Rencontres
102 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
102 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Différents chemins traversent ce recueil de nouvelles : des trajectoires, des destins de vie qui se prennent la main, des histoires d’amour ou d’amitié trop tôt avortées, embrouillées, hésitantes, subtiles ou tortueuses. Ainsi celle de Lilas, jeune écrivaine, et d’Ihab, réfugié syrien dont le diplôme d’avocat n’est pas reconnu en France. Ou ces deux mille huit cents kilomètres qui sépareront, à la suite d’un aveu, Lorena de ses filles.


L’ouvrage offre aussi des moments de grâce, juste le temps d’une fête, lorsque Mathilde et Joshua réunissent tous leurs amis quelques mois après leur mariage, ou quand une femme découvre le pays de son amour, Oscar, une terre à des années lumières du sien, et pourtant si proche.


Rencontres, pourtant tourné vers l’autre, dégage un sentiment de solitude. Comme si le personnage principal se plaçait souvent à côté du monde.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 mai 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414235612
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-23559-9

© Edilivre, 2018
Aller simple
Le réveil avait retenti dans sa tête. Les mots de la veille s’agrippaient à son estomac, une crampe. Sa mauvaise haleine la fit sursauter et ses yeux s’ouvrirent soudainement. Elle était presque tombée du lit et n’avait qu’une envie : se chausser de baskets, aller courir dans les parcs et manger des œufs sur le plat de retour chez elle. Avec des grosses tranches de pain tartinées de beurre de sa grand-mère. Enfin, une fringale de mots surtout, pour le reste… pas trop d’appétit.
Elle se remettait en mémoire la discussion de la veille.
La nuit n’avait pas adouci la dispute. Sa tête tout engourdie lui faisait mal, elle sentait ses jambes lourdes. Quant à son esprit, il était vide.
Ihab lui avait dit : « On est tous les deux des passionnés mais pourquoi nos deux passions ne communiquent-elles pas, peut-être sont-elles incompatibles ? » Oui, que faire ? Lilas étouffait dans ce studio.
Ils se connaissaient depuis huit mois, sa carte de séjour allait expirer et il ne voulait pas retourner au pays, en Syrie. Surtout à Alep, sa ville. Ville assiégée. Il se trouvait, pour la première fois, en terre étrangère et rêvait de continuer l’exploration. Il croyait aussi à leur histoire d’amour. Ihab s’était alors inscrit à l’université pour prolonger ses droits dans l’hexagone.
Résultat : vingt heures de travail autorisé et un statut d’avocat, le sien, non reconnu ici. Revêches, à la préfecture comme à la main d’œuvre étrangère, ils savaient le décourager. C’est vrai, il avait beau y aller confiant, le sourire bien accroché en se persuadant qu’il avait tous les papiers. Pas de veine, il en manquait toujours un. Leur petit pouvoir à la bouche, leur expression acariâtre. Et il ressortait la tête à l’envers avec comme seul horizon une situation inextricable. Le ciel au ras des cheveux.
S’ajoutait à cela le manque de temps et d’espace. Lilas ne se sentait pas assez en paix pour travailler, c’est-à-dire pour écrire. L’inspiration, ce fourmillement dans les doigts, ce tiraillement intérieur, s’était assoupi. Ce point très chaud bouillonnait, se terrait là, dans un corps muet. Parfois, il cognait sur ses tempes et lui donnait des poussées de fièvre. Mais elle ne lui accordait aucune attention et remettait l’œuvre à plus tard, indifférente. Elle ne se reconnaissait plus. Et Ihab aussi frappait à sa porte, mais elle fuyait les quémandeurs. Trop de distance et un effort surhumain à parcourir entre eux. Comment se communiquer leurs passions, comment vivre une passion commune au-delà des vicissitudes du quotidien ? Et tenter d’y voir clair dans cette vie en chantier ?
Au début, ils s’étaient choisis. Et précisément pour ce bouillonnement de vie qui battait dans leurs côtes. Maintenant, les deux corps allaient chacun son chemin. Lilas et Ihab passaient leur temps à recoller les déchirements précédents, leurs blessures à peine cicatrisées se rouvraient l’instant d’après. Le sang ne coagulait jamais.
Les éclats de voix de la veille résonnaient et n’offraient que des interrogations. Un embrouillamini qui nourrissait les doutes. Que faisait-elle avec cet avocat ? Il ne lisait jamais un roman. Aux antipodes de ses intérêts. Pouvait-on partager une vie avec un inculte de la littérature ? Sa passion à elle. Remarque sectaire, réaliste, déplacée ? Qu’est-ce qui tenait un couple ensemble ? Qu’est-ce qui les réunissait ? Des valeurs, une façon d’être, de vivre ? Ils avaient donc en eux une passion, chacun la sienne mais, entre passionnés, ne pouvait-on pas s’entendre ? Tout cela devenait pour Lilas une énigme.
Avant de se lever, elle l’observa quelques minutes. Elle guettait son réveil, se demandant si elle verrait dans ses yeux la trace de la nuit chaotique. Elle se souvenait, il avait ouvert le canapé-lit et s’était blotti dans le creux du matelas tout habillé. Elle n’en pouvait plus de cet espace réduit et lui avait suggéré de vivre séparé, chacun dans son studio. Il était resté interloqué, les larmes silencieuses coulant sur ses joues brunes. Et puis elle était venue l’extraire de son affliction, avait soulevé la couette d’un coup, sa main tendue vers lui pour qu’il la prenne et lui pardonne. Il s’était tenu longtemps immobile, regardant les passants sous leurs parapluies à travers le carreau embué, paralysé par les mots qu’il venait d’entendre. Elle se rappelait les traits crispés de son visage. Le regard fixait le sol. Le visage blême et terrassé par l’incompréhension.
Le commencement à tout ça : trou noir. Elle ne savait plus et voyait seulement défiler une longue série de rebuffades et de bouderies. Après l’amour naissant, les problèmes de papiers avaient vite été une perpétuelle source de tracas : les queues à la sécurité sociale ou au commissariat de police, l’inscription à un Master en droit international et la recherche de travail tous azimuts. Elle s’épuisait sans que la situation ne s’améliore. Ils n’avaient pas un sou. La réconciliation patienterait.
Lilas fuyait au nom d’un besoin de solitude insatiable. Depuis longtemps. Depuis toujours ? Elle en était emprunte, surtout dans son regard. Ce bleu clair tourné vers l’intérieur. Vers le rêve, le possible. Ce regard vide qui ne voit personne.
Elle refusait de lâcher prise et ne voulait sortir de sa bulle sous aucun prétexte. L’évitait-elle par facilité ? Par passivité ? En attendant quoi et pourquoi ? Que pouvait-elle vivre ? Rien sans doute tant qu’elle ne se remplissait pas de rêves, tant que la songerie n’était pas assouvie. Comment se partager entre cette solitude habitée et lui ? Son métier : écrivain, qu’elle prenait pour un rival de son compagnon. Le sentiment de culpabilité la rongeait de nouveau. Et elle entendait la voix d’Ihab : « en fait, tu ne viens pas à ce pique-nique, tu ne peux même pas faire ça pour moi, pour me découvrir avec mes amis, non, tu ne peux pas par égoïsme. Tu es égoïste ».
Quelquefois aussi, au moment de rentrer au studio, Lilas savait qu’elle ne le verrait que vingt ridicules minutes alors elle prolongeait sa marche et arrivait après qu’il soit parti. Ne pas le voir plutôt que le croiser le temps d’un quart d’heure qu’elle craignait houleux. Le soir, quand elle entendait sa clé tourner dans la serrure, elle éteignait à la hâte la lampe de chevet et fermait ses paupières par peur de remettre à beaucoup plus tard le moment de s’endormir, par peur de ne pas rêver suffisamment. Parfois, ce qu’elle recherchait précisément avec tant d’impatience n’arrivait pas : elle ne trouvait pas le sommeil. Un baiser et quelques mots partagés auraient sans doute suffi à rétablir une quiétude. Simplement cela. Ihab aurait aimé caresser sa peau rugueuse, son ventre arrondi de femme, embrasser ses seins ronds et pleins, sa petite bouche. Et si ce moment s’était prolongé ? Non, elle préférait se braquer, rentrer en elle et disparaître sous la couverture. Déjà, elle comptait les heures de sommeil qui lui restaient, elle s’était retournée vers le mur, l’obscurité et ne voulait pas lutter, le corps tout engourdi, prêt à basculer dans le sommeil…
L’idée de se réveiller fatiguée la rebutait. Si Ihab travaillait peu, elle, courait beaucoup d’un éditeur à l’autre, multipliant ses coups de fil. Plus que d’habitude. Ils pourraient au moins partir un long week-end de mai. Où ? Ils n’avaient pas encore eu le temps d’en parler.
Ses paroles d’hier lui revenaient. Ce fut comme un second réveil. Une sonnette d’alarme. Elle savait qu’elle en avait besoin. Besoin qu’il s’exprime et elle trépignait, ce moment venu. Il lui avait dit pour conclure et ramener la bonne humeur, comme il savait le faire : « à partir de maintenant, on va passer plus de temps ensemble, c’est quand même pour ça que je suis resté. Tiens, ce week-end, on va au restaurant japonais, tu sais celui au coin de la rue du cherche midi… » C’est vrai, la plupart du temps, la discussion était remise au lendemain. Fatigue, travail, indisponibilité, faudra se parler. De mauvaises excuses en maladresses. À demain, à tout à l’heure. Lilas n’avait que ça à la bouche. Peur de perdre de soi, de son temps mais c’était eux qui dérivaient. Pas dans la même barque, séparément.
Et quand il semblait à Lilas qu’ils parvenaient à faire route ensemble, enfin réunis harmonieusement, la séparation s’annonçait imminente. L’un d’eux devait sortir, s’occuper d’une course ou d’une démarche.
Elle était insupportable et se sentait frustrée souvent mais bon sang que faisait-elle pour améliorer la situation ? Elle en demandait encore, toujours mais ne proposait rien. Sachant une énième séparation mal placée, elle se protégeait, est-ce cela qu’il appelait égoïsme ? Elle ne s’ouvrait, ne se détendait que lorsqu’elle voyait un temps infini à passer ensemble.
Simplement, ce moment relevait de l’événement. Il venait rarement. Est ce que tout cela, plus qu’une routine, un quotidien à bâtir à deux, lui semblait insurmontable ? Etait-elle avec l’autre sans conviction ? Par habitude ? Déjà, au bout de huit mois !
Ils se perdaient. N’allaient-ils pas se séparer pour les mauvaises raisons ? Des frustrations par dizaines les écrasaient. Comme une chape de plomb. Fallait-il redoubler d’effort, proposer une sortie, un voyage, lancer une conversation ? Devoir forcer le passage vers l’autre pour rétablir une relation de connivence : le monde à l’envers.
Ihab ne pratiquait pas le français, pas plus que Lilas l’arabe. Et tous deux parlaient anglais. Ils ne connaissaient pas ou peu la culture de l’autre. Prétexte pas un peu déplacé pour expliquer le malaise ? Ils s’étaient pourtant construit une langue commune, tissée de mots français et arabes.
Ihab

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents