124
pages
Français
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2022
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Ebook
2022
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Publié par
Date de parution
04 octobre 2022
Nombre de lectures
1
EAN13
9782383512233
Langue
Français
Chères lectrices, chers lecteurs,
Simple curieux, amis, connaissances, inconnus,
Vous voilà dans mon intimité la plus stricte. Alors vous me direz, pourquoi cet entre-soi ?
Si j’écris ces lignes, c’est que la rumeur a peur du solennel, elle n’est pas à l’épreuve des faits. Beaucoup de changements dans ma vie me conduisent cette année à écrire en lettre capitale. Il est bien un lieu où mieux qu’un confessionnal, entre quatre oreilles, et deux paires d’yeux, l’on peut délivrer la partie la plus mûre de soi. Je ne pense pas à un lieu fait de rubriques et de pub où les voyeurismes sont légion, mais bien un lieu de vérité, comme le livre.
Ici, il ne sera pas question de regrets, mais de franchise. Beaucoup parlent de moi, alors, enfin, je veux faire entendre ma voix.
Ainsi, tout fait concordant avec la réalité n’est plus tout à fait fortuit.
Publié par
Date de parution
04 octobre 2022
Nombre de lectures
1
EAN13
9782383512233
Langue
Français
En vérité
La SAS 2C4L — NOMBRE7, ainsi que tous les prestataires de production participant à la réalisation de cet ouvrage ne sauraient être tenus pour responsables de quelque manière que ce soit, du contenu en général, de la portée du contenu du texte, ni de la teneur de certains propos en particulier, contenus dans cet ouvrage ni dans quelque ouvrage qu’ils produisent à la demande et pour le compte d’un auteur ou d’un éditeur tiers, qui en endosse la pleine et entière responsabilité.
Alain Moula, Jordan Cluze Lavinia Palmart
En vérité
La Capitale du Gard
Sortie du TGV, les portes de la gare franchies, la douceur du Gard Rhodanien nous tombe sur les épaules avec une heureuse accolade. Le Sud historique nous ouvre enfin les bras ! Nîmes la Romaine, ou la Gauloise, pour les intimes.
Le dernier coup de fil que nous avions reçu avait donné des indications claires : « Montez l’Esplanade, continuez sur la droite en passant devant la fontaine Pradier, passez derrière le Carrousel, allez au fond du Square de la Couronne, derrière la statue Daudet, vous verrez la devanture, c’est pas très connu mais très facile ». Et en effet, c’était le cas.
Nous avions eu le loisir d’entendre différents récits en ce qui concernait notre rendez-vous. Des événements rapportés par des connaissances, des connaissances de connaissances, des témoins qui se partageaient la réalité des faits. En d’autres termes, beaucoup de rumeurs avec peu de certitudes. Une chose était sûre : il était connu avec plus ou moins d’authenticité, pour lui reconnaître une vie nocturne démocratisée, un titre honorifique d’entrepreneur, quelques légendes urbaines, en somme, de quoi nourrir un roman.
Un coup d’œil lointain sur les arènes entourées de ses bars et de son matador figé, notre progression se fait rapidement. Le petit carrousel est bien là, à entretenir les éclats de joie sur le début de la placette, avec en son centre la statue d’Alphonse Daudet. Juste en face, la façade d’un ancien hôtel étale une modeste présence, et pourtant à en juger par sa plaque mordorée, que n’avait-elle pas abrité ! Les amours contrariés d’un certain Apollinaire et de Lou. Des hôtels parisiens aimeraient pouvoir en dire autant, vous pouvez me croire. Les places du restaurant en contrebas sont pleines et ombragées par des platanes, c’est ici, au milieu de ce décor que doit se trouver notre loup blanc.
En effet, le monde se bouscule sur le square de la Couronne. Au milieu de l’émoi provoqué par le zénith, une main surgit de l’apnée de la foule ; nous sommes facilement identifiables, ainsi chargés de nos sacoches en mousse noire. La rumeur gracile que nous rencontrons en chemise surmontée d’un gilet cintré, avait pris forme, de chair et d’os, l’homme était habillé. Son regard assorti au ciel accompagnait le sourire solaire qui nous accueillait aussi chaleureusement que la météo.
L’effervescence du service s’accroît au fur et à mesure de notre approche, cliquetis de fourchettes, tintement de verres fraîchement servis, serveurs sur le qui-vive, maître d’hôtel aux tempes poivre-sel orchestrant l’activité avec une rigueur de métronome. Le restaurant à un aspect moderne et chic, un type au piano joue une musique d’ambiance, il a l’air d’être réglé sur le tempo du personnel, pas une note de trop, pile là où on l’attend.
Le patron laisse la mesure à son personnel qui assumera le reste de l’après-midi, et nous serpentons dans le restaurant jusqu’au bureau de l’intéressé, pour échapper au bruit. Les premières cordialités balbutiées, le ton est tout de suite donné, alors qu’on ose débuter avec un « Monsieur Moula ».
— On fait tout simple, hein, c’est Alain et on se tutoie si ça ne vous dérange pas, dit-il en s’installant en face de nous. Nous gagnerons un précieux temps !
La première mise à l’aise fonctionne plutôt bien, et nous pouvons nous installer confortablement, en déballant nos outils, ordinateurs, enregistreur, qu’on coince entre les hors-d’œuvre, carafe d’eau, et café à disposition.
— Alors, pourquoi tu penses à écrire ton histoire ? commençons-nous pour faire le lien entre le dernier appel téléphonique et l’instant.
Il se lève avant de répondre, tire vers lui les tasses, avec une gestuelle d’habitude.
— Eh bien, je suis un homme de tradition et comme le dit l’adage : les écrits restent et les paroles s’envolent, attaque-t-il sans modération en servant le café. Je voudrais écrire un livre vivant, comme je vous l’ai déjà expliqué. Un livre, avant tout, qui a la confidence à cœur, mais pas le voyeurisme d’un magazine people.
— Cet écrit est donc un moyen de conjurer quelque chose pour toi ? essayons-nous, afin de pousser la réflexion.
— Écoute, ça fait des années que je suis face à un homme que je ne reconnais pas. Ça fait des années que je croise dans le miroir une personne qui m’est familière, et une autre qui appartient à une entité publique. Cela fait des années que je suis plus une rumeur qu’un homme.
Il s’arrête un instant, considère la madeleine qu’il tient entre ses doigts, et jette un coup d’œil sur les trois tasses de café posées devant nous.
— Tu vois, c’est comme cette madeleine. Elle est bien ronde, bien dorée, bien moelleuse. Il suffit que tu la trempes dans le café pour lui retirer toute sa nature, pour la rendre amère et spongieuse. Ma personnalité a trop longtemps détrempé dans cette bile noire et on m’a entouré de cette amertume. Enfin ! finit-il par lâcher avec bonhomie, Nimes j’y suis né, j’y ai ouvert toutes mes entreprises, mes enfants sont nés ici aussi. Beaucoup parlent de moi, alors, je veux faire entendre ma voix, et offrir au passage un digne éloge à cette ville.
— Une vie, c’est une histoire, et si les rumeurs sont intéressantes pour certains, la vérité à des chances de l’être tout autant.
— Je ne peux pas le prétendre, même si je l’espère. Mon intention est simplement d’écrire ce livre où je laisserais une partie de moi passer de main en main. Je préfère que mon histoire passe de main en main, plutôt que de bouche en bouche. D’expérience, je sais que les mains sont toujours plus franches que les lèvres qui sont sujettes à la corruption. À dire vrai, je n’ai jamais détesté que l’on parle de moi, et à cette fin il arrive que je sois un sujet de comparaison ou d’indignation, mais je ne suis pas dupe, c’est avant tout parce que j’ai embrassé la chose publique avec ses quolibets et ses honneurs.
— C’est pour cette raison que tu veux te consacrer aux autres ?
— Je me suis vu grandir, je me suis vu évoluer, changer d’époque, changer de caractère. Je peux pas dire que j’ai été un modèle, parce que j’avais vraiment un sale caractère, je n’ai pas toujours fait les choses comme il faut. Mais ce qui me motive à faire ce livre comme ce qui me motive à accompagner ceux qui le veulent, c’est surtout la maturité que j’ai acquise. Je me rends compte que j’ai longtemps été… un espèce d’adolescent en colère.
— Quand penses-tu avoir atteint ta véritable maturité ?
La question lui fait lever les yeux avec un rictus surpris et intéressé.
— C’est une bonne question. Il y a trois ou quatre ans, tout au plus. Aux alentours de 2018. Après des années de Programmation Neuro-Linguistique, je pense que je n’ai jamais été aussi bien qu’aujourd’hui. Et cela à tous les niveaux. Mentalement, professionnellement, socialement. Ça n’a pas toujours été facile, c’est clair. Pour arriver jusque-là, c’était Koh-Lanta tous les jours, conclut-il en nous emportant dans son humour sans difficulté. Le mieux, ce serait quand même de commencer par le début.
— Allons-y.
I
Une Aube, en 1956
Souvent, cette maxime me revient en tête, celle qui nous dit de croquer la vie à pleine dent. Je ne peux m’empêcher d’accuser le coup en ajoutant à voix haute « malgré quelques pépins ».
Je suis né entre deux mondes, tenu d’entretenir un grand écart avec mes racines. Je ne pouvais pas prévoir que ma naissance serait l’arène de mes premiers combats. Il faut que vous le sachiez, ma plus grande douleur, et celle qui m’aura suivi toute ma vie, était les origines kabyles de mon père.
Ma naissance poursuivie par cette culpabilité, j’étais la proie d’une honte incessante, soumis à une ombre trop grande, chargée de ronger la moitié de moi-même. Je ne voyais plus la fin de ce sentiment, qui m’a poussé à m’accrocher aux origines française et italienne de ma mère.
Elles expliquaient mes yeux verts, mes pommettes saillantes, et m’ont permis de tourner les serrures des portes qui se seraient fermées dans le spectre de « l’arabe ». Dire qu’on est arabe en France, ce n’était ni intéressant, ni recommandé, pis encore c’était être ostracisé dans ces milieux et ça, c’était conditionner tout mon potentiel à un crash imminent. Mon identité s’est solidement construite sur cette terre, sur cette loi, cette Provence que j’aime, cet accent méridional, ce soleil, cette joie de vivre. Une façon comme une autre de repousser loin de mes veines ce sang qui me répugnait, et qui faisait battre mon cœur dans le mauvais sens.
D’un œil coupable, je regardais mon père revenir de ses longs voyages qu’il menait dans toutes les perpendiculaires du sud de la France, à répéter inlassablement les mêmes phrases pour vendre nougats et pralines. Je portais un fardeau dégoulinant de sucreries et d’un accent venu de l’autre côté de la mer, qui me faisait traîner les pieds et courber l’échine. Je ne saurais dire comment j’ai compris que ce père n’était pas celui que la France voulait que j’ai. La bouche tordue de honte, l’air interdit, la cour d’école était le lieu du silence, où mes origines d’arabe, de forain, et de pauvre, étaient tues. Les complexes grandissant, les copains d’école vivaient dans l’ignorance, et ne connaissaient d’Alain Moula que le garnement que j’étais, friand de bêtises, sans savoir que je nourrissais une tout autre faim de révolté.
En ce temps ma mère suivait le calendrier de mon père et travaillait avec lui,