Le Puits donné
300 pages
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Description

Julien Durieu revient de quatre années de maquis le corps brisé et l’esprit fortement perturbé. Grâce à sa part de la vente de la maison familiale, il achète une minuscule maison dans une contrée qu’il ne connaît pas. Il y vit reclus, dans un extrême dénuement que des voisins adoucissent peu à peu pourtant en lui faisant profiter d’une incroyable générosité. C’est que chez ces gens-là on n’est pas insensible aux manifestations de l’étrange et il semble bien que l’esprit de la mère Grégoire, ancienne occupante des lieux, continue de souffler sur les lieux, signe que le nouveau venu est « une bonne personne ». Clarisse Féraud, la fille du voisin le plus proche, ne s’y trompera d’ailleurs pas et entourera le convalescent d’une attention toute particulière. Du temps et beaucoup de soins seront nécessaires pour que Julien, dans un domaine campagnard qui, comme lui, reprend vie, soit en mesure de demander la main de la jeune fille.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 mai 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748377293
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Puits donné
Henri Simon Sédano
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Puits donné
 
 
 
 
1.
 
 
 
Coup de tête ou coup de folie, je ne sais trop, l’idée me vint subitement, pareille à une tocade ou une envie de dernière heure. La réalité est autre, refaçonnée à mon usage tel un refus, une forme de rébellion envers chaque chose menant à l’écœurement le plus noir qui soit que je ne savais où mettre par dérision, aussi ai-je acheté une maison, une très petite maison des champs dans une campagne traversière et inconnue, endroit solitaire que nul ne peut fouler sans un pincement au cœur. Une fermette, une vieille chose à l’allure sinistre parce que le crépi du dehors s’en détache par plaques entières, laissant voir les moellons qui servirent à édifier cette merveille, les choses les plus visibles, parce que le reste je ne le vis point, par distraction, pas chère assurément, peu chère même, en accord avec mes modestes moyens, qui fera dire au vendeur souriant que j’avais une veine de pendu, une chance de voleur en quelque sorte ai-je présumé dans ma candeur, un prix défiant tout entendement car moins que cela ne pouvait exister, mais la cheminée selon cet homme estimable tirait fort bien. Le temps du bonheur que le hasard m’offre en toute impunité en juste compensation de mes années noires sans avoir à trop chercher ou à trop réfléchir, ce dont je me sens incapable pour l’instant, une chaumière de rêve un peu tassée, un peu tordue, sur un grand terrain à la terre aride, presque l’hectare me dira le notaire se grattant le nez, ne sachant où commençait et où finissait ladite propriété, laissant clairement entendre que je risquais de ne jamais savoir avec exactitude si je foulais mon sol ou bien celui du voisin.
— Pourquoi t’exiler, Julien ? me demande Frane, sourcils arqués lorsque j’étalai mon idée… Tu seras seul dans ce coin perdu, sans nous, hors de ta ville qui te vit naître, sans tes amis et tes relations…
Pas répondu à ma sœur afin d’éviter l’explication qui serait par trop laborieuse, je n’y tiens pas vraiment pour l’instant mais me reste la conviction qu’elle connaît la raison, toutes les raisons qui sont en moi comme autant de doutes, toutes ces autres qui viendraient d’invention. De mon corps elle fait silence car trop lié à mon état d’esprit, silence aussi sur mes douleurs que je cache du mieux que je le peux, combien même les sentirait-elle au plus profond d’elle-même, silence toujours sur ma pension aigrelette, sur le capital qui m’échoit que je parais dilapider avec désinvolture, un si petit capital me venant de ma part lorsque nous vendîmes la maison familiale, l’amenant à l’une de ces propositions dont les femmes ont le secret…
— Tu conserveras ma part pour l’instant, Julien ! dira-t-elle chez le notaire.
Générosité qui vient du cœur bien sûr ou par esprit de famille, ce qui fera tiquer mon cher beau-frère par principe, partant de l’idée que ce qui est à nous l’est également pour lui, tandis que le sien n’appartient qu’à lui. Pingre ou économe, je ne le sais toujours pas, le cher homme qui finira sa guerre comme d’autres clôtureraient un temps sabbatique entrecoupé de sinécures en tous genres avec son cinquième galon doré sur ses épaulettes. Aigri, révolté par le coup du sort ? Pas même, il faut la hargne et la vindicte pour ce faire, chez moi il n’y a rien de cela, sinon la paix de l’âme, la joie timide qu’il faut cacher car trop montrer donne de mauvaises idées, je suis simplement heureux pour Frane puisque je la sais heureuse et comblée, rassuré même de la savoir à l’abri des mauvais coups de l’existence, ce qui me procure du temps pour mon cas puisque je me cherche continuellement, tente de sonder ce qui reste de vivable en moi sans trop vouloir penser à ma hanche, mon dos ou ma jambe meurtris par cette guigne qui me colle à la peau, refusant aussi de trop penser à mes camarades tombés, mes compagnons d’infortune, mes amis…
— Ce que tu fais est pure folie ! m’a dit Bernard, sentencieux… Viens dans mon cabinet, tu auras une occupation prenante et un salaire décent !
Pragmatique ou brave homme le beau-frère, je ne sais trop, un peu tordu quand même je pense, car il n’a pas compris qui je suis de réalité ou tente de faire ou désire devenir. Comment lui dire sans le fâcher à outrance que je ne peux désormais souffrir la vue du moindre uniforme, lui qui incarne dans sa rigidité coutumière le militaire qu’il fut à défaut d’en être le soldat corvéable, que fuir Saumur, ma ville chérie, n’est pas me séparer de celle-ci mais seulement tenter d’oublier la guerre et ses meurtrissures, ses combattants et les autres, tous ces autres qui à ne rien faire devinrent des résistants de haut vol, résistant à tout bien sûr, même aux pénuries ? Il me faut garder le silence à mon tour car trop dire me force à être injuste, ce qui n’est pas juste, ressasser n’est guère bon car la tolérance s’en trouve accablée, celle que je porte, pareille à une tare que je n’aimerais pas perdre parce que tout au bout, il ne me restera pas grand-chose, me contentant de l’acquis, me transformant de bon à rien, bon à tout, des meilleures choses comme des pires, surtout les pires car mon temps d’insouciance, je ne le savais pas encore, me préparait déjà à ce parcours funeste… Refusée la proposition de Frane, ce qui la peina profondément et soulagea du même coup le Bernard, fort du principe déjà cité, ne voyant la nécessité du jugement car à le faire je ne peux échapper à la règle, devant me contenter ce que d’aucuns analysent comme orgueil tandis qu’il ne s’agit que de fierté, de propreté morale ou pis encore de simple faiblesse pour les engagements les plus simples… L’un de mes condisciples en droit s’interrogeant sur le choix nous poussant l’un l’autre vers cette matière cruelle avance l’idée de convictions profondes, de déraison pour la raison et la justice, des mots creux me sembla-t-il sur l’instant puisque mon approche sera diamétralement opposée, ne pensant qu’à la détresse des autres que nous prendrions à charge, une utopie que je conserve encore… Frane eut quelques larmes discrètes que j’ai gobées tout aussi discrètement pour la pitié que je me porte, promettant avec gravité de ne jamais faillir et oublier que tous deux sommes du même sang et du même engagement spirituel.
Pierre se nomme le livreur, prénom ou nom je ne le sais, un gros homme avec de la grisaille dans la chevelure, la soixantaine sans doute, encore vaillant et fort de ses bras puissants, qui me fera la charité de transporter et mes achats et ma personne sans que j’aie à le demander. Personnage simple avec sa casquette de cuir terni par le temps et le nombre incalculable de fois qu’il met à l’enlever pour aussitôt la réajuster sur son crâne, une manie dois-je en conclure parce que ne voyant nullement la nécessité du manège, mais de bon commerce cet homme étrange et jovial à la fois, intarissable dans ses anecdotes qu’il m’offre sans arrêts, tantôt drôle et tantôt inquiétant car ses propos touchent à tout sans rime ni raison, passant d’un sujet à un autre avec une grande vélocité, racontars plaisants pour certains et gravissimes pour d’autres, me laissant pantois.
— Vous n’êtes pas de chez nous, hein ? m’a-t-il demandé au bout d’un temps, ayant pratiquement tout exploré.
— En effet, je viens de plus haut vers le nord, suis arrivé seulement d’hier !
— Ah ! c’est curieux tout de même d’avoir acheté cette maison dans ce coin, c’est solitaire l’endroit, savez-vous ? Après vous, il y a les Féraud que je livre une fois la semaine, des petites choses, des broutilles quoi, parce qu’ils ont de tout à la Canarde, sauf ce qu’ils ne peuvent produire… Connaissez-vous les Féraud, non ? Une grande et belle famille, le père, la mère et les enfants, une véritable tribu attelée à la même tâche, des fois à la belle saison ils ont recours aux ouvriers de passage pour les gros travaux, les saisonniers qui connaissent l’endroit et reviennent chaque année… Féraud est un ami de longue date, je le vois souvent à Figeac, deux ou trois fois la semaine lorsqu’il arrive pour ses affaires ou ses commandes. Savez-vous, il est très riche et pourtant il fait simple, un peu rassis à le voir toujours vêtu pareillement d’un bout de l’année à l’autre… À propos, c’est pour quoi, le grand lit que je porte ?
— Le lit ? ai-je sursauté, effaré. Voyons, pour y dormir, bien entendu !
— Oui, oui, je sais que c’est pour y dormir. Je demande ça juste pour savoir si vous êtes marié, vous comprenez ?
Le marronnier au bout du chemin se montre soudainement, masse confuse et imposante, penchant ses ramures sur la route, sommes déjà arrivés, prenant prétexte d’éluder la dernière question de mon compagnon. Que dire qui serait simplement crédible ? Que je fais retraite de rentier à mon âge comme je ferais pénitence, me privant des charmes de l’existence, me détournant ostensiblement d’une épouse, voire d’une simple amie par abstinence suspecte ? Pourrait-il le croire sans devoir juger de la vacuité de mon esprit et si à admettre telle sage décision, quelle qu’en soit la raison, ne serait-il pas surpris, voire heurté et en bonne logique profondément interrogatif sur pareil engagement ? J’extrapole, à l’évidence, pour rien ou par paresse intellectuelle. Pierre ne dit rien et ne demande pas davantage, tout juste s’il laisse son regard se poser sur ma silhouette et sur ma manière de déambuler. Marcher, je le peux certes, mais je parais un peu tordu ou un peu de travers, comme si avancer

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