Le vent a tourné
62 pages
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Description

Pierre Lefranc est la sixième génération d’une famille de sylviculteurs jurassiens. Faire pousser des arbres demande du temps : il a la conscience du temps long, de la valeur du travail et des rythmes naturels. Il en tire une grande fierté, et en fait une question d’honneur lorsqu’il faut défendre le nom des Lefranc. Ce grand nostalgique, à la vie bien ordonnée, vit mal l’arrivée des années 2000. Cette fin de siècle va justement être marquée par la tempête dite du siècle. À l’aube de ses 60 ans, cet homme réputé pour son caractère de dur au mal, trouvera-t-il la force de se relever ? Et en cette dernière année du siècle, une autre épreuve va le frapper, encore plus injuste et plus difficile à vivre que la colère du ciel, sans savoir que l’histoire de sa famille est en toile de fond. Il est emporté dans un tourbillon qui remet en question son équilibre et ses certitudes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 mai 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782381530932
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le vent a tourné
 
La SAS 2C4L — NOMBRE7, ainsi que tous les prestataires de production participant à la réalisation de cet ouvrage ne sauraient être tenus pour responsables de quelque manière que ce soit, du contenu en général, de la portée du contenu du texte, ni de la teneur de certains propos en particulier, contenus dans cet ouvrage ni dans quelque ouvrage qu’ils produisent à la demande et pour le compte d’un auteur ou d’un éditeur tiers, qui en endosse la pleine et entière responsabilité.
Frédéric Le Roux
Le vent a tourné
Roman

 
 
À Léna et Marie
 
 
I
Jour de Noël, à un souffle de l’an 2000. Cela paraissait hier si loin, et voilà que l’on touchait du doigt ce qui s’apparentait à de la science-fiction. Cette date fortement symbolique a fait rêver, imaginer, fantasmer, des futurologues de tous poils prédisaient que les voitures voleraient, que l’on coloniserait la Lune, puis Mars, ou que les robots auraient remplacé l’homme.
Le passage à la nouvelle année suscitait beaucoup de frénésie, les festivités s’annonçaient un peu partout à la hauteur de l’évènement. On craignait aussi un grand bug informatique, considéré par les plus pessimistes comme une source considérable de problèmes, voire la fin du monde pour les plus illuminés. Les gros doigts de Pierre Lefranc n’avaient jamais tapoté les touches d’un clavier d’ordinateur, il ne comprenait pas grand-chose aux tenants et aux aboutissants de ce discours alarmiste. Cela ne l’inquiétait pas outre mesure : « Ils feront bien ce qu’il faut pour protéger leurs intérêts... » Ce qui était de nature à l’inquiéter davantage, et même à fortement l’agacer, c’était l’arrivée programmée de l’euro en 2002.
Il était hérissé par la confusion entretenue et partagée par le plus grand nombre. 2000 était la dernière année du XX e  siècle et du deuxième millénaire, la symbolique et la rondeur du matricule ne devaient pas outrepasser une simple question d’arithmétique. « Qu’ils apprennent déjà à compter. C’est du niveau cours élémentaire ! » Il aimait les choses ordonnées et ronchonner était chez lui un peu une seconde nature. Effectivement, on n’y était pas encore, même si cette année supplémentaire à passer n’était qu’une poussière d’étoile.
Non, il n’aimait pas cette année 2000 qui allait mettre fin à celles de 1900. Les engrenages concasseurs de la grande horloge semblaient brusquement s’accélérer. Il sentait le souffle de l’aspiration, ces quatre chiffres avaient un côté presque irréel. Son caractère nostalgique trouvait encore plus matière à s’exprimer. Il préférait regarder en arrière pour ne pas se perdre.
À bientôt 60 ans, il avait épuisé une bonne partie de son crédit de vie ; son corps qu’il avait mis à rude épreuve le faisait de plus en plus souffrir. Un travail physique éreintant était à l’origine de troubles musculosquelettiques, mais il était plutôt en bonne santé. Vous avez un cœur de jeune homme, lui avait dit son médecin. J’ai arrêté de fumer et je bois modérément. Et avec tous les pas que je fais, je n’ai pas besoin de faire du sport.
Il n’y avait pas de raisons qu’il s’échouât trop tôt sur la rive de ce troisième millénaire, mais ces quatre chiffres lui faisaient prendre, comme à tout un chacun, un petit coup de vieux. Il lui revint en tête la fameuse citation de De Gaulle : « La vieillesse est un naufrage », sans connaître la phrase suivante, la plus importante quant à la responsabilité de Pétain sur le naufrage de la France . De toute façon, à quoi bon, la guerre était maintenant loin derrière lui.
S’il n’y mettait pas de mauvaise volonté, sa participation n’en était pas moins limitée. Après être allé acheter du pain et une bûche, avoir ouvert des huîtres et préparé la boisson, Pierre Lefranc tourna vite en rond et finit par devenir encombrant. Il était avant tout un homme d’extérieur, il savait se montrer emprunté et maladroit lorsqu’il était sollicité à la réalisation de tâches domestiques. Il avait déjà fait l’effort d’ouvrir des huîtres qu’il n’aimait pas pour faire plaisir à Mathilde qui voulait faire plaisir à son fils.
Celle-ci le connaissait par cœur après trente-huit années de mariage. Elle préféra rester seule à la préparation du repas et lui proposa d’aller prendre l’air : « C’est bon, je vais me débrouiller, va donc faire un tour. »
Il n’en attendait pas moins. Il ne prit même pas la peine de mettre une veste chaude, le temps était doux, anormalement doux. Il avait une bonne heure devant lui, c’était suffisant. Il monta dans sa Lada Niva dont il appréciait la maniabilité et la rusticité, qu’il considérait comme l’une des rares réussites du socialisme. Son chien accourut dès qu’il entendit le bruit du moteur et grimpa dans le véhicule tout-terrain. Il avait toujours eu un chien à ses côtés, faisant un peu plus attention à celui-ci depuis que le précédent avait été gravement blessé par la chute d’un arbre. Sérieusement amoché, il avait dû la mort dans l’âme le faire euthanasier. Comme tout propriétaire d’un fidèle compagnon, la perte de son chien l’avait profondément attristé, mais il y avait un élément de plus dans la dimension affective : il n’avait plus la possibilité de lui faire faire un chiot. Certes, il avait acheté depuis un berger allemand de couleur gris feu qui ressemblait comme deux gouttes d’eau au précédent, mais il n’était pas de la lignée commencée juste après la guerre par son grand-père. Cinq générations de chiens reposaient alignées le long d’un vieux mur en pierres, avec leurs noms gravés sur des croix en bois. Les visiteurs qui empruntaient le chemin d’accès à la propriété pouvaient apercevoir les cinq croix de ce cimetière canin. L’un d’eux osa un jour se moquer à demi-mot de tant de déférence pour « des chiens ». Il reçut une volée de bois vert à la place des bûches de chauffage qu’il était venu chercher. Il y avait des sujets avec lesquels Pierre Lefranc ne plaisantait pas.
Il lui fallut peu de temps pour gagner la forêt toute proche. Après avoir chaussé des bottes, il traversa des rangées de conifères, avant de s’engager dans une zone aux essences plus variées, dans ce massif jurassien où les sapins et les épicéas règnent en maîtres, en dormance avec leur beau feuillage, à l’inverse des hêtres, frênes, chênes et autres feuillus dépouillés par l’automne. Il marchait d’un pas lent et régulier, tel un général d’infanterie passant les troupes en revue avant la bataille.
Avant de s’en retourner, il scruta le ciel, l’air inquiet. Il avait humé l’air du vent d’ouest annonciateur de la pluie, ressenti cette atmosphère particulière qui précède la colère du ciel. À l’instar de ceux qui vivent au contact de la nature, il avait une compréhension et une sensibilité un peu perdues par l’homme urbain contemporain. Le ballet des hirondelles, les plantes et les rivières qui relâchent des gaz pour prévenir de se mettre à l’abri, les marguerites qui s’ouvrent pour accueillir la pluie, la couleur du ciel, la vitesse des nuages, le scintillement des étoiles, la direction du vent, mille et une choses lui donnaient à connaître le temps.
Mathilde était heureuse d’avoir pu réunir ses trois enfants, la présence de son fils Charles était son plus beau cadeau. Pierre occupait comme d’habitude la place en bout de la longue table de ferme, celle qui était autrefois dévolue à son père, à son grand-père, à son arrière-grand-père. Charles, à quelques places de l’autorité patriarcale, parvint progressivement à se détendre et profiter de ce moment. Il y eut bien des regards fuyants, des silences, des non-dits, mais la magie de Noël opéra.
Après le repas, on sortit les jeux de société et de cartes. Pierre proposa une partie de belote, et demanda à son fils d’être son partenaire. Ce jour sacré était-il une parenthèse ou le début d’une vraie réconciliation ? Charles fut agréablement surpris, mais ces bonnes dispositions demandaient encore confirmation ; le chemin était encore long  si tant est que le père et le fils puissent entretenir des rapports normalisés .
À 18 heures, une fois tous partis, Pierre eut besoin de son moment de tranquillité. Il est tard, tu vas avoir froid, lui dit Mathilde. Je ferai du feu.
Il sortit en direction d’un bâtiment qui était autrefois une grange. De récentes transformations en avaient modifié l’apparence originelle. Deux grandes fenêtres à double vitrage contrastaient avec les murs décrépis, la large porte avait été vernie et renforcée par des barres métalliques, une imposante serrure en assurait la sécurisation. Le rez-de-chaussée était un vague espace de rangement et de stockage sans grande originalité. Il avait rendez-vous à l’étage auquel on accédait par un escalier en bois qui avait remplacé l’échelle d’autrefois. Il mit une feuille de journal et du bois d’allumage dans le poêle, puis craqua une allumette. Une seule lampe assurait l’éclairage artificiel afin de laisser la place à la lumière des flammes, chaude, enveloppante, captivante. Enfoncé dans un vieux fauteuil au cuir usé, il pouvait maintenant faire une immersion dans ce XX e  siècle que ses contemporains s’apprêtaient à enjamber dans une déconcertante bonne humeur. Il était un grand nostalgique qui se méfiait du présent et redoutait l’avenir.
Après le décès de ses parents, il avait éprouvé le besoin d’aménager un endroit dans lequel il pourrait regrouper une foule d’objets ayant deux caractéristiques : à la mémoire des Lefranc et des exploitants forestiers d’autrefois. Plusieurs années lui furent nécessaires pour mener son projet à terme. Du remplacement du plancher vermoulu à l’accrochage des cadres, tout fut réalisé avec une grande application. L’éclairage était pensé pour mettre en valeur ces éléments du passé, un poêle lui permettait d’en profiter durant les longs mois d’hiver.
Des haches, des serpes et des scies de toutes formes étaient méticuleusement accrochées, les outils de plus petite taille étaient disposés sur des plateaux posés sur des tréteaux, des rondins étaient empilés sur un traîne

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