes de santé. Elle a été mutée dans une petite ville minière du Tarn, à 90 km. C’est à Carmaux que nous allons.
 
J’ai froid. Pourtant, je porte le gilet bleu en mohair qu’elle m’a tricoté et qui me gratte malgré ses poils doux. Ma peau sèche ne supporte pas la laine, j’ai des dartres un peu partout. Ma mamie le sait, pas elle.
J’ai peur dans le train qui tangue et fait du bruit quand je suis debout. Les toilettes me terrifient. Le trou béant est noir et j’y entends le bruit rythmé des roues sur les rails.
 
C’est le train de Tarbes à Toulouse, où nous allons faire halte chez mes arrière-grands-parents.
 
Je suis fatiguée, hagarde, plantée dans une pièce sombre où trône un monsieur assis derrière une lourde table. Il me terrorise avec sa grande moustache grise, ses sourcils noirs touffus et sa voix énorme, comme lui. Je sens qu’il essaie d’être gentil, de rendre sa voix douce mais c’est pire. Il y a une vieille dame aussi, qui m’observe en silence et reste à distance. J’ai suivi ma mère toute la journée sans me plaindre, mais quand elle veut me coucher dans une pièce immense à l’autre bout du couloir pour pouvoir discuter avec eux, j’éclate en sanglots.
 
Je viens de dire adieu à l’enfance. À partir de ce jour, je vais connaître l’insécurité, la peur, la solitude. Mon cerveau n’arrêtera plus de travailler pour sauver ma peau et ma mémoire va crouler sous les souvenirs, de plus en plus forts, de plus en plus clairs, de plus en plus terribles.
Un arbre généalogique asymétrique

J’ai toujours été attirée par les arbres généalogiques. Les branches en sont plus ou moins fournies, certaines ne se ramifient pas. S’il y a des anomalies dans la géométrie d’un arbre, ce n’est pas grave, les générations suivantes compensent. Manque de chance, le mien est un arbre généa-illogique. Il est maigrichon, du fait des enfants uniques sur plusieurs générations, mais ce n’est pas tout : je suis pendue à une brindille solitaire, elle-même accrochée à une branche unique entourée de bois mort. On voit au premier coup d’œil ces vides contre nature que je suis seule à pouvoir rattraper – ou pas – sur les ramées futures. Longtemps j’ai oscillé entre l’envie d’avoir beaucoup d’enfants et celle de mettre un point final à une famille aussi horrible. Au moins ai-je mis au monde un garçon et une fille, brisant avec courage le maléfice familial de l’enfant unique.
 
Par honnêteté et par souci de clarté, je dois raconter l’histoire de mes ascendants avant de raconter notre vie commune à ma mère et à moi. Il suffit de remonter à sa naissance à elle.
 
L’arrivée au monde de ma mère n’a pas été un « heureux événement ». Sa mère est morte une semaine plus tard d’une fièvre puerpérale. C’était en 1929, les antibiotiques n’étaient pas encore au point, la psychologie non plus puisqu’il n’était pas rare que ma mère entende chuchoter sur son passage : « C’est la petite Anne-Marie, vous savez, celle qui a tué sa mère en naissant ! »
Louise, ma grand-mère, avait 22 ans. C’était un être d’exception. Pianiste et dessinatrice douée, elle était professeur d’anglais. Elle adorait rire et vivait un grand amour avec Roger, mon grand-père, 33 ans, polytechnicien, militaire de carrière. Elle était de Toulouse, il était de Bordeaux et c’est grâce à un orchestre militaire dont il était le chef, qu’ils s’étaient rencontrés. On ne parlera plus jamais de cette jeune morte dans la famille, ça ne se faisait pas.
 
Il n’y avait pas de papas-poules entre les deux guerres, encore moins chez les militaires ! Roger a laissé sa fille Anne-Marie aux parents de sa femme, encore jeunes, qui l’ont choyée. Il s’est remarié quelques années plus tard avec Jeanne, de quinze ans sa cadette. Sa deuxième épouse avait rencontré la première quand elle était adolescente. À cette occasion, elles avaient joué une sonate à quatre mains. Traumatisés par la mort de Louise, Roger et Jeanne ne voulaient pas d’enfant mais une petite Marie-Claire leur est arrivée quelques années plus tard.
Ma mère, qui avait huit ans, s’est sentie détrônée. Elle est devenue une « enfant diffici

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