Les Particules de poussière
62 pages
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Les Particules de poussière , livre ebook

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Description

« Elle regardait avec une attention toute particulière les particules de poussière dans l'air déjà saturé du matin. Elle était d'ailleurs la seule à le faire. Tous les autres voyageurs étaient occupés de multiples façons à ne pas suivre ce spectacle entropique fascinant car happés par leurs petits ou grands appareils. (...) Elle continua à regarder, émerveillée, les particules de poussière dans le wagon avec la vague inquiétude que si personne ne regardait ces particules, peut-être cesseraient-elles d'exister. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 février 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414025473
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-02545-9

© Edilivre, 2017
Dédicace


À mon père qui est mort par préjugé alors qu’il est éternel,
Les particules de poussière
Elle regardait les particules de poussière dans le train du matin pris en cours de route non pas au terminus (elle aurait pu le faire d’ailleurs) mais quelque part au milieu. Sans savoir pourquoi, elle pensait soudainement à sa vie : au fond elle était, elle aussi, plantée là, quelque part, toujours perdue là-dedans, toujours là (pourquoi nécessairement perdue ? Elle ne se sentait pas perdue en particulier, rien de spécial ne lui manquait, à vrai dire). Elle avait renoncé depuis peu au chant de sirène des idéaux, des valeurs absolues en tout genre prêchées par la société bien-pensante. Un jour elle avait détourné le regard sans le moindre regret de cette mascarade cachée sous la forme de l’impératif moral, qui se nourrit en secret de la moraline. La moraline, ah ! Elle y avait goûté pendant des années à cette drogue dure obligatoire et légale de surcroît consommable en société pour pouvoir y vivre. Elle avait pu, depuis, surmonter le manque, le vide lié à l’abstinence. C’était plus facile depuis. Mais les vieux démons, les vieilles habitudes revenaient la tourmenter de temps à autre avec la même force que les premiers jours quand elle avait pris la décision de couper court. C’est pourquoi elle était en quelque sorte obligée de court-circuiter sa vie et de partir à l’improviste, abandonnant tout ou presque pour éprouver sa liberté. C’est ce qu’elle avait fait ce matin en sautant dans le premier train.
Elle regardait avec une attention toute particulière les particules de poussière dans l’air déjà saturé du matin. Elle était d’ailleurs la seule à le faire. Tous les autres voyageurs étaient occupés de multiples façons à ne pas suivre ce spectacle entropique fascinant car happés par leurs petits ou grands appareils (ordinateur portable, smartphone, iPhone, tablette, iPad…), ils cherchaient désespérément à voir s’il n’y avait pas un nouveau message ou mail depuis la dernière nanoseconde qu’ils avaient consulté leur appareil. Elle regarda distraite sa montre et remarqua qu’il était six heures du matin à peine. Tous ces gens s’étaient réveillés bien avant pour avoir ce train et, debout, avec la nuit encore dégoulinante sur leur visage boursouflé de sommeil, ils se mettaient déjà au travail avant de commencer leur journée… Ils étaient en plus contents de gagner ainsi quelques minutes en plus à travailler avant de commencer leur longue journée de travail ! La bonne blague ! Elle était la seule à en sourire discrètement. Le regard névrosé de tous ces gens consumés par le travail imposait un respect formel que les bonnes manières dont elle avait des réminiscences encore bien conservées l’obligeaient à effacer ce début de critique frontale, peut-être mal choisie à cette heure matinale de la journée. Elle retira cette nuance de son sourire et continua à regarder émerveillée les particules de poussière dans le wagon avec la vague inquiétude que si personne ne regardait ces particules peut-être cesseraient-elles d’exister.
Le mouvement à peine perceptible, continu, du train la berçait en même temps qu’il imposait des nouvelles trajectoires improbables aux particules de poussière dansantes de service. Le choc sonore et visuel au moment du croisement d’un TGV n’interrompait que temporairement ce spectacle matinal. Le bruit du train de grande ligne qu’elle avait pris ce matin à tout hasard adoucissait le brouhaha du wagon. Elle aimait bien le train. Cela lui rappelait son enfance, plus précisément tout ce qu’elle n’avait pas pu faire pendant son enfance et une bonne partie de sa jeunesse : voyager, voir le monde. Ses parents butés et avares lui disaient sans cesse que de toute façon ils n’avaient pas les moyens, et ensuite qu’elle était trop petite, plus tard, trop grande pour voyager. Petite, elle en voulait au temps de se moquer autant d’elle (oui, parce qu’elle était persuadée jusqu’à un âge avancé que le temps était quelqu’un de très important dont il fallait bien s’occuper pour qu’il reste avec nous, nous faisant profiter de sa présence) avant de comprendre les fausses explications mesquines de ses parents toujours prêts à lui faire sentir qu’elle était petite, toujours à la traîne quelque part dans le temps. Depuis elle avait pris sa revanche. Dès qu’elle avait envie de partir, elle partait le plus loin et le plus longtemps possible. Elle gardait un peu d’argent pour les repas quand elle ne se faisait pas inviter au déjeuner et pour ce qui est de l’hébergement elle s’arrangeait toujours à tomber dans des situations improbables mais agréables qui lui permettait d’avoir un toit (souvent luxueux) pour la nuit ou les nuits qu’elle décidait de passer dans tel ou tel endroit. C’était une belle femme avec une pointe d’accent slave, selon les gens pas au courant que la langue qu’elle parlait, le roumain, était une langue latine. Mais cela, elle ne se fatiguait plus à le préciser à la longue. « Ah, les gens est vraiment incultes, que veux-tu, ma fille ! », comme aurait dit sa regrettée mère… Mais sa beauté ne la devait pas à sa mère mais plutôt à son père. Un vrai homme à femmes. L’« Alain Delon des pays de l’Est », comme il aimait bien se présenter lui-même. Avec l’ego surdimensionné en bonne et due forme. Pas de place pour l’amour dans son cœur, son amour narcissique lui était amplement suffisant. Elle avait grandi ainsi. Elle avait remarqué beaucoup plus tard (trop tard ?) son détachement, voire son indifférence par rapport aux sentiments d’amour envers les hommes. Non pas qu’elle eût préféré les femmes, non. Elle consommait les hommes de la même façon qu’il la consommait. Comme de la viande fraîche, joliment emballée sans autre sentiment que l’intense et temporaire sentiment de satisfaction orgasmique lors de l’union de leur corps. Elle ne voyait pas l’intérêt de l’amour. Amour ou amour ? Elle ne savait pas au juste lequel des deux était le plus adapté. Parfois on lui sortait qu’elle était une garce. Étrange et même contradictoire reproche venant de la gente masculine qui tenait, elle le sentait bien, à avoir cette attitude comme proprement et exclusivement masculine… Lui demander des sentiments alors qu’en règle générale elle n’était désirée que parce qu’elle ne devait pas en avoir, c’était la règle implicite… « Que veux-tu, les gens est contrabiteoire ! » « Oui, à ne pas confondre avec contradicktoire, non. Contradicktoire c’est quand on s’érige contre quelqu’un de méchant et que l’on dickte une lettre de félation aux autorités compétentes. » « De délation, peut-être ? » « De délation ? Mais non, ma fille, mais qui te parle ici de sexe, mon Dieu ? » Rachida était son nom de code…
Elle avait quitté de bonne heure son grand loft qui était à lui tout seul une énorme bibliothèque avec des étagères implantées un peu partout là où les grandes baies vitrées ne les chassaient pas. Elle avait éteint son grand poêle et regardé l’immense lustre qui lui arrivait jusqu’aux épaules. Elle avait effleuré un des centaines de messages écrits à la main par ses soins, qui formait le lustre, et celui-là, une citation, parlait d’amour. Elle avait fait exprès de mettre des citations de gens célèbres pour confectionner un gigantesque lustre postmoderne. Elle se disait, non sans une once d’ironie, que la place des fantasmagories en tout genre est en haut, dans l’espace suspendu d’un lustre, que l’on ne regarde que lorsqu’on rêvasse…
Le mouvement imperceptible du train la transportait ailleurs. Elle aimait bien ce sentiment d’être ailleurs, toujours à côté de là où l’on s’attendait à la voir. Elle souriait pensant à la relative contradiction de son...

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