Samouraï 731. Gagnant Prix Ca M Interesse Histoire
267 pages
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Samouraï 731. Gagnant Prix Ca M'Interesse Histoire , livre ebook

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Description

FRANCK SEIGNEUR Samouraï 731 Policier Gagnant prix 2014 Éditions Les Nouveaux Auteurs 16, rue d’Orchampt 75018 Paris www.lesnouveauxauteurs.com ÉDITIONS PRISMA 13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex www.editions-prisma.com Copyright © 2014 Éditions Les Nouveaux Auteurs — Prisma Média Tous droits réservés ISBN : 978-2-8195-03842 1 Si la vue avait perdu de son acuité, les pas, sans être alertes, avaient conservé toute l’assurance de longues années à arpenter les sentiers et chemins de cette forêt de basse montagne. Balayant quelques feuilles et écorces mortes, les doigts noueux plongèrent dans le sol. Roulant la terre gelée entre le pouce et l’index, ils la portèrent aux narines qui en humèrent le parfum. Pour qui savait interpréter les nuances de ses senteurs d’humus sous la consistance friable, la terre n’était jamais avare de confidences. Et quand bien même, l’hiver venu, le froid muselait celles-ci pour le commun des mortels, il restait encore une poignée d’anciens capables de les décoder pour en déduire le temps qu’il ferait dans les deux ou trois jours à venir. Marcel Sagard était de ceux-là, et la forêt de cette montagne, « ma » montagne ainsi qu’il le soulignait avec au moins trois « m », il la connaissait mieux que quiconque et plus qu’aucun autre lieu au monde. Un monde qui, hormis l’Autriche où il avait passé deux ans en tant que prisonnier de guerre, se cantonnait pour lui à cinquante kilomètres à la ronde.

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Informations

Publié par
Date de parution 11 décembre 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782819503842
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

FRANCK SEIGNEUR
Samouraï 731
Policier
Gagnant prix

2014
Éditions Les Nouveaux Auteurs
16, rue d’Orchampt 75018 Paris
www.lesnouveauxauteurs.com
ÉDITIONS PRISMA
13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex
www.editions-prisma.com
Copyright © 2014 Éditions Les Nouveaux Auteurs — Prisma Média
Tous droits réservés
ISBN : 978-2-8195-03842
1

Si la vue avait perdu de son acuité, les pas, sans être alertes, avaient conservé toute l’assurance de longues années à arpenter les sentiers et chemins de cette forêt de basse montagne. Balayant quelques feuilles et écorces mortes, les doigts noueux plongèrent dans le sol. Roulant la terre gelée entre le pouce et l’index, ils la portèrent aux narines qui en humèrent le parfum. Pour qui savait interpréter les nuances de ses senteurs d’humus sous la consistance friable, la terre n’était jamais avare de confidences. Et quand bien même, l’hiver venu, le froid muselait celles-ci pour le commun des mortels, il restait encore une poignée d’anciens capables de les décoder pour en déduire le temps qu’il ferait dans les deux ou trois jours à venir. Marcel Sagard était de ceux-là, et la forêt de cette montagne, « ma » montagne ainsi qu’il le soulignait avec au moins trois « m », il la connaissait mieux que quiconque et plus qu’aucun autre lieu au monde. Un monde qui, hormis l’Autriche où il avait passé deux ans en tant que prisonnier de guerre, se cantonnait pour lui à cinquante kilomètres à la ronde. Et ça faisait déjà bien assez d’emmerdeurs comme ça au kilomètre carré pour l’ancien bûcheron devenu misanthrope sur ses vieux jours.
La hêtraie-sapinière qui ceinturait Firville (1) en un profond croissant de verdure était son refuge, son havre de paix. « Ma raison de vivre », comme il disait « …et p’têt bien d’y mourir », ajoutait-il l’œil malicieux mais toujours sérieux. Depuis son enfance, Marcel foulait ces chemins, les pas rythmés par le craquement des branches mortes, le froissement des feuilles piétinées. Et s’il ne s’aventurait plus guère sur les versants les plus escarpés où il avait autrefois participé à tant de lâchers de grumes, il ne se passait pas une journée sans qu’il aille respirer l’entêtant parfum des résineux. « C’est une amitié qui dure, eux et moi on se connaît depuis qu’on est tout mômes », ironisait-il pour dédramatiser et masquer son amertume au fil du temps qui se barrait en le laissant sur place. Une amertume que la plupart de ses vieux potes passaient des heures à boire au zinc d’un bar à leur image, fade et décrépi, lèvres pincées sur le bord d’un ballon de rouge aussi acide que leurs rancœurs. Marcel n’était pas de ceux-là, à refaire un monde qui n’était plus ni à leur taille ni à leur tempo. Et si tout allait désormais trop vite pour lui aussi, il s’apaisait en se réfugiant en forêt, où là au moins, la neige tombait toujours avec la même lenteur que quand il avait encore l’âge de jouer avec.
Un vrombissement attira son attention. Marcel leva les yeux vers le chemin de ronde, celui qui descendait directement de la crête avec une pente qui lui paraissait de plus en plus raide au fil des ans. Dans les interstices de branchages, il distingua les couleurs vives d’un quad en train de dévaler à tombeau ouvert. « Y finiront par se fracasser à faire les zouaves », maugréa-t-il en cherchant où escalader le talus pour ne pas se faire rouler dessus par l’engin qui allait fondre sur lui d’un instant à l’autre.
Les vrombissements redoublèrent d’intensité, donnant aux sous-bois des échos de circuit de cross. Marcel ne voyait pas le pilote masqué par les épicéas en rangs serrés. Mais il l’entendait se rapprocher aux claquements des pierres débusquées par les pneus crantés qui les expédiaient sur les côtés en dévorant le sol à toute allure.
Merde alors ! Il arrive vitesse grand V, c’t’allumé !
Comme frappée par la foudre, une branche traversa le champ de vision de Marcel en tournoyant dans les airs, sectionnée par l’engin dans un craquement sec. Il se jeta sur le côté pour ne pas se faire percuter par cette « espèce de trou du c… ».
Il n’eut pas le temps de lâcher sa bordée d’injures que l’équipage en question le frôla en le souillant au passage d’une giclée liquide reçue comme une gifle en pleine face : « Bordel de… »
Ragaillardi par la colère et prêt à en découdre, Marcel se retourna brusquement vers le type couché sur son engin en contrebas. Le quad percuta violemment un chêne et éjecta son pilote dans un ultime hurlement mécanique.
Trébuchant sur les obstacles du chemin qu’il venait de gravir si difficilement, Marcel se précipita vers l’inconscient en fulminant, les poings serrés comme au bon vieux temps.
— Couillon, va, t’vas voir si j’vais…
Il stoppa net à quelques mètres du but. Passant et repassant une main sur son visage ruisselant, le vieux bûcheron se heurta au rempart invisible d’une frontière entre illusion et réalité. Il n’entendit même pas les autres quads arriver à leur tour. Son cœur déjà malmené se mit à battre de plus belle, ses prunelles ne cessant d’aller et venir de sa main au type qui venait de s’écraser au pied du chêne. Il refit quelques pas hésitants vers lui. Arrivé à sa hauteur, Marcel se frotta énergiquement les joues comme pour émerger d’un sommeil déjà installé dans le cauchemar. Les mots s’étranglèrent dans sa gorge serrée. Il bredouilla.
— Mais… mais d’où qu’tu sors, toi ? De… d’l’enfer ???
Il en avait croisé des farfelus de toutes sortes dans les bois, mais ça… jamais !
Des épaules à la taille, celui-là semblait drapé d’une cape qui ne cessait de s’étendre. Des nuances les plus vives au plus foncées, le camaïeu de rouges gagnait le sol où il venait de s’échouer avec la mollesse d’une poupée de chiffon. Un rouge intense, violent, aussi tranchant qu’une lame dans la blancheur du sous-bois enneigé. Un rouge identique à celui qui noyait les crevasses du visage de Marcel éclaboussé au passage du bonhomme.
Un rouge profond, aussi profond que les sources du sang qui s’échappait en flots saccadés de ce corps sans mouvements, sans vie, sans tête.

Note
(1) Village vosgien fictif.
2

Le major Petters se frictionna le cuir chevelu puis plaqua dans un geste mille fois répété quelques mèches hirsutes sur son crâne dégarni. Tenant de l’autre main son képi d’où s’échappait une légère vapeur dans le froid matinal, il se pencha vers l’orme éclaboussé de sang.
— Bordel…
Les deux syllabes à peine audibles épousèrent en un léger brouillard le tronc tagué d’ultraviolence. Sourcils froncés à n’en faire plus qu’un, Petters suivit le parcours sanguin figé par moins cinq degrés de température ambiante. En de multiples sillons, l’hémoglobine s’était insinuée entre les écailles de l’écorce jusqu’à disparaître entre celles-ci et gagner d’autres veines, de bois cette fois. À trois pas de là, deux types s’affairaient au ras du sol, au cœur même de la scène du carnage. Combinaisons « Gendarmerie scientifique » sur le dos et lunettes grossissantes sur le nez, ils soulevaient branchages et feuilles mortes avec mille précautions entre leurs doigts de latex. Mesures, photos et prélèvements divers, l’horreur et le sordide étaient le lot quotidien de ces deux-là.
Petters se redressa et tendit l’oreille aux éclats de voix plus ou moins lointains de ses hommes et d’une escouade de renfort. Dans une excitation palpable, tous ratissaient la zone en contrebas à la recherche du moindre indice, de la moindre empreinte suspecte, du moindre poil de cul comme le major l’avait lui-même précisé en arrivant sur les lieux. Il promena son regard sur l’étroitesse du chemin, depuis le tronc ensanglanté jusqu’au point de chute de la victime, une bonne trentaine de mètres plus bas. De nouvelles giboulées hachaient la scène en lui donnant le grain épais d’un film d’horreur de mauvaise qualité. Mais cette scène-là était bien réelle et le major tenta d’imaginer le pilote du quad décapité deux heures plus tôt à l’endroit précis où il se trouvait. Il avait poursuivi sa course sur toute cette distance, agrippé au guidon de l’engin dans une ultime et totale contraction musculaire. C’était donc possible… , songea Petters.
Il examina une dernière fois le tronc maculé et redescendit le chemin escarpé pour rejoindre le vieux Marcel encore sous le choc. Arrivé à sa hauteur, il lui posa une main amicale sur l’épaule. L’ancien bûcheron cessa de pétrir sa casquette élimée pour la réajuster au sommet de son crâne. Tête baissée sur la neige souillée, il fuyait les regards des autres fonctionnaires regroupés autour de lui. De courtes volutes de vapeur s’échappèrent de ses narines couperosées. Sa moustache couleur tabac frissonna sur un chapelet de mots hachés aux entournures.
— Bon… bon Dieu, m… même à la guerre j’ai jamais vu autant d’sang couler d’un… d’un seul bonhomme, grimaça-t-il. Dis-moi, Paul, toi qu’es gendarme… t’as dû en voir des trucs pas clairs, mais ça ?!… t’y comprends quequ’chose à ça ?
— Non, Marcel, je n’ai jamais rien rencontré de tel ici.
— Et… et d’où qu’elle peut bien être passée sa… ben sa tête quoi ?! C’est… c’est vrai qu’vous l’avez pas retrouvée ?
— Excuse-moi mais je ne peux rien te dire de plus, Marcel.
— Mouais…
— Je vais te faire raccompagner chez toi, Marcel. On viendra te chercher demain pour une audition à la gendarmerie.
L’œil s’assombrit sous la visière.
— Mais j’t’ai tout dit, moi, teu crois quand même pas…
— Ne m’en veux pas, Marcel. Bien sûr que je crois à ton histoire, mais c’est la procédure qui veut ça. Ce sera pas grand-chose, juste un peu de paperasserie, fais-moi confiance. Allez, va te reposer, t’as eu ton compte pour aujourd’hui.
Le vieil homme se racla la gorge en passant une main hésitante sur ses pommettes rougies. Puis il jeta un dernier coup d’œil vers l’assemblée d’uniformes, et suivit lentement un gendarme vers le Land Rover du peloton qui l’emmena sous des cieux plus calmes.
Petters réajusta son képi et jeta à nouveau un œil sur les papiers de la victime. Christian Claudel, quarante-neuf ans, notaire à Fi

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