Le psychopompe
255 pages
Français

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Description

Dominique Maisons Le psychopompe Thriller Gagnant du Prix du polar 2011 Éditions Les Nouveaux Auteurs 16, rue d’Orchampt 75018 Paris www.lesnouveauxauteurs.com ÉDITIONS PRISMA 13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex www.editions-prisma.com Copyright © 2013 Editions Les Nouveaux Auteurs — Prisma Média Tous droits réservés ISBN : 978-2-81950-1-039 1 Alice serre son sac sous son bras puis, en frissonnant, elle remonte son col et rentre le menton sous l’épaisse doublure de son duffle-coat noir. La bise mordante qui s’engouffre dans le tunnel vient de lui donner un avant-goût de ce qu’elle va devoir affronter pour rentrer chez elle. Elle maudit ce conseil de classe qui s’est éternisé et l’a contrainte à rentrer, si tard, dans ce froid glacial. Ils ne sont qu’une poignée à emprunter l’escalier de sortie de la station de métro École Vétérinaire. Une fois passées vingt-deux heures, les rues de Maisons-Alfort sont désertes, les rideaux tirés des magasins regardent silencieusement passer les rares voitures circulant sur le boulevard. Les autres passagers se dispersent rapidement dans la nuit, pressés de regagner la chaleur de leurs foyers. Alice passe devant la camionnette du vendeur de pizza arménien, installée sur le trottoir à la sortie de la station, où elle s’est si souvent nourrie sans même jeter un œil vers les portions exposées sous plexiglas.

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Date de parution 25 juillet 2013
Nombre de lectures 2
EAN13 9782819501039
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Dominique Maisons
Le psychopompe
Thriller
Gagnant du Prix du polar 2011
Éditions Les Nouveaux Auteurs 16, rue d’Orchampt 75018 Paris www.lesnouveauxauteurs.com
ÉDITIONS PRISMA
13, rue Henri-Barbusse 92624 Gennevilliers Cedex www.editions-prisma.com
Copyright © 2013 Editions Les Nouveaux Auteurs — Prisma Média Tous droits réservés ISBN : 978-2-81950-1-039
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Alice serre son sac sous son bras puis, en frissonnant, elle remonte son col et rentre le menton sous l’épaisse doublure de son duffle-coat noir. La bise mordante qui s’engouffre dans le tunnel vient de lui donner un avant-goût de ce qu’elle va devoir affronter pour rentrer chez elle. Elle maudit ce conseil de classe qui s’est éternisé et l’a contrainte à rentrer, si tard, dans ce froid glacial.
Ils ne sont qu’une poignée à emprunter l’escalier de sortie de la station de métro École Vétérinaire. Une fois passées vingt-deux heures, les rues de Maisons-Alfort sont désertes, les rideaux tirés des magasins regardent silencieusement passer les rares voitures circulant sur le boulevard. Les autres passagers se dispersent rapidement dans la nuit, pressés de regagner la chaleur de leurs foyers.
Alice passe devant la camionnette du vendeur de pizza arménien, installée sur le trottoir à la sortie de la station, où elle s’est si souvent nourrie sans même jeter un œil vers les portions exposées sous plexiglas. Elle n’a pourtant plus rien à manger chez elle, mais cela dure depuis des semaines sans qu’elle fasse le moindre effort pour y remédier.
Elle ajuste les écouteurs de son iPod et se replonge dans le concerto d’Aranjuez. Bien qu’elle l’ait écouté pendant tout son trajet, elle ne cherche pas un morceau plus léger. Elle sait qu’elle n’a téléchargé que des musiques mélancoliques, car elle ne se sent pas capable d’écouter autre chose.
Depuis la mort de son mari, deux mois plus tôt, son humeur est invariablement morbide. Elle ne sourit plus, ne mange que le strict nécessaire pour ne pas défaillir, limite ses rapports sociaux à leur plus simple expression, fuit les contacts avec son frère, ses sœurs et amis dont les paroles maladroitement infantilisantes ne lui apportent aucun réconfort. Sans vouloir lutter, elle se replie sur elle-même dans une boule épaisse de tristesse et d’incompréhension.
Elle ne veut plus s’ouvrir, jamais. Sa seule tentative visant à reprendre le cours normal de sa vie s’est soldée par une douleur encore plus grande. Un sentiment de gâchis et d’humiliation est venu s’ajouter à la rage incrédule de se voir brutalement arracher l’amour de sa vie.
Son retour au collège où elle enseigne la biologie, au prix d’un terrible effort sur elle-même et sur l’inertie de sa douleur, lui a valu d’apprendre ce que tous savaient déjà. Son mari la trompait depuis des mois avec l’une de ses collègues. Tout l’établissement bruissait de cette rumeur depuis le décès de Thierry.
Juste après son décès, sa maîtresse avait craqué devant plusieurs de ses confrères et avoué leur liaison extraconjugale avant de partir en arrêt maladie soigner une dépression, qualifiée de « diplomatique » par le reste du corps enseignant. Cette fuite aura au moins épargné à Alice d’avoir à la croiser chaque matin.
Malgré la réserve gênée de ses collègues, elle n’a pas tardé à découvrir son infortune, qui lui a été confirmée par une fouille extensive de la boîte mail de son défunt mari.
Pendant qu’elle lui parlait d’enfant à venir, Thierry planifiait sa vie future avec une autre. C’était ça la réalité de son mariage : une trahison sur laquelle elle essayait de construire.
En plus de sa douleur, Alice doit maintenant affronter les regards compatissants de tous ceux qui connaissent sa situation. Pire encore, elle subit les moues discrètes de ceux qui trouvent, du coup, cette mort étrange et inexplicable : « Un AVC à 30 ans, c’est tout de même difficile à croire, vous ne trouvez pas ? ». Sans l’exprimer, certains se demandent si l’épouse bafouée n’en est pas responsable.
La trahison n’a pas allégé son deuil, au contraire, l’incompréhension le lui rend encore plus difficile. Elle l’aimait vivant, elle ne peut pas le haïr une fois mort, mais toutes les questions et explications restent en suspend, pour toujours.
En traversant le boulevard, Alice tente de chasser ces pensées et de se remémorer les décisions prises par le conseil de classe. Elle peine à y parvenir, car sa présence y était plus physique que mentale. Aujourd’hui, comme chaque jour, elle s’est traînée comme une ombre de salles en salles sous les regards dépités et impuissants de ceux qui la connaissent. Yves Bertrand, le proviseur, a bien tenté, ce soir encore, de l’inciter à rester au pot organisé en fin de séance, mais elle en était bien incapable, et elle doute des motivations de Bertrand qui ne cesse de la regarder avec cet air concupiscent qui lui est encore plus insupportable depuis la mort de Thierry.
Elle passe sous les arcades longeant un bloc de bâtiments récents planté en bord de Marne dont la froideur métallique ajoute encore à la dureté de cette soirée. Elle presse le pas pour lutter contre le froid, au risque de glisser sur le sol verglacé dès la nuit tombée. Pour éviter cela, elle s’appuie l’espace d’un instant à la paroi vitrée donnant sur l’accueil désert de l’entreprise, et entreprend de chasser la neige des semelles de ses bottes à talons. « Ils sont trop hauts pour la saison », constate-t-elle pour la dixième fois de la journée.
En se redressant, elle aperçoit une ombre qui se faufile derrière elle, entre deux sas d’accès au grand bâtiment et disparaît derrière un des piliers. Elle se retourne avec inquiétude, le boulevard est désert et elle n’a croisé personne qui pourrait être à l’origine de cette présence fugitive. Mais elle ne voit plus rien bouger sous les arcades éclairées par les phares des quelques voitures qui passent sur le boulevard.
Elle chasse son inquiétude, en se disant qu’il n’y a pas de prédateurs sexuels assez motivés pour chasser par un tel froid. Elle reprend la marche vers son domicile qui se trouve quelques centaines de mètres plus loin, sur un petit quai bordé de maisons individuelles cossues.
Elle contourne le siège social vide et sombre qui se trouve maintenant entre elle et la route. Elle s’apprête à descendre, par un chemin glissant qui descend sous la voie ferrée vers les berges aménagées de la Marne, quand elle aperçoit de nouveau l’ombre passer fugitivement derrière elle.
Cette fois-ci elle se retourne vivement, retire ses écouteurs, et ne voyant toujours personne, elle lance un appel qu’elle veut ferme et assuré.
– Il y a quelqu’un ?
N’obtenant en réponse que la rumeur sourde du boulevard, elle peste quelques secondes puis reprend son chemin, espérant avoir affaire à un des sans domiciles fixes qui mendient la journée au passage piéton à quelques mètres de là.
Elle descend le petit chemin en plantant énergiquement ses talons pour éviter de déraper. Une fois en bas, ne parvenant plus à dissiper son angoisse, elle se retourne. Là, dans l’espace séparant les berges de l’immeuble, l’éventuel suiveur ne pourra plus trouver de recoins où se dissimuler. Elle fixe donc l’obscurité quelques secondes et, satisfaite de ne constater aucune perturbation dans le noir silencieux et glacial de cette nuit d’hiver, elle se retourne et passe sous la voie ferrée. Ses écouteurs pendent le long de son col, elle ne les réajuste pas, attentive au son de ses talons claquant sur le béton, lequel, à l’abri du pont, est sec et résonne à chacun de ses pas.
Une fois sortie de ce passage couvert, elle arrive à la partie la plus délicate de son aller-retour quotidien, le chemin aménagé en lattes de bois traité qui, une fois recouvert de neige, constitue un redoutable piège à talons si on n’y marche pas prudemment. Elle ralentit son pas et se dresse sur la pointe des pieds pour éviter cet écueil qui lui a déjà coûté une paire de bottines.
Elle se concentre sur cet exercice périlleux quand, quelques mètres derrière elle, elle entend le bruit de végétaux que l’on brusque et le frottement d’un tissu sur la pierre. Une fois de plus, elle se retourne et, saisie par l’angoisse, elle cherche dans l’obscurité l’origine de ce bruit. Sa respiration se bloque quand elle y distingue pour la première fois la présence d’une menace réelle.
Un homme descend du terre-plein longeant le pont de la voie ferrée. Il se démène pour s’extirper des buissons épineux qui en interdisent l’accès. Pour Alice il n’y a pas de doute, il a contourné le pont et traversé la voie ferrée pour tenter de la surprendre à sa sortie du passage couvert sans lui donner la possibilité de l’apercevoir. Il a dû sous-estimer la difficulté de ce raccourci et il peine au travers des fourrés à rejoindre le chemin qu’elle a emprunté.
Le sang se met à bouillonner dans ses tempes, une main se referme sur son estomac et elle exhale une longue colonne de fumée blanche matérialisant son angoisse à la lueur d’un lointain réverbère.
Comme si elle n’avait pas assez souffert.
Elle écarte l’envie de se jeter sur l’inconnu pour le rouer de coups et exorciser ainsi ce mauvais sort qui s’acharne sur elle sans rémission. Mais son instinct de conservation prend le dessus sur ses pulsions vengeresses, et suicidaires, car ses chétifs soixante kilos ne l’autorisent pas à avoir cette attitude bravache. Elle se retourne et part en courant.
L’inconnu en est encore à se débattre au milieu du hallier et de la neige accumulée en contrebas de la ligne de métro. Elle dispose d’une assez solide avance qui devrait lui permettre d’atteindre, si ce n’est sa maison, au moins la partie habitée de ce quai où elle pourra appeler à l’aide.
Toute à sa peur, elle néglige dans sa course la prudence à adopter pour traverser le ponton de bois enneigé et, au bout de quelques foulées, elle se voit punie de son imprudence. Son talon traverse la couche de neige, s’enfonce entre deux lattes, se casse et elle se tord brutalement la cheville. Elle crie de surprise et de douleur et

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