Rouille sang. Gagnant Prix Ca M intéresse Histoire
211 pages
Français

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Rouille sang. Gagnant Prix Ca M'intéresse Histoire , livre ebook

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Description

Dorothée Lizion Rouille sang GAGNANT DU PRIX 2016 Éditions Les Nouveaux Auteurs 16, rue d’Orchampt 75018 Paris www.lesnouveauxauteurs.com     ÉDITIONS PRISMA 13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex www.editions-prisma.com     Copyright © 2016 Editions Les Nouveaux Auteurs — Prisma Média Tous droits réservés ISBN : 978-2-8195-04122 À mes deux petits remèdes à tout Sidonie et Célestine. Il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête. Rousseau 1 Vaudon, 1523 La pluie tombait sans discontinuer. Elle suivait en masse la direction du vent. Le village semblait alors envahi d’immenses roseaux translucides penchés dans un sens puis dans l’autre. Finalement, au bout de quelques heures, l’averse montra des signes d’épuisement. La silhouette des bâtiments reprenait forme, doucement, derrière un nuage de pluie fine. Dans l’allée centrale avec son puits, jusqu’à la place du marché à l’autre bout, circulait un léger brouillard, animé d’un lent mouvement d’onde, comme s’il était vivant. Le calme. Un calme étrange, exagéré. Au sol, d’immenses flaques marron frissonnaient. Autour, le froid, l’obscurité. Dans les maisons, des yeux scrutaient le dehors par l’entrebâillement des volets. Ils tentaient d’apercevoir quelque chose sans risquer de boire l’air glacé de la brume.

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Informations

Publié par
Date de parution 04 février 2016
Nombre de lectures 1
EAN13 9782819504122
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0300€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Dorothée Lizion
Rouille sang
GAGNANT DU PRIX 2016
Éditions Les Nouveaux Auteurs
16, rue d’Orchampt 75018 Paris
www.lesnouveauxauteurs.com
 
 
ÉDITIONS PRISMA
13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex
www.editions-prisma.com
 
 
Copyright © 2016 Editions Les Nouveaux Auteurs — Prisma Média
Tous droits réservés
ISBN : 978-2-8195-04122
À mes deux petits remèdes à tout Sidonie et Célestine.
Il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête.
Rousseau
1

Vaudon, 1523
La pluie tombait sans discontinuer. Elle suivait en masse la direction du vent. Le village semblait alors envahi d’immenses roseaux translucides penchés dans un sens puis dans l’autre.
Finalement, au bout de quelques heures, l’averse montra des signes d’épuisement. La silhouette des bâtiments reprenait forme, doucement, derrière un nuage de pluie fine. Dans l’allée centrale avec son puits, jusqu’à la place du marché à l’autre bout, circulait un léger brouillard, animé d’un lent mouvement d’onde, comme s’il était vivant.
Le calme. Un calme étrange, exagéré. Au sol, d’immenses flaques marron frissonnaient. Autour, le froid, l’obscurité.
Dans les maisons, des yeux scrutaient le dehors par l’entrebâillement des volets. Ils tentaient d’apercevoir quelque chose sans risquer de boire l’air glacé de la brume.
Ils scrutaient, mais ne le voyaient pas…
Pourtant, il était bien là, dans la rue de la mère Masceline et du four à pain, tout près du cheval en bois miniature que le petit Marc avait abandonné au début de l’intempérie. Il avançait lentement, à pas saccadés. Ses pieds nus traînaient dans la boue, ses genoux s’entrechoquaient, une épaule s’effondrait sous le poids de son bras inerte, ses cheveux mouillés étaient plaqués contre son visage, violacé.
Au fil des secondes, son allure et ses contours se précisaient.
Le premier à réagir fut Papire, le fils des Lucas, une grande famille d’agriculteurs qui travaillaient aussi à la mine, comme d’ailleurs tous les paysans du hameau. Ce garçon, un peu simplet, hurla comme un goret que l’on égorge :
« Pierre ! C’est Pierre ! Le Pierre du bois ! »
Les yeux des villageois, toujours cachés derrière les battants de bois, s’écarquillèrent aussitôt. Ils savaient tous de quel Pierre il s’agissait : le fils du bûcheron qui gardait le bois de la mine, ce petiot qui avait disparu voilà bien deux huitaines.
Tout le monde redoutait son retour depuis Soffrey, l’autre petiot. Du coup, tous ceux qui avaient entendu l’annonce de Papire sortaient sous les dernières gouttes. Le ciel commençait seulement à s’éclaircir. Au brouillard embarrassant, succédait un voile gris, suffisamment clair pour constater l’état de Pierre. L’enfant venait de s’immobiliser.
Tous l’observaient sans réagir. Certains, néanmoins, s’en approchèrent, mais à peine. Ils craignaient l’enfant. Surtout lorsqu’il attrapa subitement sa chemise, pour la tirailler dans tous les sens. Le tissu céda et se déchira sur toute la longueur. Un torse malingre se dévoila. Il était gravement blessé. Une plaque rouge recouvrait la moitié de sa poitrine. Le rouge était du sang. La plaque, une grande étendue de peau arrachée.
La tête toujours baissée, l’enfant regardait sa blessure. Il la toucha du bout des doigts, se mit à la gratter, doucement au départ, puis il accéléra. Ses ongles s’enfonçaient de plus en plus. Il devenait fou. Et grattait, grattait encore, creusait la chair, raclait les côtes qui rapidement se dénudèrent. Le sang coulait dans l’eau trouble, à ses pieds.
Personne ne bougeait. Quand, tout à coup, retentirent des bruits de pas qui couraient dans la boue, de l’autre côté de la rue.
Ce fut à nouveau Papire qui parla, malgré une mâchoire crispée.
« Antoine… »
Antoine Grout, le père de Pierre. Il approchait très vite. Le souffle lui manquait, mais il avait quand même la force de crier. Lorsqu’il tendit la main vers son fils, deux villageois se jetèrent sur lui. Il se débattit, ragea, mais les hommes tinrent bon. « Pierre ! » Il s’égosillait encore, dans l’espoir de voir son enfant se retourner, de reconnaître ses yeux bleus, si doux, si beaux. Et, en effet, Pierre se retourna.
Seulement, son regard n’était pas celui attendu. Ses pupilles, trop dilatées, gâchaient la couleur, la lumière, l’innocence. Il bombait son torse sanguinolent, balançait son bras ballant contre la hanche comme un animal, arborait une grimace qui labourait son visage jusqu’au cou… quand subitement il se précipita sur son père, griffes du bras valide en avant, canines sorties. Il poussait un cri monstrueux.
Pris par surprise, les deux hommes eurent un mouvement de recul, glissèrent, et tombèrent dans la boue. Ils entraînèrent Antoine avec eux. Pierre sauta sur le trio. L’homme le plus proche donna un grand coup de pied dans le thorax du petiot. Un bruit de craquement sous le choc. « Non ! » cria Antoine. Pierre vola et chuta sur son bras mort. Un râle. Un hoquet. Il étouffait, mais rampait au sol avec acharnement. Il tentait de se redresser malgré ses côtes brisées.
Petit à petit, l’enfant approchait de son père qui était resté à terre, tétanisé. Il rampa encore un peu, postillonna rouge et, subitement, ouvrit la bouche au-dessus de la main violacée d’Antoine. Des gencives écarlates apparurent, avec des dents prêtes à mordre. Puis…
Un bruit sourd.
Les yeux de Pierre se révulsèrent. Sa tête s’enfonça dans l’eau sale. Il ne bougeait plus.
Une femme tenait la masse en bois qui venait d’assommer l’enfant. Elle laissa glisser l’objet entre ses doigts. Il tomba à côté de Pierre, inconscient. Elle regardait fixement ce petit corps inerte. Elle n’osa pas le toucher, ni le pleurer.
Pourtant, cette femme, Marie, était sa mère.
2

Fin d’après-midi, forêt du bas bocage
Chaque pas devenait une torture.
L’homme trouva une pierre passablement plate pour s’y asseoir. Une profonde capuche lui recouvrait la tête. Seule l’extrémité d’un nez finement retroussé y transparaissait. Il allongea ses jambes courbatues, fit glisser sa lourde gibecière pleine d’outils sur l’herbe, reprit longuement son souffle. Malgré son état d’esprit actuel, largement dominé par la fatigue, il comptait bien atteindre sa destination avant la tombée de la nuit.
Une petite pause de deux minutes, pas plus.
Il frissonna. Son manteau, encore mouillé depuis l’averse de la veille, pesait lourd sur ses épaules. Le ciel avait gardé sa grisaille toute la journée.
Il observa ses pieds. La mousse qu’il avait calée au fond de ses grolles ressortait par la brèche nouvellement formée dans la semelle. Il soupira. Puis il entreprit de se déchausser. À l’air libre, ses orteils ensanglantés le faisaient moins souffrir.
La minute suivante, il reprit ses bagages, se releva, et repartit en laissant derrière lui ses cadavres de chaussures.
Dans une heure, si tout allait bien, il serait au village.
 
Lorsque l’homme à la capuche sortit du bois, sur le flanc de la colline, il s’arrêta pour observer en contrebas l’ancienne forge qui bordait la rivière. Aucune fumée n’en sortait, le moulin tournait dans le vide, et les murs de pierre, envahis par la végétation, s’étaient en partie effondrés. Le bâtiment semblait avoir été abandonné.
Il le savait.
Déjà, avant son départ, la petite forge ne produisait pas assez par rapport au gisement plus que généreux des fosses minières (1) . Aussi, la vente directe du minerai aux gérants des grosses forges de Saint-Rémy s’était révélée bien plus rentable.
Lui, pourtant, restait nostalgique du temps où l’odeur du charbon incandescent envahissait Vaudon, son village, où chaque jeudi de la semaine, les ouvriers de la forge se réunissaient sur la place pour fêter leur lot de fer, et la prochaine livraison aux seigneurs des environs. Mais voilà, la concurrence ayant eu raison de leur enthousiasme, les fidèles acheteurs leur avaient tourné le dos peu à peu. Par ailleurs, l’assemblée des ferrons (2) avait fait pression sur toutes les exploitations minières du bocage afin qu’elles alimentent exclusivement les célèbres forges de Saint-Rémy et laissent les petites à l’abandon. Tous avaient suivi.
Ainsi, Vaudon avait perdu sa forge. Néanmoins ses fosses avaient été épargnées grâce à l’excellente qualité du minerai.
Le village se situait plus en amont, sur le flanc d’une vallée étroite où, le soir, le brouillard se retrouvait souvent emprisonné. Tout autour s’étendait une campagne un peu triste, qu’assombrissaient les forêts, à côté d’une plaine bleuâtre et nue, écorchée par les mines.
En descendant vers le village, par le sentier des travailleurs, il constata que rien n’avait changé depuis son départ. Le hameau était toujours aussi pauvre et paisible, sans une seule nouvelle construction, pas même la restauration du toit des halles du marché qui en avait pourtant grand besoin.
Il dépassa la mine ouverte à fleur de terre, déserte, sans une once de poussière de roche en suspension. La journée se terminait, certes, mais à cette heure-ci, d’habitude, les mineurs œuvraient encore.
Il contourna la cabane du gardien de bois, Antoine Grout. Fermée. Pas âme qui vive. Il continua sa descente, les pieds en marmelade, trop douloureux pour espérer marcher normalement. À chaque pas, les silex de cette colline de fer s’enfonçaient dans ses voûtes plantaires. Il s’appuyait tantôt sur les talons, tantôt sur les bords.
Parvenu à la rivière, il la longea jusqu’au pont. Mais au lieu de franchir ce dernier pour rejoindre le village, il continua sa route, sortit du sentier et s’enfonça dans le sous-bois. La multitude de ronces lui blessa tout le corps, excepté son visage que sa large capuche protégeait. Il progressa ainsi, quelques mètres, presque heureux de ressentir des douleurs ailleurs qu’aux pieds.
Il s’arrêta devant un énorme frêne. Son cœur se mit à battre plus fort. Il passa les doigts sur l’écorce rugueuse du tronc, ressentit les vibrations, puis, soudain, le plat : une zone sans écorce. La pulpe de son majeur s’enfonça dans des fentes taillées au couteau

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