Fratigraphie ou une enfance sans défense , livre ebook

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« Guillaume avait un avantage sur moi, bien sûr, il était plus grand et connaissait mille choses, mais surtout il parlait deux langues : le français et notre langue. Moi, par contre, je ne connaissais que notre langue, c'est pour cela qu'ils ne m'ont pas acceptée lorsque Paula m'a accompagnée pour mon premier jour d'école. D'ailleurs, est-ce bien Paula qui m'a accompagnée ? Je ne saurais le dire. » Frère et sœur, Guillaume Koull et Marion Duciel Koull ont entrepris un travail d'écriture alternée, de nature autobiographique, qui se veut une contribution à leur patrimoine familial, mais aussi un témoignage troublant sur une époque, les années 1960-80, et un milieu, la gauche libertaire, qui malgré ses nobles idéaux en a laissé plus d'un sur le carreau ! Dans cette « Fratigraphie », chacun raconte librement, à sa façon et convenance, son enfance et sa jeunesse jusqu'à la naissance de ses enfants, avant de faire le point aujourd'hui sur tout ce vécu, en forme d'épilogue un quart de siècle plus tard. Ce récit présente le témoignage d'une démarche de résilience face aux abus de toutes natures dont les auteurs ont été victimes dans leur enfance.

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Date de parution

18 mars 2016

Nombre de lectures

0

EAN13

9782342049763

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

Fratigraphie ou une enfance sans défense
Marion Duciel Koull - Guillaume Koull
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Fratigraphie ou une enfance sans défense
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
 
 
À nos enfants, Loriane, Jérémie, Josué, Aline, Zoé et Léo
 
 
 
Pour des raisons de discrétion, tous les prénoms et noms sont fictifs hormis ceux de Guillaume et Marion ainsi que ceux de leurs enfants.
 
 
 
 
 
 
 
 
I. Introduction
 
 
 
       
Préambule
Nous avons entrepris, en tant que frère et sœur, un travail de nature autobiographique, qui se veut une contribution à notre patrimoine familial, mais aussi un témoignage sur une époque, les années 1960-80, et un milieu, la gauche libertaire, qui malgré ses nobles idéaux en a laissé plus d’un sur le carreau ! Il faut donc aussi y voir une démarche de résilience face aux abus de toute nature dont nous avons été victimes au cours de notre jeunesse.
 
Les textes qui vous sont présentés ont été rédigés pendant presque six ans : d’abord chacun de notre côté jusqu’à ce que nous réalisions par le hasard des discussions que nous écrivions tous deux sur notre enfance à l’intention de nos propres enfants. Nous avons dès lors choisi de réunir nos efforts et d’en faire un projet commun pour lequel un nom de code s’est rapidement imposé : Fratigraphies . Ce néologisme, bien qu’absent des dictionnaires, exprime de lui-même l’idée d’une écriture partagée entre frère et sœur.
 
Encore nous fallait-il trouver une forme et définir des limites : nous avons convenu de nous arrêter à la naissance de nos enfants respectifs, il y a environ 25 ans de cela, et de compléter nos souvenirs par un épilogue permettant d’établir le lien avec notre vie actuelle.
 
Nous nous sommes longuement interrogés sur la façon de présenter nos textes : le plus simple pour la cohérence narrative et stylistique eût été de regrouper nos textes par auteur, et de proposer deux parties distinctes pour nos Fratigraphies . Mais cette solution allait à l’encontre de notre projet qui souhaitait mettre en évidence le parcours croisé de nos deux vies : les évènements qui nous ont rapprochés et les moments où nous avons chacun pris nos distances. Nous avons finalement opté, dans la mesure du possible, pour une présentation suivant la chronologie des évènements évoqués. En souhaitant que ce choix fasse ressortir ce très fort lien qui nous a unis en tant que frère et sœur. La plupart des chapitres constituant des unités autonomes, il vous est toutefois possible de constituer votre propre parcours de lecture, en vous aidant si besoin est, de la table des matières située à la fin de cet ouvrage.
 
Nous avons conservé une abondante iconographie, ainsi que de nombreux documents manuscrits, en rapport avec notre histoire familiale. Il nous était toutefois difficile de tous les reproduire ici.
Petite mise en perspective sociohistorique
Afin de mieux comprendre le contenu de certains de nos récits, il nous a semblé utile d’apporter en introduction quelques précisions sur le contexte historique et l’environnement socioculturel dans lequel nous avons grandi.
 
Nous ne voulons pas refaire ici le travail des historiens des années 1960-70, mais juste évoquer quelques traits marquants de cette époque si différente de celle d’aujourd’hui :
- Politiquement, le monde est divisé en deux : les pays capitalistes et les pays communistes , séparés par un omniprésent et redoutable rideau de fer dont la plus célèbre représentation est le mur de Berlin. Il y a aussi ce que l’on appelait alors le Tiers-monde dont les deux blocs capitalistes et communistes se disputent âprement les richesses naturelles et/ou stratégiques en y finançant des guerres postcoloniales (Biafra, Vietnam, Liban) et en suscitant de nombreuses manifestations ;
- Sociologiquement , les femmes tentent de se libérer de siècles de domination masculine et créent leur mouvement de libération, le MLF. La toute nouvelle pilule contraceptive et le droit à l’avortement constituent des éléments déterminants pour leur émancipation ;
- À la fin des années 1960, la contestation prend une ampleur jamais atteinte depuis la dernière guerre mondiale et se pare de multiples formes : pacifiste (le mouvement hippie), engagée (le mouvement étudiant de Mai 68) ou terroriste (Organisation de libération de la Palestine).
Comment nos parents, Paula et Paul, se positionnaient-ils dans ce grand remue-ménage des années 70 ?
 
Politiquement, ils étaient très engagés dans l’extrême gauche. Paula et Paul ont été membres du parti communiste, avant d’en être exclus en 1969 pour dissidence. Ils ont alors fondé avec quelques camarades la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR). Les membres de cette association croyaient dur comme fer au Grand Soir, autrement dit à une révolution qui allait changer de fond en comble notre société et mettre fin aux inégalités. La LMR exigeait de ses militants un investissement très important : cours de formation, multiples assemblées, participation à des actions dans la rue ou dans les entreprises. Le militantisme actif avait la priorité sur tout le reste, et notamment sur la vie de famille.

Paula et Paul ont aussi été des apôtres zélés de la libération des mœurs : tous deux ont vécu à cette époque une sexualité, disons… très ouverte. Et surtout sans respect pour la pudeur de leurs enfants et les conséquences possibles sur leur bien-être et leur développement selon nos critères actuels. Mais ils n’étaient probablement pas une exception : c’était dans l’air du temps !
 
Cela dit, il faut porter au crédit de nos parents de nous avoir offert une liberté et une indépendance peu communes pour des enfants de notre âge, favorisant un apprentissage rapide de la débrouillardise en toute circonstance. Nous avons aussi largement profité du haut niveau culturel de nos parents : Paula était enseignante (français/histoire) au collège et Paul libraire-disquaire, puis journaliste, avant de se consacrer à plein temps à la LMR. Nous avons vécu notre enfance, entourés de bibliothèques abondamment garnies, et les musiques de tout genre (jazz, classique, chanson) résonnaient en continu des haut-parleurs. Enfin, et c’est peut-être le plus important, nos appartements furent le lieu privilégié d’innombrables rencontres, les amis d’un jour ou de toujours, ne cessant de s’y retrouver.
 
En résumé, nous pouvons considérer que Marion et moi sommes issus de la classe moyenne (ni pauvre ni riche), mais avons été élevés dans un milieu et selon des principes anticonformistes (jamais nous n’aurions appelé nos parents « papa » et « maman » !), et bien entendu totalement athées. Nous avons profité d’une double culture, à la fois bourgeoise et classique, mais aussi révolutionnaire, nous imposant une remise en question permanente des valeurs de la société dans laquelle nous vivions.
 
 
 
II. Enfance
 
 
 


Qui étais-je ?
Qui étais-je ?
Quel genre de petite fille ?
Ma mémoire a-t-elle été volée ?
Par qui ?
Ou… était-ce pour me protéger de souvenirs trop douloureux ?
Je ne sais pas.
Pas de souvenir vivant, pas de souvenir réel.
Seules quelques anecdotes, racontées par mes cousins et une poignée d’amis proches de la famille, ont laissé une trace de la petite fille que j’ai été, toujours accompagnée de son grand frère.
Mon premier jour d’école ? Oublié.
Je devais avoir cinq ans et déjà je n’y avais pas ma place. J’ai seulement su que je n’avais pas été acceptée, car je ne parlais pas. Pas français.
Si je réfléchis, mon premier souvenir de ce jour semble être la peur, la terreur de louper mon petit bus rien que pour moi qui devait s’arrêter à Béthusy pour m’emmener dans une partie inconnue de la ville. Dans une école « spéciale ».
Pas d’ami, pas de petit copain, pas de souvenir. Une page blanche, avec pour tout repère les quelques informations glanées de-ci, de-là.
Des fois, le soir, Paula, ma mère, était près de moi, la langue tirée, droite, ou en cuvette, ou encore remontant vers le nez. C’était bon. C’était des moments juste pour nous deux. Trop rares.
Pourquoi ces exercices ?
Je l’ai appris bien plus tard, par Marjorie, de quatre ans mon aînée, fille de Jacqueline, amie de Paula et Paul, mes parents.
Ces exercices avaient pour but de m’aider à m’approprier les bons mouvements de la langue qui feraient que les sons qui sortiraient de ma bouche seraient du français et non plus cette langue « à part », fruit de ma relation particulièrement étroite avec Guillaume.
 
Dans mon isolement, dans notre isolement, ma seule bouée, ma seule lumière, mon seul repère était Guillaume, mon frère aîné.
J’ai entendu que j’étais une petite fille jolie, un peu sauvageonne, coquine, quand elle se sentait en confiance ; deux tresses châtain allongeaient son visage d’enfant. Des yeux clairs, quelques taches de rousseur sur son nez toujours pelé en été. Vêtue simplement, souvent de vêtements achetés à l’Armée du salut. D’ailleurs, à l’Armée du salut, ça sentait toujours le vieux et… ça lui donnait envie d’aller aux toilettes ! Pas facile dans ce vieux magasin !
Cette petite fille ne parlait pas. Ou plutôt, ce qu’elle disait n’était pas compréhensible : elle ne parlait pas français. Son frère était toujours là, se faisant son intermédiaire, son interprète. Lui savait. L

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