Suzette
160 pages
Français

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Description

Dans la France d'après-guerre, Andrée, une jeune ouvrière tombe enceinte alors qu'elle est encore mineure. Mariée trop jeune, sans le sou, sa vie de famille ne la rend pas heureuse. Pour adoucir la dureté du quotidien, elle s'enivre au vin rouge, son seul réconfort. Jusqu'au jour où elle fait la rencontre d'un médecin qui tombe sous son charme. L'homme, marié et bien plus âgé qu'elle, ne peut plus se passer d'elle. L'amourette vire en sombre affaire d'adultère lorsque le corps de la femme du médecin est retrouvé sans vie dans le bois de Boulogne. Ami du médecin, le commissaire Dupuy s'empare de l'enquête. Tenace, il compte bien faire la lumière sur la véritable identité du principal suspect. La misère s'avère être au cœur de ce drame atroce. Jeanne Cordelier parvient à plonger son lecteur dans une atmosphère oppressante, tendue jusqu'au dénouement final.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 juin 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414059492
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-05947-8

© Edilivre, 2017
Suzette
 
 
La mère et la fille marchaient côte à côte, la fille tête baissée, la mère légèrement rejetée en arrière, comme si elle avait attendu à ses questions une réponse venue du ciel.
– Tu sais qui est le père au moins ? demanda la mère.
– Oui, répondit la fille.
– Et que fait-il, poursuivit la mère.
– Je ne sais pas, répondit la fille.
– Mais il a un métier au moins ?
– J’en sais rien.
– Son âge, tu sais son âge ?
– Il m’a dit qu’il avait 21 ans.
– C’est bien beau de dire, mais faut voir. Il t’a montré ses papiers ?
La fille fit non de la tête. Elle ne se voyait pas en effet demander ses papiers à un homme qui allait abuser d’elle dans un couloir obscur derrière une porte cochère.
Les deux femmes continuèrent leur chemin, la mère poursuivant son interrogatoire, auquel la fille répondait du mieux qu’elle pouvait. Car il n’est pas si facile de mentir à sa mère et Andrée l’avait rarement fait à la sienne. En effet, elle avait toujours été envers elle d’une parfaite loyauté, au point de lui cacher les abus du beau-père. Ce qu’en ce jour de mai, elle regrettait. Mais il était trop tard. Ce n’était pas le moment de remuer le couteau dans la plaie déjà assez ouverte.
Comme elles approchaient du logis, la mère dit :
– Ne te reste plus qu’à te marier, ma fille. Tu vas me le présenter.
Et au lieu de répliquer la fille baissa un peu plus la tête et c’est ainsi, penché comme sur son enfant, si l’on veut, qu’elle rentra.
Quand elle annonça la nouvelle de sa grossesse à Edmond venu l’attendre comme presque chaque soir à la sortie de l’atelier où elle travaillait en qualité de relieuse, il prit la chose du bon côté. Lui répondit que lui, qui n’avait pas connu son père, serait heureux que son fils le fasse. Car elle portait un garçon, de ça il était sûr. Il voulut l’embrasser. Mais elle le repoussa. Il faudrait bien pourtant, machinalement elle passa la main sur son ventre. Puis elle lui demanda pourquoi il n’avait pas connu son père. À quoi il répondit qu’il était de l’assistance publique. « Ha », fit-elle, et il y avait dans cette courte exclamation comme une petite plainte. Mais ils en restèrent là. Ni l’un ni l’autre n’étant enclin aux épanchements. Ils arrivaient en bas de chez elle, quand elle lui dit que sa mère voudrait le rencontrer.
– Hé bien, allons-y, dit-il.
– Ha ! Non pas comme ça, objecta-t-elle, avec ton foulard, ta casquette, t’as l’air d’une gouape !
– Ce que je suis non ! Je ne t’ai jamais dit que j’avais fait de grandes études. Tiens, je n’ai même pas mon certif ! Tu l’as toi ?
– Non, répondit-elle, je l’ai pas.
– Comme ça nous v’la logés à la même enseigne ! Tu vois qu’on est fait l’un pour l’autre, poursuivit-il, cherchant ses lèvres.
Elle le repoussa de nouveau et la même pensée que plutôt lui revint : il faudra bien pourtant puisque nous allons nous marier. À cette perspective un frisson de dégoût la parcourut. Quitter la douce couche de sa mère, même si celle-ci était dure avec elle, lui apparut soudain comme un obstacle insurmontable. Elle s’enfuit en larmes. En rentrant, elle fut accueillie par un :
– T’as vu l’heure ! Où t’as encore été traîner ton cul ?
– J’ai parlé avec Edmond, répondit la fille.
– C’est avec moi qu’il doit parler ! s’écria la mère. Le temps presse. Tu y es de combien maintenant ?
– Bientôt trois mois, murmura la fille.
– Pas question que ça se voit, dit alors la mère. Je ne marie pas ma fille en cloque !
– Mais les gens verront bien quand j’accoucherai, avança doucement la fille.
– On verra à ce moment-là, en attendant je ne veux pas que tu te présentes devant le maire avec le ballon.
Mère et fille se faisaient face chacune postée d’un côté de la table. La mère avait les mains appuyées dessus, tandis que celles de la fille pendaient inertes au bout de ses bras.
– Et en blanc, dit la mère, tu vas te marier en blanc. Je ne veux pas que ma fille passe pour une traînée !
– Et qui va payer la robe ? demanda la fille exaspérée.
– Lui, répondait la mère, il te doit bien ça non ?
– Mais il n’a pas un sou.
– Alors de quoi vit-il ?
– Y se débrouille.
– Et ça veut dire quoi ça ? demanda la mère avançant un visage menaçant au-dessus de la table, hein ça veut dire quoi ? Regarde-moi bien toi, là, poursuivit-elle pointant son majeur et son index droit en face de ses yeux. Dis, tu ne serais quand même pas allée t’acoquiner avec un arsouille ? T’aurais pas fait ça, dis Andrée, on a assez de misère comme ça.
Pour toute réponse la fille baissa la tête. Qu’est-ce qu’elle en savait, elle, si Edmond était un voyou. Tout ce qu’elle savait d’Edmond et qu’elle se garda bien de dire à sa mère c’est qu’il était de l’assistance publique.
Les deux femmes dînèrent en silence d’un reste de ragoût et de riz au gras. La mère ce soir-là descendit son litre de vin et alla se coucher. La fille resta longtemps penchée à la fenêtre. Tout en scrutant la nuit, en épiant ses bruits, elle songeait au chagrin qu’elle causait à sa mère et s’en voulait. S’en voulait d’avoir cédé ce soir-là à Edmond, même si au début elle s’était défendue. Elle avait fini par céder. Elle ne se pardonnait pas cette faiblesse. Elle toucha son ventre, l’enfant qui s’y développait lui indifférait. Ella passa la nuit sur une chaise, la tête entre les bras reposés sur la table de la cuisine.
Le logement où elles vivaient comptait deux pièces, une chambre et une cuisine, un étroit couloir où il y avait tout juste la place de déplier un lit pliant quand le beau-père vivait encore là. C’était là où dormait Andrée, ce qui ne l’empêchait pas de participer aux ébats amoureux de sa mère et de son amant. Les toilettes se trouvant sur le palier, elle s’était habituée au bruit de la chasse d’eau et aux odeurs aussi. Le beau-père pissait dans l’évier et la mère dans un seau qu’elle nettoyait méthodiquement chaque matin à l’eau de javel. Elle était propre jusqu’à la maniaquerie. Ce dont elle avait contaminé sa fille. Ainsi mère et fille passaient-elles la plupart de leurs jours de repos à briquer le petit deux-pièces, dont les vitres étaient faites toutes les semaines. Ce qui n’empêchait pas qu’il y fît sombre, mais peut-être que de s’escrimer à frotter donnait l’illusion aux deux femmes d’attirer un peu de clarté. Comme elles n’avaient pas les mêmes jours de congé, la mère étant blanchisseuse, repasseuse, elle travaillait donc le samedi, cela laissait un peu de temps à Andrée pour s’occuper d’elle. Or un samedi où elle se trouvait seule dans l’appartement, elle se mit nue devant l’armoire à glace. Et là, face à son corps qu’elle ne reconnut pas, une exclamation lui échappa :
– Ô mon Dieu !
Son ventre s’était arrondi, ses seins avaient grossi, les mamelons en saillaient. La grossesse était en train de la transformer, de faire d’elle une autre, une qu’elle ne connaissait pas. Qu’elle n’avait pas envie de connaître. Alors elle pensa au revolver dans le tiroir de la table de nuit de sa mère. Elle le prit, le trouva lourd et froid. Elle le considéra ainsi un bon moment se demandant où elle allait tirer, le cœur, la tempe, la bouche. Elle opta pour le cœur dont le spectacle si pénible qu’il soit lui sembla plus acceptable. Elle se coucha, rabattit le drap jusque sur ses épaules. Puis plaça le canon du revolver contre son cœur. Mais au moment d’appuyer sur la gâchette, le courage lui manqua. Elle comprit qu’elle n’avait pas envie de mourir, mais de ne plus vivre ce qu’elle vivait. Elle se releva, refit soigneusement le lit et décida d’aller chercher de l’aide chez son frère Gustave, même si elle n’en espérait pas grand-chose.
En effet, quand elle arriva, il était bourré comme un coing. Cet accueil la dissuada de parler. Elle dit juste qu’elle était passée dire bonjour. Des ronflements venaient de la chambre voisine. Sa belle-sœur était en train de cuver. Dans un coin de la pièce, trois enfants jouaient aux osselets. Andrée les embrassa et quitta l’endroit, qui puait la dèche à plein nez. Une fois dehors, elle respira très fort, comme si elle avait voulu expulser de ses poumons l’air qu’elle venait de respirer, mais aussi les sombres pensées qui l’avaient assaillie. Car elle en avait gros sur le cœur.
Elle s’entendit siffler mais ne se retourna pas, elle avait horreur qu’on la siffle. Comme le sifflement la poursuivait, elle finit par se retourner. C’était Paul, le copain du bal qui l’avait joué aux dés avec Edmond. Elle se souvint qu’elle aurait préféré que ce soit lui qui gagne, mais les dés avaient parlé. Il l’invita à prendre un verre, ils entrèrent dans un café où elle lui fit part de son désarroi. Il lui dit qu’il pouvait l’aider, mais que ce n’était pas gratuit, qu’il allait falloir qu’elle y mette du sien. Il connaissait une bonne placarde à Montparnasse, mais il fallait s’y atteler avant que ça commence à se voir.
À ses mots, elle sortit son porte-monnaie de son sac et paya sa consommation.
– Je ne savais pas que tu mangeais du pain de fesse, dit-elle déposant l’argent sur la table.
– Va donc mijaurée ! Va manger ton pain noir !
Andrée y alla d’un pas décidé. Faire la pute, jamais ! Au besoin elle élèverait son enfant seule.
C’est ce jour-là, qu’elle choisit de le garder. En marchant elle touchait son ventre, se surprit à parler à l’enfant. Elle ne lui dit pas grand-chose, mais simplement qu’il était là et qu’elle le garderait. Elle n’avait pas vu Edmond depuis plusieurs jours à la sortie de l’atelier. Ainsi quelle ne fut pas sa surprise en arrivant vers son immeuble que de le voir affublé d’un costume dans lequel il nageait, un bouquet de fleurs à la main. C’était trop d’émotions dans la même journée et

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