Passions tristes
248 pages
Français

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Description

Un homme, vieillissant et malade, cherche à comprendre pourquoi il s’est constamment laissé séduire par des femmes qui ne lui convenaient pas et enfermer dans des relations amoureuses sources d’une angoisse à laquelle il n’a pu échapper que de la pire des façons. Quatre figures différentes de femmes servent au narrateur à cerner la loi d’airain de la répétition dans la différence qui, à chaque fois, a transformé sa vie amoureuse en enfer. Dans cette confession, où se mêlent réalité et fantasme, sincérité et mensonge, le narrateur brosse un portrait peu flatteur de lui-même où s’avoue une réelle incompréhension de l’évolution des relations hommes femmes et des représentations de la masculinité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 décembre 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414294152
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-29416-9

© Edilivre, 2018
Exergue
 
 
« Les passions dépendent des
seules idées inadéquates »
(Spinoza, Ethique , III)
« La tristesse est le passage
de l’homme d’une plus grande
à une moindre perfection »
(Spinoza, Ibid. )
 
1 Prostate
L’antipathie. D’entrée. Je l’avais sentie m’envahir brutalement. Sans raison perceptible. Un pur événement de corps. Rien à voir avec le malaise maintes fois éprouvé dans des circonstances similaires où l’inquiétude se confortait de l’insécurité de la situation.
J’avais consulté plusieurs fois depuis que ma prostate me gênait et avais rencontré divers urologues, sans jamais éprouver cette exécration spontanée, cette haine qu’on ressent ordinairement et qu’on ne nomme pas telle afin de ne pas s’effrayer de la ressentir. D’emblée, celui-là je ne pouvais pas le sentir. Une protestation du corps, hors sens, venue de loin. Une défense contre quelque chose qui allait bien au-delà de celui à qui j’avais été envoyé, qui ne m’accueillait pas, pour qui je ne semblais même pas exister et qui me laissait dans le sentiment d’être en trop, comme une merde oubliée dans son bureau par un agent d’entretien négligent.
Rivé à l’écran de l’ordinateur, il ne me regardait pas. Je restais là debout, embarrassé de mes vêtements d’hiver, de mon sac à dos et de la revue parcourue dans la salle d’attente pour tromper l’anxiété. Embarrassé de moi-même. Tout à fait con surtout. Plongé dans une situation de dépendance et de domination dont je n’avais pas l’habitude, symétrique de celle dont j’usais professionnellement en y soumettant les collaborateurs récalcitrants ou les adversaires.
Les mains, étrangement courtes, presque rougeaudes, contrastaient avec un long corps sec et le teint mat d’un visage dont la beauté était annulée par un air qui donnait envie de le claquer. Un air fat, ordinairement attaché à ceux à qui la naissance et le succès rapide ont donné l’assurance que la vie et les autres se sont mis une fois pour toutes à leur service. Des mains de boucher, en contradiction spectaculaire avec le reste du corps, qui m’avaient fait penser, sans que le contexte appelât la référence, à celles de Boule de suif, avec leurs « doigts bouffis, étranges aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses ». Elles inquiétaient chez un chirurgien que l’on se serait plutôt attendu à voir doté, comme un pianiste, de longs doigts effilés et déliés. Courtaudes et presque boudinées, elles n’en couraient pas moins sur le clavier avec une agilité surprenante et diabolique au regard de leur forme et masse. En mouvement, elles rachetaient leur disgrâce, ravivaient l’espoir de la sûreté du geste opératoire de leur possesseur et allégeaient les réticences à confier son corps à ce jeune chirurgien qui, d’entrée, me portait au-delà d’un agacement ordinaire et auquel on m’avait adressé avec mes examens parce qu’il était la gloire de cet institut spécialisé.
A quoi était due cette antipathie spontanée que je sentais croître en le voyant s’affairer sur le clavier, scruter l’écran où s’affichaient les dérèglements de mon corps dont je ne savais presque rien, rien d’autre que cela n’allait plus ? A cette arrogance, mi hautaine mi ironique, qui accompagne le talent ? A l’insolence de sa jeunesse qui me signifiait mon vieillissement, confirmé par la pathologie qu’il découvrait à l’écran ? A la désinvolture charmeuse que je lui avais vu manifester vis-à-vis de son assistante au physique ingrat et qui me renvoyait combien j’étais désormais disqualifié dans la course de la séduction ?
Je ne perçus pas sur le moment que le premier niveau de mon antipathie résidait dans une déception, née du décalage du personnage avec la représentation que je m’étais faite de lui, vanté comme une gloire de l’urologie et la promesse d’une guérison certaine. Sa blouse ne suffisait pas à lui donner l’air d’un grand patron au physique massif et rassurant, incarnation de ces dieux vivants sauvant les corps et rachetant parfois en même temps les âmes qu’aimait tant le cinéma des années 60. Le souvenir de l’adaptation du Grand patron de Pierre Véry trainait encore dans ma tête, mal distingué de ce que la mémoire conservait de la lecture faite à l’adolescence de Afin que nul ne meure de Slaugther et de Corps et âme de Maxence Van der Meersch. Pourquoi fallait-il que ces réminiscences surgissent à cet instant, d’autant qu’elles n’ont nourri chez moi aucune vocation et que ces références sont sorties depuis longtemps de l’horizon contemporain ? Sinon pour me dire que cette consultation allait devenir un rendez-vous avec moi-même et une confrontation avec le passé.
L’urologue n’arrivait même pas à être aussi désagréable que le docteur Who et à faire passer son humeur maussade pour une preuve de génie. Il n’était ni comme au cinéma ni comme à la télé ni même comme dans les livres. Décevant et par là inquiétant.
Il prenait son temps pour lire sur écran le fichier où s’affichaient mes misères corporelles à lui seul révélées. Placé de côté, l’écran me laissait plus deviner que voir les clichés numériques de mes organes et les données statistiques qui les glosaient. Cette invisibilité métaphorisait l’incompréhension de mon intériorité ; sa révélation nécessitait une médiation dont je soupçonnais qu’elle me confisquerait l’essentiel de la vérité sur moi-même, que je n’accèderais jamais à ce qui se montrait là.
Si, jusqu’alors, je m’étais principalement soucié de mon esprit, mon corps m’avait peu occupé. Bien sûr, comme tout un chacun, je l’avais mis à l’épreuve, dans l’effort, le plaisir, quelques fois dans la douleur, mais je ne l’avais pas interrogé. Il était là, le sentir suffisait. Les images numériques le transformaient en langage codé et secret qui l’éloignait de moi, le transformait en étranger dont on remarque soudain l’extranéité. Je m’étrangeais d’un coup à moi-même en découvrant que j’avais hébergé un inconnu ou, plus exactement, que j’avais été hébergé par un inconnu.
Le silence de l’urologue doublait le sentiment « d’inquiétante étrangeté » qui m’avait saisi d’une irritation croissante. Il aurait quand même pu prendre connaissance des résultats avant de me faire entrer et me dispenser de ce silence, de ce malaise grandissant au fil des secondes qui vous rend encore plus malade, un peu plus dépendant d’une vérité dont le fait que vous soyez là signifie déjà que le pire est à venir. Il se tourna brutalement vers moi :
« Les biopsies font apparaître un adénocarcinome prostatique sur les lobes droit et gauche avec un score de Gleason 7 ».
Mon irritation crût d’un coup, comme fouettée par le sabir du spécialiste qui me figeait dans mon ignorance et m’enfermait dans l’énigme de ce qui m’arrivait. L’irritation tenait à distance la stupeur et la sidération provoquées par l’annonce. Le langage médical a, pour le néophyte qu’il renvoie à son ignorance crasse, la vertu d’entourer ce qui afflige d’un halo de poésie énigmatique en mettant en circulation des objets linguistiques fort éloignés des « mots de la tribu » ; il donne du mystère à cette étrangeté qui habite soudain le corps et dont on ne soupçonnait pas qu’elle eût élu domicile en soi. Je restais un temps abasourdi, moins de me découvrir malade, qu’intimidé par la fulgurance énigmatique de l’énoncé qui ne pouvait que dissimuler la gravité de l’affaire dans le temps où il me figeait dans une identité nouvelle : la maladie.
« Je suis malade », comme chantait avec succès un sympathique benêt à grosse voix dans les années 70. Je vais devoir désormais m’identifier à cette maladie dont je ne sais rien encore et dont les caractéristiques restent dissimulées dans le jargon. Etre malade sera désormais ma façon d’être, une nouvelle et définitive modalité d’être. Le jargon de l’urologue ne me dit rien d’autre pour l’instant, il vient seulement de me faire entrer dans un nouveau monde et dans la confrontation de l’énigme que je suis à moi-même.
« Docteur, nous ne sommes pas chez Molière et ne jouez pas les Diafoirus avec moi. Que signifie ce galimatias en français courant ?
– J’allais vous l’expliquer. Cela signifie que vous avez un cancer de la prostate, à un stade avancé. Et puisque vous voulez qu’on parle clair, si vous ne tentez pas l’ablation dans les meilleurs délais, votre espérance de vie n’excèdera pas deux à trois ans, même si le cancer de la prostate a la réputation d’être à évolution lente, des tumeurs secondaires peuvent rapidement apparaître dans des organes vitaux et vous emporter en dépit des thérapeutiques lourdes mobilisées. La prostatectomie… pardon… l’ablation de la prostate donne de bons résultats et prolonge significativement l’espérance de vie. Ce cancer est bien connu. On diagnostique chaque année soixante mille nouveaux cas. »
La dernière remarque réveille mon irritation, un bref moment anesthésiée par la nouvelle devenue intelligible. J’ai envie de lui balancer que je n’en ai rien à foutre des soixante mille nouveaux cas, que seul me préoccupe le mien et que la maladie vient au contraire de m’installer dans l’exception, instaurer une différence radicale entre les autres et moi, entre moi et moi.
Etre ravalé au sort commun des mâles vieillissants, à la finitude de ma condition masculine, à ma « mâlitude » ne me console en rien, mais nourrit la colère derrière laquelle je n’ai pas encore repéré la peur qui m’habite depuis que je suis entré dans ce cabinet. Sourde d’abord, elle s’intensifie derrière le masque que lui prête la colère. J’ai peur de nommer l’objet de cette peur qui vient de m’envahir l’esprit pour longtemps. Jusqu’alors abstraite, idée générale ou question philosophique actualisée

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