Les Aquatiques
336 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
336 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Les Aquatiques en appellent à l’eau sous ses aspects les plus troublants. Eau qui dessèche, qui brûle ou qui console et protège. Sa vraie nature échappe, mais elle semble s’infiltrer dans la vie des protagonistes et parfois en modifier le cours.



Touchant tantôt à l’Histoire ou à l’imaginaire, ces douze nouvelles tentent l’illustration exemplaire de l’homme confronté à une force primordiale qu’il n’a toujours pas maîtrisée...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 août 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334054492
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-05447-8

© Edilivre, 2016
La Mule de velours vert à talon rouge
Que Dieu nous protège de l’équité des parlements.
Adage parisien
– Marie-Catherine, pour l’amour de Dieu, ouvrez ! C’est moi, votre tante.
La porte de la chambre fut enfoncée. Personne. Elle avait disparu. On ne retrouva près de son fauteuil favori qu’une de ses pantoufles, une mule de velours vert à talon rouge. C’est tout.
C’est la nuit encore en ce petit matin de janvier au château de Lux. Pas un bruit, pas un souffle ; rien que le murmure de la Tille au milieu du grand parc enneigé.
Des rives sablonneuses de la rivière, poudrées de blanc, à un arpent à l’est, on distingue, prise dans une sorte de carcan végétal, presque une forêt, une bâtisse fort étrange. Imaginons une façade moderne et élégante flanquée d’antiques tourelles, se traînant tant bien que mal sur la gauche vers un fouillis de bâtiments disgracieux, que scellerait un gros donjon médiéval, fierté de toute la famille. Et pour faire bonne figure, jetons ici et là sur le terrain, devant le monstre, une ou deux grosses tours rescapées de l’enceinte disparue.
Voilà pour le château de madame la comtesse de Saulx, dont l’architecture était aussi embrouillée que la tête de sa propriétaire ; c’est du moins ce que l’on pensait de cette pauvre veuve dans cette région reculée de Bourgogne, ainsi que me le rapportait encore récemment mon excellente amie, la marquise de Créquy.
Personnage étrange aux allures ténébreuses , aux passe-temps occultes et mystérieux , la comtesse avait des habitudes farouches. On n’aurait pu lui prêter de liaisons suspectes, certes, mais le pays s’étonnait qu’elle n’eût aucune amitié connue ; pis encore, qu’elle fût en froid depuis si longtemps avec toute sa famille, négligeant jusqu’à ses enfants et petits-enfants. Surtout, ce qui épouvantait les paysans du village, c’est qu’elle disparaissait de chez elle des semaines entières, à l’insu de ses gens, sans que personne ne l’eût vue sortir, et sans qu’on pût s’imaginer ce qu’elle était devenue  ! Pour réapparaître soudain comme par enchantement dans ses appartements, l’air naturel, avec les mêmes habits qu’on lui avait connus huit jours plus tôt ! On entendait alors, rapportaient avec effroi ses domestiques, retentir la sonnette impatiente de sa chambre, que l’on savait pourtant vide. Aussi les villageois ne manquaient-ils pas de se signer les rares fois qu’ils la croisaient sur le grand chemin menant à l’église, lorsqu’elle daignait se souvenir qu’elle était à la tête d’une baronnie.
Six heures ce matin-là donc, quand les premières lueurs des bougies s’activent derrière les grandes fenêtres couvertes de givre. Point d’angoisse dans toute la maison, car l’on sait Madame chez elle. La veille au soir, un samedi, elle s’est retirée tôt dans sa chambre après avoir renvoyé ses femmes, ne souhaitant point encore se déshabiller : elle y pourvoirait toute seule, pour peu qu’on lui laissât deux bougies sur la table près du grand fauteuil.
Sept heures maintenant : un serviteur monte à sa chambre pour y porter des braises et redescend tout aussitôt terrorisé :
– Un malheur, un malheur est arrivé !
On n’en tire rien d’autre, si ce n’est que mademoiselle d’Aguesseau gît morte dans l’antichambre de Madame.
Les deux femmes de la comtesse, plus dégourdies, se précipitent en haut de la tour pour retrouver la morte… ressuscitée ; de corps du moins, l’esprit s’étant quelque peu attardé là-haut :
– Oh, mon Dieu, mon Dieu, le diable, c’est le diable ! hurle la vieille fille, le visage tuméfié.
Les deux femmes se regardent étonnées. Il n’y a rien à attendre de cette espèce de demi-folle que Madame loge par compassion, sinon par intérêt. Étendue sur le parquet, tenant fortement serré dans la main droite un cordon de sonnette qu’elle a arraché , ainsi que le procès-verbal l’établira plus tard, la pauvre femme n’arrive plus à se redresser.
Elles ont bien ri intérieurement tout d’abord de voir une demoiselle d’Aguesseau, la propre tante de Madame, vautrée ainsi sur le sol, en camisole de lit, coiffée de nuit et les jambes à l’air ! Elles s’inquiètent bientôt pourtant, non pas de ses propos incohérents, on y est habitués, sa réputation d’idiote étant alors tout à fait établie, mais de la véhémence qu’elle y met :
– Mon Dieu, j’ai eu si peur, si peur !
Et s’il était arrivé malheur à madame la comtesse ?
La plus jeune des femmes se met à gratter doucement à la porte de la chambre. Rien. Pas un bruit. Elle gratte une nouvelle fois. Toujours rien. Aussi, comme l’heure avance et que Madame va être en retard à la messe, il faut agir. La clef étant dans la serrure de leur côté, elles se hasardent à tourner doucement le bouton. Peine perdue ! La veille, leur maîtresse a fermé de l’intérieur la lourde porte aux verrous, elles ne s’en ressouviennent que trop bien !
– Madame, veuillez ouvrir s’il vous plaît ! risquent-elles. Vous allez être en retard à la chapelle. Madame ?
La comtesse de Saulx s’opiniâtre dans son silence. Alors la peur l’emporte. On frappe, et rudement, on tambourine même, et des pieds et des mains, on crie, on hurle : la pièce reste silencieuse, quand notre demeurée s’arrache une partie des cheveux qui lui restent, roule des yeux à faire peur, tout en tordant ses mains jaunâtres :
– C’est le diable, le diable, je vous dis !
Il faut aller chercher de l’aide à l’extérieur, car on ne peut décidément compter sur les gens de la maison. Le curé, le bailli seigneurial et les gens d’importance sont tôt rassemblés dans l’antichambre de Madame et tout ce beau monde, après avoir dûment constaté que la porte de la comtesse est bien verrouillée, résout de recourir à la force, non sans une ultime tentative de la demi-folle :
– Marie-Catherine, pour l’amour de Dieu, ouvrez. C’est moi, votre tante !
Toujours rien.
On écarte la tante sans ménagement et ces messieurs, s’encourageant tous ensemble, enfoncent la porte…
– Et vous prétendez, mon cher abbé, qu’on ne l’a jamais revue depuis ! Voyons, voyons ! interrompit madame de Tencin qui s’était levée pour servir elle-même le chocolat à ses invités, elle aura dérogé et rejoint tout simplement quelque amant en province !
L’abbé Trublet ne se laissa pas… troubler. Il connaissait les saillies de la maîtresse de maison, plus caustique que véritablement malveillante. Son salon était célèbre dans l’Europe entière et l’on aurait tué pour être invité à l’un de ses fameux mardis. Tout Paris aspirait à faire partie de sa Ménagerie , car ses Bêtes , ainsi qu’elle appelait ses habitués, étaient toujours assurées de son amitié fidèle. Et quand on est sœur d’un ministre d’État…
– À son âge, vraiment, vraiment, Alexandrine !
Il s’arrêta net, il avait failli être grossier. Son hôtesse aussi avait plus de soixante ans et, bien que cernée par la graisse et les rhumatismes, elle gardait ce charme, cet attrait qu’on lui avait toujours connu. Il paraissait même qu’elle était restée très verte…
Il se rattrapa de justesse :
– C’est son frère, le chancelier d’Aguesseau lui-même qui l’a affirmé un jour à madame de Créquy : disparue ! Et il y a plus de dix ans de cela.
– Et qui a hérité de sa fortune, puisqu’elle était veuve ? demanda une demi-ruine à la face lunaire, engoncée dans un fauteuil près de la cheminée.
Le vieux Fontenelle, presque un siècle à lui tout seul et distrait jusqu’ici, comme toujours quand il ne s’agissait pas de son intérêt, reposa le magot de porcelaine avec lequel il jouait sur la petite table en laque de Chine, prit sa tasse et enchaîna :
– Elle avait des enfants, voire des petits-enfants, non ?
– Je me suis renseigné, répondit Trublet, charmé que son histoire captivât son auditoire. L’aîné étant mort à vingt ans, il lui restait trois fils : une nullité de lieutenant général, mais bon au déduit – cinq enfants déjà et peut-être d’autres en route ! –, un marquis célibataire qui compte pour beurre et surtout l’archevêque de Rouen, bientôt cardinal si l’on en croit les rumeurs. Fort heureusement, le pape Benoît est en bonne santé, sinon…
– Nicolas, ne raillez point Sa Sainteté. Vous savez qu’il est pour moi comme un second père. Je lui écris chaque semaine et j’ai l’orgueil de prétendre qu’il me répond. Vous reprendrez bien une tasse de chocolat, mon cher académicien ! ajouta-t-elle pour marquer une pause.
Fontenelle, qui ne perdait jamais contenance, tendit sa tasse. « Que ne ferait-elle pour son frère ? » songeait-il en examinant un tableau de Boucher sur le trumeau blanc et or de la cheminée. N’était-il pas essentiel pour un ministre d’État, et de surcroît cardinal, d’avoir le soutien du pape quand, pour s’élever, on voulait pourfendre les déviances de toutes sortes, et la pire de toutes, le jansénisme ? « Avec Alexandrine, rien n’est jamais simple. Comme son tableau. Le Foyer pastoral , rien que cela ! Une jeune paysanne, légèrement vêtue, qui vient proposer des œufs à un berger assoupi près d’un moulin abandonné ; le tout chaperonné d’un cupidon joufflu et des conques de Vénus. La friponne ! »
L’abbé Trublet lui aussi connaissait bien la dame et ses frasques. Il ne se laissa pas non plus abuser par le nouveau rôle qu’elle interprétait : mère de l’Église, elle, qui avait abandonné autrefois son enfant sur le bas-côté de Notre-Dame ! Pas de chance, le bébé avait survécu, grandi en force et venait de publier le Traité de Dynamique que l’Europe entière nous enviait ! Mais peu étaient au courant des origines quasi romanesques du grand d’Alembert ! Et surtout pas eux deux, du moins officiellement.
– Très bon ce chocolat, reprit Trublet. En fait, les fils de la comtesse de Saulx n’ont eu droit à rien !

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents