Pay, Black
204 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
204 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

« Le Flic balise. Et même, il pense. C'con-là, un dur à cuire ! Faut qu'il avoue, le Black. Il avouera. Pas les moyens de se taire face à nous, les obsédés de l'interrogatoire. Face à moi ! Jouer les obstinés, ça, il peut... Meurtres, chantages, prostitution, tout... Y en a trop... Il lâche juste quelques petits délits. Des bricoles. Un peu de taule et bonsoir... J'veux pas ! J'veux qu'y crève. Et y crèvera. Ma vie contre la sienne, si nécessaire. Têtus, les Corses le sont. Et je suis corse. Et je serais têtu même si je l'étais pas, corse. Je l'aurai. Pas de torture. Pas de menace. En douceur... La patience ! Plus fait que force ni que rage... Où j'ai pu entendre ça ? Le Flic rit. Tout seul. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 octobre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342014419
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pay, Black
Paul Vecchiali
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Pay, Black
 
 
 
À Serge Quadruppani
 
 
 
 
1
 
 
 
Je suis noir, oui. J’y peux rien.
Je suis jeune aussi. J’y peux rien non plus.
Et amoureux. Ça, il paraît qu’on y peut. Moi pas. Je suis amoureux plus encore que je ne suis Black. Ou Juif. Ou jeune.
Je la croise un jour. Son parfum me fait chavirer.
Depuis, je la bigle. Je la lorgne. Je la mate. Je l’accompagne. Je la déguste. Je la hume… Ça pourrait être dangereux. Question d’équilibre.
J’en ai besoin de mon équilibre. Parce que la dame, elle est dans les emmerdes. Jusqu’au cou. Et elle ne le sait pas.
Moi, je gigote un peu partout. « Souliers, Missié ? ».
Ils y croient pas mais ça les amuse.
Et, quand même, il arrive que je me fasse un peu de pognon.
Mieux, je peux m’informer.
Si je vous dis que je sais pratiquement tout ce qui se trame dans le quartier, vous me croirez pas.
Et vous aurez tort.
Qui peut s’intéresser à un Black anonyme qui tape sur une boîte en lustrant des chaussures ?
Personne.
Ils parlent.
Sans penser qu’on les écoute.
Moi, j’enregistre.
 
 
 
2
 
 
 
Je navigue sur la Côte.
D’Azur, évidemment.
Me parlez pas des autres. Je les vomis.
D’instinct.
Parce que j’y ai jamais mis les pieds.
Je suis né là, par hasard. Au bord de la mer.
Ma mère m’a lâché sur le sable.
Les gens hurlaient à l’indécence.
Pardon, pardon… Mais fallait bien que je m’en débarrasse…
Ma mère m’a lâché sur le sable, dans les rires.
Et puis, sur le sable, j’y suis resté.
Détour par l’orphelinat. Pas longtemps.
Juste pour comprendre que ma voie, c’était pas la charité.
Pas de monnaie, pas de Bon Dieu.
La démerde sans embrouille.
La débrouille sans les emmerdes.
C’est ce que je me prédisais. Bravo Nostradamus ! T’as tout bon.
Une vie de rêve.
Je sais pas si vous avez vu…
Pardon : je ne sais pas si vous avez vu la Méditerranée comme je la vois.
Même les yeux fermés.
Je ne vous dis rien. Ça ne vous servirait pas !
Les choses, on les comprend de l’intérieur ou on ne les comprend jamais.
Comment je cause  ?
Où ai-je attrapé ce vocabulaire ?
Je m’étais planqué dans le grenier. Au-dessous ? Trente élèves : la classe.
J’y nichais.
J’ai avalé.
Et bien digéré. Tout.
Parce que c’était ELLE : la si jeune maîtresse, la surdouée…
Quand on n’a rien d’autre à espérer, la terre, la terre de quoi on est fait, elle devient vite fertile.
L’aimer, ELLE, ça ne m’était pas très utile, sauf apprendre. Apprendre tout. Histoire. Géographie. Sciences Naturelles. Calcul. Orthographe. Grammaire.
Les Mots .
L’amour, ça restait vague.
Un point de côté.
Gauche.
Bien après, j’ai su.
Bien après, ça veut souvent dire trop tard.
Vous l’aurez compris : mes parents sont morts juste après l’épisode du sable.
Trop bébé pour les connaître, je ne les ai pas vus morts. Impossible de savoir si je les aurais aimés, eux. ELLE, oui, je l’aime, j’en suis certain. Pourtant, je reste inconscient.
Naïf. Le souffle coupé.
Et des frémissements incontrôlés dans le bas-ventre.
L’amour…
 
 
 
3
 
 
 
Vous êtes homosexuel ?
Sais pas c’qu’ça veut dire.
Tu sais pas ?
Pas dans le sens où vous l’employez. Ou alors tous les hommes le sont.
Moi aussi ?
Vous aussi.
Comment tu peux dire ça ?
Vous avez une prostate.
Ouais. Ma femme s’en occupe. Pas besoin des pédés.
Pédé, c’est encore autre chose…
J’aime pas les raisonneurs.
Normal, vous êtes flic.
Tu vas recevoir…
…votre poing sur la gueule ? On reprend à la base. Puisqu’on se tutoie : tu t’es déjà branlé ? Pas de réponse. C’est donc oui… Alors ? Ta main, c’est une main d’homme ou de femme ?
Le Flic ne réfléchit pas. Pas à ça . À comment démonter le malfrat, oui.
Y a que les actes qui sont homosexuels.
Bon. T’as baisé avec des mecs oui ou non ?
Et vous ?
La gifle l’étourdit. Un temps. Très bref.
Tu es juif ?
Par ma mère. Papa, il est catho.
Juif, homo, Black, tu cumules !
Et… blanc, goy, hétéro ?
Nouvelle gifle.
Il sourit. Le regarde.
Lequel sourit ? Lequel regarde l’autre ?
 
Le local.
Pièce sombre. Malodorante.
Intentionnel ? Les yeux du Black sont plus lisibles que ceux du Flic. Orientation des lumières ?
Un bureau. Trois chaises. Un téléphone. Un ordinateur. Un lecteur de CD. Un magnétophone. Deux cendriers.
Rien sur les murs. Nudité suintante.
Quelques frémissements dans les rideaux. Fenêtre entrouverte ?
Une pesanteur, manifeste.
 
 
 
4
 
 
 
Le Flic balise. Et même, il pense.
C’con-là, un dur à cuire ! Faut qu’il avoue, le Black. Il avouera. Pas les moyens de se taire face à nous, les obsédés de l’interrogatoire. Face à moi  ! Jouer les obstinés, ça, il peut… Meurtres, chantages, prostitution, tout… Y en a trop… Il lâche juste quelques petits délits. Des bricoles. Un peu de taule et bonsoir… J’veux pas ! J’veux qu’y crève. Et y crèvera. Ma vie contre la sienne, si nécessaire. Têtus, les Corses le sont. Et je suis corse. Et je serais têtu même si je l’étais pas, corse. Je l’aurai. Pas de torture. Pas de menace. En douceur… La patience ! Plus fait que force ni que rage… Où j’ai pu entendre ça ?
Le Flic rit.
Tout seul.
L’œil rivé au plafond. Volutes de lumières. Qui le charment. Sans l’obséder.
Mouvements doux. Sinuosités.
C’est beau, la nuit quand on est pas de service.
Les autres nuits ? L’Enfer… Poursuites. Sirènes. Coups de freins. Courses. Coincer les fuyards. Même les innocents. Faut donner l’exemple. Faire peur aux autres. Les vrais coupables. Les vrais . Parce que les innocents sont toujours un peu coupables. Ou le deviennent. Parole d’homme. D’homme d’expérience. Cinquante balais. Le mois prochain. Oui, Vierge, né en septembre. Quand les feuilles commencent à tomber… Cinquante ! Et quoi derrière ? Des interrogatoires. À la pelle. Des fêtes organisées. Des anniversaires. Mariages. Le mien. Sans enfant. Et le deuil. Le terrible deuil. Celui dont on ne se remet pas. La Solitude…
Devant ? Ce Black prétentieux.
Et rien.
Rien d’autre.
Que la perspective de la retraite.
À la campagne.
En pleine cambrouse.
La télé et la pêche.
Où qu’on va avec ça ?
Une rivière. Dans le Loir et Cher. Comment qu’y disait Delpech ?
Au plafond, les figures se font la malle.
Dormir.
Refuser les cauchemars.
 
 
 
5
 
 
 
Elles me cherchent. Toutes. Dès que j’ai eu quinze ans. Dès que ma moustache épaisse a fait un homme de l’enfant que j’étais.
Un homme noir . Qu’elles cherchent. Et trouvent.
Toutes. La réputation, vous comprenez ?
J’ai appris.
À me laisser apprivoiser.
Du moins, l’ont-elles cru.
Elles paient pour voir. Comme au poker.
Full…
Je n’ai pas honte.
L’amour éloigne la honte.
Et j’aimais.
Je l’aimais.
Blonde. Regard noir.
Jeanne.
Lorsqu’ELLE écrit au tableau noir, le bras levé, je pressens le parfum de ses aisselles.
De mon grenier. L’œil écarquillé. Marqué par le contour du trou dans le plancher.
Ensuite, je L’attends. Sortie de l’école.
Dissimulé. Mal. Exprès.
J’attends qu’ELLE passe.
ELLE s’arrête.
Je sais. Je sais où tu te caches. Tu vas te faire prendre un jour. Ou le plafond va s’écrouler… ( son rire ) Qu’est-ce que tu cherches, petit ?
Nooon ! Pas petit ! Pas petit. Je bande, mamz’elle !
Tu ne me réponds pas ? Si tu persistes, je te dénonce.
Vous ne le ferez pas.
Pourquoi ?
Parce que je sais des choses.
ELLE lève la tête, secoue ses cheveux. Installe la complicité.
Et pour te taire ?
Apprendre.
ELLE rit. Je bande encore.
Tu veux savoir plus ?
Simplement apprendre.
Quoi ?
Justement, le Savoir.
Et en échange ?
Je vous protégerai.
Tu t’en sens capable ?
Oui.
ELLE ne rit pas.
Sa jupe flotte au vent. Ses talons raisonnent dans ma tête.
Je la protégerai.
 
 
 
6
 
 
 
Jeanne Bucheron naît à l’hôpital de Trouville. La mer est son premier spectacle. ELLE ne l’oubliera pas.
Enfant vive, souple, obéissante, aux dons multiples, elle saute une classe puis une autre. Passe ses examens. Obtient un poste d’institutrice. Continue de travailler sans cesse pour accéder au professorat.
À Nice. Au bord de la mer.
Tous les talents. Avec cet inconvénient : une gravissime beauté.
Indescriptible .
La Grâce . La Perfection .
Les prétendants. Aux portes de l’école. Sur le seuil de son appartement. ELLE ne les voit pas. ELLE n’en voit aucun.
Sauf un.
Qui ne l’attend jamais au sortir de l’école. Ni devant chez elle.
Le sourcil épais. L’œil froid. Statufié.
Mais changeant.
Devant le théâtre.
Au coin d’une rue.
Dans son cabriolet.
Posé là comme par hasard.
Jeanne ne croit pas au hasard.
Mais ELLE croit au Destin.
Peut-être a-t-ELLE raison.
 
 
 
7
 
 
 
Lui, c’est Guy. On l’appelle comme ça. Partout. Guy comment ? ELLE l’ignore. Elle l’ignorera toujours. Jusqu’à sa mort. Sa mort à ELLE.
Le prénom lui suffit. ELLE peut le nommer. À toute heure du jour. À toute heure de la nuit. ELLE dit : « Guy ». Son visage apparaît. ELLE pense : « Guy ». Parcourue de tressaillements.
ELLE appelle : « Guy ». Il répond. Sa voix, qu’y a-t-il de plus rassurant ? Il se peut qu’ELLE l’appelle quand il n’est pas là… « Guy ». Pas même un écho. Pourtant, ELLE frissonne, enroule les bras autour de son cou, dépose un baiser d’une tendresse si éprouvante que le baiser, s’échappant de ses lèvres, envahit la pièce.
Et tout recommence : le silence, l’attente, l’incertitude… Ses études, si loin derrière ELLE… Depuis quand ? Deux ans à peine ?
Mais ELLE a confiance.
Parce que c’est lui. Lui qui l’a prise, l’a guidée, l’a éduquée. Dans sa mémoire, pour toujours. Quoi qu’il a

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents