Trois pianistes et un intrus
204 pages
Français

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Trois pianistes et un intrus , livre ebook

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Description

Quand le jeune Antoine Costasier prend conscience dans un café parisien qu'il n'arrive plus à suivre les conversations sur la musique de ses trois amis pianistes, Camille, Paul et Alexandre, il se retrouve pris au piège de ses propres doutes et incertitudes sur le sens à donner à son existence, ce qui va bouleverser son destin et celui de toute une génération...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 juillet 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342155235
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Trois pianistes et un intrus
Sebastien Dosne
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Trois pianistes et un intrus
 
 
 
À ma famille et à mes amis.
À Alexandra.
 
 
 
 
Vous les femmes…
Julio Iglesias, 1979
 
 
 
 
Pour elle, écrire c’était résister.
Pour elle, écrire c’était s’affirmer.
Pour elle, écrire c’était vivre.
Pour elle, écrire c’était son identité.
S’il suffisait d’apprendre
S’enivrer
Sur sa montre cerclée d’argent au bracelet en cuir marron et attachée fermement à son bras gauche, la petite et la grande aiguille indiquaient déjà les cinq heures du matin ; la trotteuse battait le passage des secondes ; Notre-Dame était transpercée de flèches rouges. En rentrant du club où il avait passé la nuit entouré de ses amis pianistes, Camille, Paul et Alexandre, sur son vélo, Antoine Costasier titubait. L’alcool, brûlant, coulait dans ses veines bleues. L’haleine âcre, la bouche pâteuse, il longeait les quais de Seine, traversant le pont du Carrousel pour rejoindre la rue de Rivoli. Le froid glaçait son corps. L’écharpe en laine rouge qu’il avait enroulée autour du cou ne lui permettait pas de garder sa gorge au chaud. Ses mains, rougies, tenaient fermement le guidon. Dans sa veste de velours marron, son pantalon flanelle et ses petites chaussures en daim, Antoine ne rêvait que d’une chose : vomir de tout son être dans l’évier en métal de la chambre de bonne qu’il habitait, le mélange aigre de liquides alcoolisés. Il avait mal au ventre. Son cœur battait fort. Les effluves qu’il sentait remonter jusqu’à sa bouche lui donnaient mal à la tête. Il fallait, malgré tout, trouver la force de pédaler devant le Louvre gris dont la pyramide céleste vitrifiée s’élevait, impassible, au milieu de la nuit parisienne, longer la rue de Rivoli et remonter le boulevard Malesherbes pour atteindre son chez-soi.
Sur les pavés mal agencés de la place de la Concorde, le vélo peinait à avancer. Les remontées d’alcool se faisaient de plus en plus fréquentes. Le mal de tête d’Antoine empirait. La fatigue se mêlait aux derniers relents d’énergie que l’alcool alimentait ; les braises brûlantes d’un feu de bois. Pour se redonner du courage, gravir l’immense boulevard, ce qui lui paraissait plus dur que l’ascension du mont Blanc, Antoine chanta. Il se remémora les paroles d’un chant de résistance que lui fredonnait son grand-père, parfois, quand il était enfant, avant de s’endormir. « Ami, entends-tu le vol noir du corbeau sur nos plaines ? Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ? » Antoine chantait fort. Seuls les vrombissements des quelques motocyclettes qui remontaient aussi venaient perturber l’élévation du chant dans la nuit. Il s’accrochait à la montée, allant puiser les dernières forces qui lui restaient dans les muscles fermes de ses jambes. « Ohé ! Partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme. Ce soir l’ennemi, connaîtra le prix du sang et des larmes. » Il revoyait son grand-père chanter à son chevet. Les paroles sortaient, limpides, de sa gorge. Ses jambes se dépliaient au rythme des pédales qui suivaient l’impulsion première, donnée par l’énergie transmise du cœur au cerveau. Dans leurs chaussettes rouges, les pieds, en cadence, dansaient, invisibles. Les mains, sur le guidon, rougissaient de froid.
En passant devant le parc Monceau qui donnait sur la gauche, il tourna la tête et distingua dans le noir, l’ombre des grands arbres. Quelques piétons passaient, presque invisibles, sur les trottoirs. Lorsqu’il arriva en haut de la montée, que ses jambes purent enfin se reposer, il s’arrêta un instant au croisement avec le boulevard de Courcelles pour reprendre son souffle. Son cœur battait la chamade. Ses joues étaient rouges. Il cracha un peu sur le béton, pensant que les vomissements des liquides alcoolisés qu’il avait bus allaient sortir de sa gorge. Rien ne jaillit de sa bouche. Au contraire, les crachats qu’il fit par terre étaient secs. Des taches de pigeons jaunes gelées par la nuit. Lâchant le guidon, il posa ses mains sur la selle et se remit à chanter. « Montez de la mine, descendez des collines, camarades ! Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades. » Après quelques instants, ayant retrouvé un peu d’énergie, le regard perçant, encore illuminé par les derniers éclairs d’alcool, il posa de nouveau ses mains rougies par le froid sur le guidon. Ses pieds se remirent en marche sur les pédales glacées métalliques. Ses jambes déployèrent leurs muscles. Ses yeux gris vert fixèrent la continuité de l’avenue plate devant lui, s’enfonçant dans les entraves de la ville. L’effort était des moindres. L’esprit retrouvait son calme. Le cœur s’apaisait.
Antoine distingua sa rue. Le vélo fut rapidement cadenassé. Il courut jusque chez lui, titubant un peu. Les marches étroites de l’escalier qui le mènerait au monde libre lui parurent infinies. Une à une, il les montait comme le soldat s’en va au front, avec la même exaltation, une peur semblable de ne jamais revenir, de manquer son objectif final : vivre. Pour mobiliser les forces dont il avait besoin, impassible, téméraire et sans peur, il entonna les dernières paroles du chant : «  Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu’on enchaîne ? Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? » Chanter lui donna espoir. Se sentant invincible tant l’alcool lui avait permis de puiser rapidement en lui les dernières ressources vitales, il ouvrit la porte de sa chambre, passant maladroitement la petite clé grise métallique dans la serrure qui émit un léger bruit strident.
Épuisé, transpirant, ayant fait appel aux ultimes forces vives en sa possession, il tomba d’un coup sur son grand lit. Le contact du corps avec le matelas lui rappela qu’il était bien vivant et fit, dans le même temps, rejaillir les derniers effluves qui ne s’étaient pas dissous dans son estomac. Avec un pincement au cœur, Antoine sentit le liquide remonter jusqu’à sa gorge avant d’atteindre sa bouche. L’alcool se mélangea à d’autres inhalations qui jaillirent comme la lave jaillit du volcan en éruption après avoir longtemps dormi. D’une traite, le vomi ternit la couleur métallique du lavabo au-dessus duquel il était allé rapidement se pencher. Plus il vomissait, et plus il avait l’impression qu’il connaissait ses dernières heures. Allant chercher le liquide du fin fond de son estomac, l’alcool lui brûlait les entrailles.
Par la fenêtre, il distingua Montmartre déteindre dans les premières sueurs froides du soleil hivernal. La nuit, remplie d’astres d’horizons inconnus disparaîtrait bientôt pour laisser place à l’effervescence maladive du jour. Tentant de chanter encore un peu pour ne pas mourir de douleur, Antoine enfonça deux doigts dans sa gorge pour provoquer la sortie artificielle des derniers liquides qui avait failli faire tressaillir son cœur. Puissant, le vomi jaillissait dans un effroyable râle de mort. En sueur, épuisé, il gémissait comme s’il était sur le point de mourir. Seule la sensation mouillée du soleil qui se réverbérait sur Montmartre lui donna le courage de vomir encore un peu plus pour survivre. Accoudé au lavabo dont le robinet laissait couler les quelques gouttes d’eau-de-vie, il sentit les dernières traces d’alcool se dissoudre dans son corps. Haletant, il essuyait tant bien que mal la sueur qui tombait sur son front. Les yeux rouges, le teint pâle, il se regarda dans le vieux miroir à la glace fendue qui pendait sur le mur.
À cet instant, il comprit que c’était fini. Le regard ensanglanté par la bataille à laquelle il s’était livré, il regagna son lit, défaisant maladroitement les boutons de sa chemise, enlevant son pantalon qui laissa percevoir des jambes de jeune pubère, un caleçon rayé trop grand pour lui, une peau d’enfant qui grandit trop vite malgré le passage des années. Lentement, il s’enfonça sous la couette, déposant la tête sur l’édredon de plumes qui lui permettrait de trouver le sommeil. Allongeant les bras autour d’un corps qui retrouvait peu à peu une température normale, il s’endormit. Les premiers rayons du jour, affables, pointaient leurs fleurets dorés dans le ciel entre deux voitures matinales qui passaient par le grand boulevard. La journée s’annonçait belle.
Au cours de cette soirée, après avoir dîné ensemble, Antoine s’était rendu avec Camille, Paul et Alexandre au Grenier, dans le cœur du VI e arrondissement, entre la rue Princesse et la rue des Canettes, petit club presque inconnu des parisiens où l’on pouvait boire, se reposer et danser. On y rencontrait beaucoup d’intellectuels, de danseurs, d’écrivains mais aussi des peintres et des artistes de plusieurs nationalités qui y venaient pour échanger sur leurs dernières créations et faire la fête. Les quatre amis y passaient souvent une partie de la nuit avant que chacun ne regagne son logis, au petit matin. Antoine avait un peu trop bu. Affalé sur un fauteuil, il se remémorait les conversations du dîner sur la pratique du piano. La musique, les notes, l’inspiration… Ces mots ne parvenaient pas à produire du sens dans son esprit. Pourquoi ne pouvait-il pas, lui aussi, capter la sensibilité de ses amis pianistes ? D’où lui venait ce manque de connaissance musicale ? Pourquoi la musique de Brahms, de Wagner ou de Chopin lui était-elle si étrangère ? Y avait-il quelque chose qui n’allait pas ? Était-il sot ? Il ne parvenait à comprendre ce qui le rendait si différent des autres, pourquoi il ne pouvait pas, lui aussi, être sensible, tout comme ses camara

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