Plus jamais seul
155 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Premières vacances pour Mc Cash et sa fille, Alice. L'ex-flic borgne à l'humour grinçant – désenchanté, désinvolte mais consciencieusement autodestructeur – en profite pour faire l'apprentissage tardif, et pour le moins délicat, de la paternité. Pour ne rien arranger, l'ancien limier apprend la mort de son pote Marco, avocat déglingué et navigateur émérite, qui a pourtant disparu en pleine mer. Inconcevable. Malgré ses blessures mal pansées et ses nouvelles responsabilités, Mc Cash se lance dans une enquête à haut risque qui le mène du port de Brest à la Grèce, au cœur d'un trafic révoltant. Il va falloir ouvrir l'œil, et le bon.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 avril 2019
Nombre de lectures 21
EAN13 9782072840890
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Caryl Férey
Plus jamais seul
Gallimard


Écrivain, voyageur et scénariste, Caryl Férey s'est imposé comme l'un des meilleurs auteurs de thrillers français en 2008 avec Zulu , Grand Prix de littérature policière 2008 et Grand Prix des lectrices de Elle Policier 2009, puis Mapuche , prix Landerneau polar 2012 et Meilleur Polar 2012 du magazine Lire , et, plus récemment, Condor .


À la mémoire de Marc Fontaine…
 
à ses amis Georges et Philippe(s),
qui non plus n'oublient pas.


Elle était assise sur une chaise haute, devant une assiette de soupe qui lui arrivait à hauteur des yeux. Elle avait le nez froncé, les dents serrées et les bras croisés. Sa mère réclama du secours :
— Raconte-lui une histoire, Onelio, demanda-t-elle, toi qui es écrivain.
Et Onelio Jorge Cardoso, une cuillère de soupe à la main, commença son récit :
— Il était une fois un petit oiseau qui ne voulait pas manger sa petite bouillie. Le petit oiseau tenait son petit bec tout fermé, et sa petite maman lui disait : « Tu vas devenir un tout petit nain, petit oiseau, si tu ne manges pas ta petite bouillie. » Mais le petit oiseau n'écoutait pas sa petite maman et n'ouvrait pas son petit…
L'enfant l'interrompit :
— Quelle petite merde, ce petit oiseau, déclara-t-elle.
EDUARDO GALEANO , Le livre des étreintes (traduction de Pierre Guillaumin)



PREMIÈRE PARTIE
MARCO-LE-DINGUE



0

Trop tard pour s'échapper : le cargo fondait sur le voilier en perdition, formant peu à peu une digue flottante en pleine mer, haute de plusieurs étages. Marco jaugea le monstre de fer dont la coque luisait comme une lame sous la lune. Démâté, le Class 40 n'était déjà plus qu'une épave dans la houle, menacé par le rouleau compresseur à l'approche. Les passagers retinrent leur souffle sur le pont du voilier, les bras serrés dans un réflexe de protection inutile. Lui ne broncha pas. La masse qui avance, gigantesque, sa surface portante, deux ou trois nœuds de vitesse, quatre mille tonnes de jauge brute : si le cargo était arrivé sous son vent, machine avant lente, il serait venu mourir sur le voilier, mais le courant était traître et il n'y avait rien à espérer de ces flibustiers.
Enfin le navire de commerce stoppa les moteurs, se laissant glisser jusqu'à eux ; Marco distinguait les visages des marins penchés par-dessus les bastingages, la muraille terrifiante de la coque rouillée et ses coquillages incrustés. Ils allaient se faire broyer, aspirer par l'eau noire. Des cris de terreur résonnèrent depuis la cabine. Tout ça pour ça… Marco jeta un regard angoissé à son équipière, livide sous l'astre blanc. Fin de l'aventure. La mer le rappelait. Après ce qu'ils avaient vécu ensemble, c'était presque une fleur dans les pattes de la Faucheuse.
Un filin atterrit alors sur le pont du voilier. Les voix des marins l'invectivaient tout là-haut. Bande de cons, songea-t-il. Mais ils avaient encore une chance de s'en sortir. Marco hurla des ordres brefs, engueula ceux qui se précipitaient vers la proue du voilier pour éviter la panique. Avec la gîte et la peur qui traversait leurs yeux, ou ils se tenaient tranquilles ou ils passaient par-dessus bord. Un autre cordage dégringola sur le cockpit du bateau. Marco attacha les passagers par la taille, un par un, avant de les abandonner à la furie des marins qui commencèrent à les hisser. Ce fut un carnage.
Il entendit leurs cris, le bruit sourd des corps propulsés contre l'acier et les angles coupants des coquillages qui déchiraient leurs chairs, puis il n'entendit plus rien, que le vent de la nuit dans les voiles déchiquetées… La masse du cargo oscillait vers lui, s'inclinait, pesait, menaçante, puis se retirait avec la houle pour revenir avec plus de détermination. Un premier choc fit vaciller le voilier, que le courant aspirait inexorablement sous la coque. Le dernier filin dérivait dans l'eau sombre, dérisoire. Les marins lui adressaient des signes sous la lune affolée, l'exhortaient à grimper au plus vite mais Marco ne bougea pas.
Il regardait la mer. La mer qui scintillait pour lui. À jamais.



1

Mc Cash avait récupéré sa fille à la sortie du collège. Il restait encore trois jours avant le début des vacances mais ceux de Mc Cash étaient comptés. Il avait baratiné la gamine, qui n'avait pas fait d'histoires. Des vacances à la mer, bien sûr que ça lui disait, tout pour fuir le village de Centre-Bretagne où un destin contraire l'avait consignée, et partir sur la route avec son père.
Mc Cash cracha la fumée par la vitre de la Jaguar. Temps de chien dans sa caboche malgré le soleil intermittent entre les nuages. La journée avait pourtant plutôt bien commencé, il était même presque normal en se levant à l'hôtel : la mer passait par-dessus bord à l'horizon, les oiseaux voltigeaient derrière la baie vitrée de la salle du restaurant, il avait regardé la petite avaler ses corn flakes, s'en mettre jusque-là, ses petits crocs affûtés, Alice et son sourire glouton d'orpheline espérant que demain serait plus réjouissant qu'hier, et puis la douleur s'était réveillée. Un cauchemar au bois dormant.
Mc Cash était borgne, un tendre au cœur dur qui confondait la défense et l'attaque ; il avait repris la route sans broncher mais le moignon de son œil crevé lui faisait mal, à en perdre la raison. Pas de rémission d'après les médecins – pour ça, il aurait fallu commencer par se soigner, nettoyer sa prothèse et surtout l'orbite vide qui s'infectait. Maintenant le jus de mort lui tordait la couenne, un linge mouillé comme autant de larmes rentrées, une douleur sauvage qui lui marchait dessus, le piétinait et…
— Tu veux pas baisser un peu la musique ! cria Alice depuis le siège voisin. J'arrive pas à me concentrer !
La petite lisait un manga, les pieds nus posés sur le vide-poches.
Alice. Treize ans à peine, deux tresses brunes et de grands yeux verts qui le considéraient comme son père. Mc Cash baissa le volume du cédé en grognant – Spoke Orkestra, un collectif slam-rock qui écraserait la bande FM à coups de marteau si on le laissait faire. Les autres groupes étaient morts, The Clash, Stiff Little Fingers, The Adverts, tous les vieux punks de sa jeunesse irlandaise : crevés.
Comme lui.
Les crises étaient revenues. Elles le suivaient, et le pisteraient, où qu'il aille. Mc Cash n'avait jamais changé son œil de verre. Un vague curetage en trente ans, et ce n'est pas ses rinçages au savon de Marseille qui allaient le soigner. Il cachait sa prothèse sous un bandeau de cuir noir, qui provoquait chez les autres un mélange de passion baroque et de répulsion instinctive.
Obnubilés par son bandeau, les gens le regardaient de travers. Il les détestait pour ça, et pour le reste aussi, il mélangeait tout. Trente ans étaient passés depuis la perte de son œil mais Mc Cash n'avait jamais accepté son infirmité. Envie de meurtre, d'euthanasie générale. Avec le temps, il s'était imposé un tempérament de pirate, comme le miroir du regard qu'on portait sur lui, pillant l'amour des femmes pour mieux mépriser leurs maris, faisait tout à l'emporte-pièce et se moquait bien des conséquences.
Seulement il n'était plus seul au monde, et son moignon pourrissait. La douleur grimpait à l'improviste, au réveil sous la douche, la nuit dans les bras d'une femme ou dans son sommeil, épouvantable. Elle l'avait attrapé ce matin, au petit déjeuner, alors qu'il regardait sa fille se goinfrer de ses putains de céréales : une crise en flux tendu, qui capitalisait, sûre de ses rentes.
La Jaguar roulait sur la départementale mais la ligne d'horizon avait disparu ; même les fleurs des prés avaient fichu le camp. Mc Cash un instant ne vit plus rien, qu'un vague champ magnétique sur l'asphalte peint. Les médicaments lui retournaient la cervelle, ces bouts de cortisone qu'il mâchait par kilos, ou bien était-ce le pétard d'herbe fumé tout à l'heure sur l'aire de repos… Quand il revint à lui, la Jaguar roulait sur la file de gauche.
La douleur, fulgurante, sembla fissurer son lobe temporal. Il cala la décapotable sur la file de droite, tenta de se concentrer.
La gamine, absorbée par ses nipponeries, n'avait rien vu.
Il cligna les paupières pour faire le point. La départementale 785 était déserte, les ombres des nuages jouaient au fantôme sous les éclaircies, il n'avait encore rien décidé et conduisait, hébété par le mal. Il voulait juste que ça cesse. Mc Cash crut alors distinguer un point mouvant au bout de la départementale. Deux bras qui s'agitaient.
— Merde, murmura-t-il.
Des flics.
Un barrage.
— Quoi ?
Alice releva la tête de son manga. Elle vit le visage de son père et comprit que quelque chose n'allait pas. Il coupa le son du cédé, comme si la musique l'empêchait de penser. L'adrénaline grimpa aussitôt : la police était-elle à sa recherche ? Avait-elle son signalement ? Celui d'Alice ? Les papiers de la Jaguar étaient en règle ; elle trouverait leurs valises dans le coffre, deux ordinateurs portables, les jeux de la petite, son sac de plage… Trois gendarmes lui faisaient signe de se garer sur le bas-côté. Mc Cash ralentit, vida l'air de ses poumons, réajusta ses lunettes noires. Le .38 était calé sous son siège.
— Tu la boucles, dit-il à sa fille.
Un motard approcha. Vingt mètres les séparaient encore. Le type avait gardé son casque et la sécurité de son étui ouverte. Mc Cash le laissa venir, évalua la topographie, les jambes dans le mercure : une barrière métallique, deux gendarmes à pied, bras croisés devant la BMW du premier, leur voiture garée dans le chemin. Le motard salua sans ôter son casque et inclina son visage vers la vitre.
— Bonjour, vous avez les papiers du véhicule ?
De grosses lunettes réfléchissantes et l'air satisfait du représentant de la loi lui faisaient face. Mc Cash trouva carte grise et permis dans le vide-poches, tandis qu'Alice rapetissait sur le siège, comme prise en faute.
Le motard examina les documents avec une attention croissante, sa

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