Citoyen du monde : Mémoires
378 pages
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Citoyen du monde : Mémoires , livre ebook

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Description

« Où suis-je chez moi ? » Les foyers d’Amartya Sen sont multiples : Dacca, la capitale du Bangladesh actuel, Santiniketan, la petite ville universitaire où il a été élevé avec ses grands-parents, Calcutta où il s’est initié à l’économie et s’est frotté au militantisme étudiant, mais aussi Trinity College, à Cambridge, où il est arrivé à l’âge de 19 ans. Amartya Sen recrée avec brio l’atmosphère de chacun de ces lieux. Au cœur de sa formation se trouvent l’école de Santiniketan, formidable lieu de libération intellectuelle fondé par le poète et écrivain Rabindranath Tagore (à qui il doit son prénom), et les intenses débats auxquels il participe dans le café de College Street, à Calcutta. À Cambridge, il fréquente les plus grands économistes et philosophes de l’époque, notamment le penseur marxiste Piero Sraffa, qui l’introduit à la pensée de Wittgenstein. Ses mémoires montrent comment ces expériences ont façonné les idées et l’œuvre d’Amartya Sen sur l’économie, la philosophie, l’identité, les famines, les inégalités de genre, le choix social et la puissance du débat public. Il se nourrit des plus grands penseurs : d’Ashoka, au IIIe siècle avant notre ère, à David Hume, Adam Smith, Karl Marx, John Maynard Keynes, Maurice Dobb, Kenneth Arrow et Eric Hobsbawm. Il souligne l’importance de s’ouvrir au monde, de savoir faire preuve de compassion et de compréhension au-delà des époques et des frontières, et de considérer que le monde est notre maison. « Sen est l’un des grands esprits du XXe et du XXIe siècle. Notre dette à son égard est immense. » Nicholas Stern « Les pauvres et les déshérités du monde entier ne pourraient trouver défenseur plus clair et plus pénétrant. » Kofi Annan Amartya Sen occupe la chaire Thomas W. Lamont à l’Université Harvard, où il est également professeur d’économie et de philosophie. Il a été master de Trinity College, à Cambridge, entre 1998 et 2004 et lauréat du prix Nobel d’économie en 1998. Ses nombreux ouvrages ont été traduits dans plus de quarante langues. Aux éditions Odile Jacob, il a publié Un nouveau modèle économique et Rationalité et liberté en économie, ainsi que L’Inde. Histoire, culture et identité et Identité et violence. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 14 septembre 2022
Nombre de lectures 11
EAN13 9782415002725
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Original English language edition first published in 2021 in Great Britain as Home in the World by Allen Lane, an imprint of Penguin Press. Penguin Press is part of the Penguin Random House group of companies. Copyright © Amartya Sen 2021 The author has asserted his moral rights All rights reserved
Cet ouvrage a été publié originellement par Allen Lane, an imprint of Penguin Books sous le titre : Home in the World. A Memoir.
Pour la traduction française :
© Odile Jacob, septembre 2022
15, rue Soufflot, 75005 Paris
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-4150-0272-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Pour Emma.
Note sur l’orthographe des mots sanskrits

En règle générale, je me suis abstenu d’utiliser les signes diacritiques du sanskrit, exception faite des citations empruntées à d’autres auteurs. Leur complication peut en effet décourager les lecteurs qui n’en sont pas familiers. Ils peuvent aussi se révéler trompeurs pour ceux qui ont appris l’alphabet dans la langue anglaise. Il est difficile, par exemple, de convaincre un lecteur que calk (la craie) est une manière correcte d’évoquer ce avec quoi nous écrivons sur un tableau noir, et qui s’écrit et se prononce d’ordinaire chalk en anglais. J’ai donc essayé de transcrire les mots sanskrits de façon à me rapprocher de la transcription ordinaire de la prononciation anglaise. Même si cette solution n’est pas parfaite, elle peut fonctionner avec un peu d’attention.
Préface

L’un de mes premiers souvenirs d’enfance est d’avoir été réveillé par la sirène tonitruante d’un bateau. J’allais avoir 3 ans et je me suis redressé dans mon lit avec inquiétude avant d’être rassuré par mes parents : tout allait bien, et nous naviguions entre Calcutta et Rangoon, dans le golfe du Bengale. Mon père, qui enseignait la chimie à l’Université de Dacca dans ce qui était alors le Bangladesh, avait obtenu un poste de professeur invité à Mandalay pour une période de trois ans. Lorsque la sirène m’avait réveillé, notre bateau venait tout juste de parcourir les quelque 150 kilomètres qui séparent Calcutta de la mer le long du Gange (en ce temps-là, le port de Calcutta accueillait encore de gros navires). Mon père m’avait expliqué que nous allions voguer en pleine mer jusqu’à Rangoon, pour une traversée qui devait durer deux jours. Bien évidemment, je ne savais pas à quoi ressemblerait ce voyage en mer et je ne savais d’ailleurs pas comment les gens voyageaient d’un point à un autre, mais je n’en ai pas moins eu le sentiment de vivre une aventure, pressentant que c’était un moment important et inédit. Les eaux du golfe du Bengale, d’un bleu profond, semblaient tout droit sorties de la lampe d’Aladin.
Presque tous mes premiers souvenirs sont liés à la Birmanie, où nous avons passé un peu plus de trois ans. Certaines des choses dont je me souviens existent pour de bon, comme le magnifique palais de Mandalay, entouré de douves, ou encore les paysages le long de l’Irrawaddy et les élégantes pagodes que l’on croisait un peu partout. Mais le souvenir que j’ai de Mandalay ne correspond sans doute pas au tableau qu’en brossent ceux qui la présentent comme une ville très poussiéreuse, et la beauté frappante de notre maison typiquement birmane était sans doute, j’en ai peur, exagérée par l’attachement que j’avais pour elle. Le fait est que je n’aurais pu être plus heureux.
J’ai toujours voyagé. Après mon enfance en Birmanie, je suis retourné à Dacca avant de repartir assez rapidement pour vivre et étudier à Santiniketan, où Rabindranath Tagore, le poète visionnaire, avait fondé son école expérimentale. Il eut une grande influence sur moi comme sur ma famille. Le titre de mes mémoires est inspiré par son livre La Maison et le monde et reflète cette influence.
Après dix années captivantes passées dans l’école de Tagore à Santiniketan, je suis allé à Calcutta pour mes études secondaires. J’y ai eu d’excellents professeurs et camarades de classe avec qui je complétais souvent le travail effectué au lycée par des discussions animées au café du coin. De Calcutta, je suis allé en Angleterre, à Cambridge, où je suis arrivé au terme d’un autre voyage en bateau, cette fois de Bombay à Londres. La ville de Cambridge et mon collège, Trinity, m’ont ouvert les portes de leur longue et magnifique histoire.
J’ai ensuite passé une année à enseigner au MIT, à Cambridge, dans le Massachusetts, puis à Stanford, en Californie. J’ai tenté de m’enraciner dans divers endroits avant de rentrer en Inde (en passant par Lahore et Karachi, au Pakistan) pour enseigner à l’Université de Delhi et dispenser des cours d’économie, de philosophie, de théorie des jeux, de logique mathématique et – sujet alors relativement nouveau – de théorie du choix social. Le souvenir de ces trois décennies de ma vie se termine sur les jours heureux d’un jeune enseignant dévoué pour ouvrir un nouveau chapitre, celui de la maturité.
Alors que je trouvais peu à peu mes marques à Delhi, j’ai eu le loisir de réfléchir à mes premières années et à la grande variété d’expériences qui les ont enrichies. J’ai compris qu’il y avait deux façons assez différentes de penser les civilisations du monde. La première approche est « fragmentaire », elle voit dans un certain nombre de caractéristiques les manifestations de civilisations très distinctes. Cette approche, à laquelle il faut ajouter une certaine hostilité entre les différents fragments, est devenue à la mode récemment, annonçant un « choc des civilisations » durable.
L’autre approche est « inclusive » et se concentre sur l’observation des différentes manifestations d’une seule et unique civilisation – peut-être devrait-on parler d’une civilisation mondiale – qui produit une variété de fleurs en s’appuyant sur un réseau de racines et de branches. Ce livre n’est bien évidemment pas une enquête sur ce qu’est la civilisation, mais, comme le lecteur pourra le constater, il penche du côté de la vision inclusive et non du côté de la compréhension fragmentaire de ce que le monde peut nous offrir.
Des croisades du Moyen Âge aux invasions nazies du siècle dernier, des affrontements locaux aux grandes batailles mêlant le religieux et le politique, il y a toujours eu des confrontations et des divergences, mais il y a toujours eu aussi un front uni contre les conflits. Si l’on regarde bien, on voit comment l’ouverture d’esprit peut se répandre d’un groupe à un autre et d’un pays à un autre. En voyageant, nous ne pouvons échapper aux éléments qui nous orientent vers des histoires plus vastes et plus complètes et nous ne devons jamais sous-estimer notre capacité à apprendre de l’autre.
Il peut être éminemment enrichissant et constructif d’échanger des réflexions avec nos semblables. À la fin du X e  siècle et au début du siècle suivant, le mathématicien iranien Al-Bîrunî, qui avait passé de nombreuses années en Inde, a écrit dans Tarikh al-Hind qu’apprendre des autres contribue à la paix comme au progrès du savoir. Il nous livre un merveilleux panorama des mathématiques, de l’astronomie, de la sociologie, de la philosophie et de la médecine indiennes de cette époque et nous montre la façon dont les connaissances se développent par le biais des relations amicales. L’amitié d’Al-Bîrunî pour les Indiens l’a poussé à s’intéresser aux mathématiques et aux sciences indiennes, mais elle ne l’a pas empêché de se montrer quelque peu taquin. Pour lui, les mathématiques indiennes sont très intéressantes, mais le vrai talent des intellectuels indiens est ailleurs : ils sont capables de parler avec éloquence de sujets dont ils ignorent tout.
Si j’avais ce talent en serais-je fier ? Je ne sais, mais je pourrais sans doute commencer par parler de ce que je connais. C’est ce que je tente modestement de faire dans ces mémoires, ou tout au moins d’évoquer ce dont j’ai l’expérience, que celle-ci ait débouché ou non sur la connaissance.
PREMIÈRE PARTIE
Dans la grande cour de Trinity College, autour de 1958.
I
Dacca et Mandalay

1
« À quel endroit diriez-vous que vous êtes chez vous ? », m’a un jour demandé à Londres un journaliste de la BBC avec lequel je m’apprêtais à enregistrer un entretien. Il était en train de jeter un œil à une sorte de biographie me concernant : « Vous venez de déménager d’un Cambridge à un autre – et de Harvard à Trinity –, vous avez vécu des décennies en Angleterre, mais vous êtes encore citoyen indien et j’imagine que votre passeport comporte d’innombrables visas. Alors, où êtes-vous chez vous ? » C’était en 1998, alors que je venais d’être élu Master (président) de Trinity College (c’est d’ailleurs pour cela que l’on m’interviewait). « Je me sens tout à fait chez moi en ce moment même », ai-je répondu avant d’expliquer que mes liens avec Trinity étaient des liens de longue date puisque j’y avais fait mon premier cycle universitaire, puis mon doctorat avant d’y obtenir un poste de chercheur puis d’enseignant-chercheur. Mais j’ai ensuite ajouté que je m’étais senti tout autant chez moi dans notre vieille maison près d’Harvard Square dans l’autre Cambridge, et que je me sens aussi chez moi en Inde, tout particulièrement dans la petite maison de Santiniketan où j’ai grandi et où j’aime retourner régulièrement.
« Si je comprends bien, m’a dit l’homme de la BBC, vous ne savez pas ce que c’est qu’être chez soi ! – Au contraire, ai-je

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