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Poursuivi jusqu’en Italie par son meilleur ennemi, le policier B. J. van Goitsenhoven, Tancrède ARDANT, l’aventurier cambrioleur, se voit contraint à fuir par bateau en Albanie.
Mais B. J. est un farouche et opiniâtre adversaire que Tancrède ARDANT ne parvient pas à semer. Celui-ci le poursuit jusque dans les rues de Kruja.
En désespoir de cause, Tancrède ARDANT trouve refuge dans le palais de Ouloug bey, un riche et cruel trafiquant de drogue.
Et personne n’échappe aux griffes de l’abominable Ouloug bey...
TANCRÈDE
CHEZ SKANDERBEG
Par
Frédéric SIPLINE
CHAPITRE PREMIER
Le « Citta di Bari » donna trois coups de sirène et laissa derrière lui la vieille Bari endormie entre ses remparts roses et le somptueux « bord de mer » constitué par les immenses édifices construits par l'administration fasciste.
L'antique cathédrale San Nicola où coule périodiquement la miraculeuse transpiration du Saint dans sa crypte s'effaça dans la nuit bleue et Tancrède, avec un soupir, s'abandonna au mou bercement de la houle adriatique.
— Ouf... cette fois, me voici sauvé !
Il jeta un coup d'œil sur ses quatre compagnons étendus comme lui sur le pont encore chaud qui tressautait sous le halètement rythmé des machines.
Ces compagnons ne payaient pas de mine. Quatre hères loqueteux qui s'étaient déjà roulés dans leurs manteaux troués et qui dormaient paisiblement sous la lune tôt levée.
La mer miroitait comme une immense nappe de lait phosphorescente qui s'étendait doucement jusqu'à un vague horizon.
Trois fois par semaine, le « Citta di Bari » faisait ce même voyage – Bari-Durazzo – joignant en une nuit la vieille cité italienne à la côte désolée de l'Albanie, mais c'était la première fois que Tancrède effectuait cette traversée.
Voyage impromptu s'il en fut !
Après d'incroyables aventures, Tancrède Ardant avait à Paris, retour d'Espagne où son aventureux destin l'avait mené, retrouvé sur sa route son éternel ennemi, son ennemi personnel : le policier B. J. van Goitsenhoven de la Sûreté de Paris. Depuis des années Tancrède Ardant échappait à la poursuite inlassable du policier fameux et cette fois encore, il avait été bien près d'être appréhendé par lui.
Penché sur le bastingage, il murmura en se souriant à lui-même :
— Sacré B. J., je t'aime bien... Mais de là à me faire pincer pour te faire plaisir, il y a loin !
Il réfléchit encore et dit enfin en se secouant :
— Pourtant, cela a été tout juste. À Rome... il était moins cinq.
Et Tancrède revivait ces minutes. Devant l'hôtel « Flora », la grosse voiture noire qui s'arrête, dont cinq hommes sortent en trombe, suivis de la lourde silhouette de van Goitsenhoven, plus familièrement appelé B. J. par ses amis et ses ennemis.
Tancrède qui déjeune seul dans sa chambre ensoleillée, a juste le temps, à travers la croisée grande ouverte par où entrent les effluves et les cris de la capitale italienne, d'apercevoir son éternel poursuivant, de se lever précipitamment de table et de fuir en emportant pour tout potage une grappe de raisin. Sa valise bouclée, il est déjà tout en haut du grand escalier de marbre lorsque B. J. entre dans la chambre vide où le repas est tout servi.
— Zut, grommelle-t-il en s'approchant de la table, envolé !
Et il lit avec un mauvais sourire un mot laissé par Ardant sous le bord d'une assiette :
« Mon cher B. J.,
« Déjeune tout à ton aise. C'est moi qui paie. Amitiés.
« Ardant. »
— Ce bougre-là m'échappera donc toujours, grince B. J. devant ses cinq collègues italiens bien près de sourire.
Ce bougre-là est déjà sur le toit de l'hôtel où il court, en équilibriste consommé, pour gagner bientôt la lucarne d'une maison voisine par où il se glisse dans une chambrette déserte, puis dans un escalier qui le conduit à la rue où il se mêle à la foule.
Les gares, l'aérodrome doivent être surveillés, puisque B. J. connaît sa présence à Rome ; ils lui sont interdits.
Tancrède entre dans une trattoria proche du Vatican pour déjeuner enfin tranquillement et réfléchir à la situation nouvelle.
Il lui faut donc quitter Rome par la route. L'automobile ? Trop risqué. La police qui possède certainement son signalement doit exercer son contrôle sur le trafic routier.
Tancrède en dégustant d'excellents spaghettis et une soupe anglaise, puis en sirotant après son café un verre de Grappa, se creuse la cervelle et sourit enfin.
Deux heures après, les carabinieri postés sur la route de Naples voient, sans étonnement, passer devant eux un plombier à bicyclette, vêtu d'un chandail et d'un pantalon de velours, sa boîte à outils en zinc au côté et sifflotant gaiement une rengaine.
Ce plombier heureux de vivre, c'est Tancrède Ardant qui fait la nique à la police et peste tout bas en rajustant la perruque de jais qui recouvre ses cheveux blonds.
— Bon Dieu ! je n'aurais jamais cru que ce poil de malheur pût tenir si chaud !
Et il tripote la moustache noire qui dissimule ses lèvres rasées en se demandant si elle tiendra jusqu'à la prochaine gare.
Le train emporte ensuite le plombier improvisé jusqu'à Naples. Mais il est reconnu à sa sortie de la gare et n'échappe qu'à grand-peine aux argousins lancés à sa poursuite, leur laissant sa bicyclette en guise de butin.
— Ouf, cela va vraiment mal, soupire Tancrède en dévalant les petites rues qui mènent au port. Ce satané B. J. a la dent dure.
Là, dans l'ombre étouffante des ruelles pleines de cris, de rires, gazouillantes du parler argotique et chantant des Napolitains, Tancrède vit mêlé aux lazzaroni, errant de cabarets en hôtels borgnes et se faisant une bande d'amis bons garçons et redoutables. L'un de ceux-ci lui procura quelques papiers qui ne devaient rien à la préfecture locale et Tancrède se trouva, au bout de huit jours, être le signor Guiseppe Gianello, marchand ambulant.
Le pseudo Guiseppe Gianello quitta Naples un beau matin, conduisant par la bride une petite charrette traînée par un mulet étique et chargée de statues d'albâtre qu'il était censé vendre dans sa tournée. Il gagna ainsi Foggia où il fit la rencontre de quatre chanteurs des rues qui pinçaient la mandoline et caressaient l'accordéon dans les cours, en régalant les badauds de trémolos. Tancrède s'aboucha avec eux et vendit son mulet, sa charrette et sa camelote à un confrère, ravi du petit prix qu'il en demandait, puis il prit la route, de conserve avec ses nouveaux amis, saoulant les villageois de ses ritournelles, depuis Foggia jusqu'à Brindisi où il arriva avec eux, crotté et en loques, la mandoline en bandoulière.
Plus trace de B. J. Tancrède hésite. Doit-il reprendre l'aspect d'un homme du monde et reparaître sous ses propres traits ou bien sortir d'Italie dans la peau mal lavée de Guiseppe Gianello, pinceur de cordes et pousseur de chansonnettes ?
B. J. n'est peut-être pas loin. B. J. lâche rarement la proie qu'il a cru tenir. Trop de fois il a été ridiculisé par Ardant, et la dernière de ces fois doit lui avoir laissé un souvenir encore cuisant, celle où Tancrède après le crime du château de Labrouhe (1) laissa B. J. et ses gendarmes à demi assommés dans un chemin de campagne.
Depuis cette aventure, B. J. Goitsenhoven doit brûler de se venger. Tancrède décide donc de continuer son chemin de troubadour jusqu'à Bari d'abord, puis de là jusqu'en Albanie. Une fois parvenu dans ce pays à peu près demeuré aux mœurs du XV e siècle, il sera hors de danger.
...